Assurance, micro-assurance et développement

Marc Nabeth, chercheur associé à l’Institut Thomas More

12 février 2007 • Opinion •


Alors que le prix Nobel de la paix 2006, décerné à Muhammad Yunus – le créateur de la Grameen Bank au Bangladesh – , vient saluer trente ans de développement du microcrédit, force est de constater que l’assurance fut longtemps le parent pauvre de l’économie du développement. Cet oubli du rôle de l’assurance dans le développement économique et social d’une société est d’autant plus surprenant que la vulnérabilité face aux aléas de la vie perpétue la pauvreté.

Ainsi, au Cambodge, la pauvreté de plus de la moitié des plus démunis serait due à une maladie ou à un accident invalidant, tandis que, en Inde, entre le tiers et la moitié des malades ayant dû être hospitalisés sombreraient dans la pauvreté à cause d’une protection inadéquate contre les risques de santé.

La liste des risques susceptibles de plonger les individus dans la misère en raison d’un sinistre non couvert est en réalité bien longue, et il suffit aux assurés que nous sommes de se projeter un temps dans un monde sans assurance privée ou sans protection sociale pour en dresser l’inventaire.

« La vie des pauvres est un long risque », confiait le client d’une institution de microfinance (IMF) aux Philippines. Mesurant la précarité de leur situation, les populations n’ont pourtant de cesse de gérer ces risques à travers des systèmes informels (dons et contre-dons, tontines, fonds funéraires, diversification des actifs et des réseaux de sociabilité, etc.) susceptibles d’atténuer les chocs. Ce besoin de sécurité n’a rien d’original, et François-Xavier Albouy, consultant de la société d’ingénierie Sofreco, citant les travaux de l’anthropologue Mary Douglas, de rappeler à juste titre que « les sociétés humaines peuvent toujours être analysées comme des formes de protection contre les risques extérieurs, les aléas de la vie » (« Principe de précaution, prévention et assurance », Revue d’économie financière, N°80).

Reste que, pour diverses raisons, allant de l’érosion des sociétés traditionnelles jusqu’aux limites inhérentes à un périmètre de mutualisation réduit, ces assurances informelles, aussi justifiées soient-elles, ont des limites évidentes, conduisant les populations à adopter de nouvelles formes de gestion du risque, dans un contexte de retrait ou de délégation de l’Etat.

De leur côté, les industriels de l’assurance, tout en capitalisant sur les évolutions de la microfinance et de ses nouveaux services (épargne, transferts de fonds…), accompagnent de fait l’émergence de nouveaux réseaux socio-économiques et sécurisent le quotidien de millions d’individus conscients de leurs fragilités, et prêts à s’assurer dès lors que des services de qualité deviennent accessibles financièrement, géographiquement… et culturellement.

Les révolutions de l’assurance venant souvent des réseaux de distribution, ces assureurs multiplient alors des partenariats avec des IMF, des organisations locales, des fonds funéraires informels, des « self help groups » (groupes d’entraide et de soutien), des associations de femmes, des syndicats, des organisations professionnelles, des coopératives et mutuelles, des agences de développement, des chaînes de distribution alimentaires, déjà impliquées dans le secteur des populations à faible revenu.

AIG en Ouganda, en Inde, au Malawi, au Guatemala, au Salvador ; Allianz en Inde et en Indonésie ; OLD Mutual, African Life et Hollard en Afrique du Sud investissent ainsi le secteur de la micro-assurance depuis des années. Nous pourrions conclure sur d’autres noms d’assureurs, de réassureurs, de courtiers, nationaux et internationaux, évoquer la probable entrée d’AXA dans la micro-assurance au Maroc ou bien celle, déjà effective, d’Entrepreneurs de la Cité et de son pool d’assureurs (April, CNP, la Mondiale, AG2R, Axeria iard), souligner qu’un inventaire mondial révélerait la forte prédominance des garanties emprunteurs, accidents invalidité, obsèques, sans exclure pour autant le développement de produits dommages ou santé.

Reste qu’il nous semble essentiel de terminer plutôt sur le versant politique, pour réaffirmer que toute construction sociale et économique peut exploser face aux risques, dès lors que l’Etat et le marché refusent tous deux d’assumer la question de l’assurabilité des populations. L’ampleur de la tâche est telle que les synergies sont naturellement préférables aux affrontements. Alors que l’Inde privilégie l’obligation juridique faite aux assureurs privés de développer de la micro-assurance, la Roumanie et le Brésil optent pour une défiscalisation et l’adoption de décrets favorables aux acteurs de la micro-assurance. Si les voies sont nombreuses, toutes nous renvoient pourtant à une évidence : la lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité restera bien dérisoire tant que l’Etat de droit restera une chimère.