La cloche de Novgorod · Un modèle de libre république dans l’ancienne Russie

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

2 janvier 2012 • Analyse •


L’importance des manifestations en Russie au cours du mois de décembre dernier remet en cause l’affirmation selon laquelle ce vaste Etat septentrional serait condamné à l’apathie et au despotisme. L’histoire de la Russie recèle en effet des développements similaires à ceux qui ont caractérisé l’histoire politique de l’Occident. Ainsi la cité-Etat de Novgorod au Moyen Âge était-elle un exemple d’autonomie et de républicanisme. Le souvenir de cette époque devrait nous préserver de schémas réducteurs quant aux perspectives de la Russie.


Si l’Homme est un héritier, il dispose librement de cet héritage et les servitudes de l’Histoire ne doivent pas occulter des époques ou des aspects minorés, preuves s’il en est que d’autres possibilités historiques auraient pu advenir. Ainsi, le réveil d’une partie de l’opinion publique et de la société civile en Russie atteste du fait que l’histoire de longue durée et le passé toujours présent de la praxis bolchévique ne condamnent pas ce grand pays à l’apathie et au despotisme. Bien qu’incertaines quant à leur portée politique, les manifestations organisées en décembre 2011 par des forces disparates nous amènent à revenir sur l’histoire de la cité-Etat de Novgorod, à une époque où les villes russes du nord-ouest développaient des formes de gouvernement rappelant celles des villes marchandes de la Hanse ou des cités italiennes, jusqu’à ce que Novgorod soit incorporée dans la Moscovie.

Novgorod, point de contact avec l’Occident

Fondée au VIIIe siècle après Jésus-Christ par des Slaves de la Baltique, la ville de Novgorod est située sur la rivière Volkhov, dans le Nord-Ouest de l’actuelle Russie, entre le lac Ilmen et le lac Ladoga. Les caractéristiques de cette région lacustre ouvrent des possibilités défensives pleinement exploitées par les libres citoyens de Novgorod, leurs compétences hydrographiques permettant à plusieurs reprises d’inonder les voies de passage que les envahisseurs devaient emprunter pour prétendre les soumettre. Rappelons incidemment que c’est à proximité, sur la Neva puis le lac Peïpous, qu’Alexandre Nevski a successivement défait les Suédois (1240) et les chevaliers Porte-Glaive (1242). Point d’arrivée de Rurik, le mythique fondateur de la Rus’ médiévale, en 862 (?), Novgorod est située à l’extrémité septentrionale de la grande route commerciale « des Varègues aux Grecs », entre Baltique et mer Noire, un itinéraire emprunté par les hommes du Nord désireux de louer leurs bras (armés) à Constantinople (1). En retour, une part des richesses et marchandises en provenance de l’Empire romain d’Orient et de bien plus loin transitaient par cette même route.

La cité de Novgorod évolue alors dans la mouvance de la Russie kiévienne (2). Elle est fréquemment gouvernée par les fils des grands-princes qui s’appuient sur les ressources de cette ville – richesses et clientèles – pour affermir leur pouvoir propre et prendre le contrôle de la vie politique à Kiev. Les notables et le peuple de Novgorod cherchent toutefois à s’émanciper et les chroniques locales rendent compte de la fuite du prince-gouverneur, en 1136, l’événement marquant le début d’une première forme d’autonomie. Le choc mongol aura pour contrecoup l’accélération de ce processus historique d’émancipation. La première incursion des Tatars en Russie kiévienne – il s’agit principalement de Turcs ralliés aux Mongols –, se produit en 1223 (3). Ces hordes défont les armées russes sur la Kalka, pillent la Crimée, remontent le cours du Dniepr inférieur et celui de la moyenne Volga avant de se faire battre par d’autres populations turques et finno-ougriennes, les Bulgares de la Volga, installés à demeure depuis le VIIIe siècle. Les Tatars reviennent en 1237, sous le commandement de Batou, l’un des petits-fils de Gengis Khan. Les Bulgares de la Volga sont balayés et la principauté russe de Vladimir-Souzdal est ravagée. Les rigueurs de l’hiver et les marais préservent Novgorod du fléau. En 1240, Kiev est détruite et c’est une large partie de la Rus’ médiévale qui est soumise. Sur les confins septentrionaux et occidentaux du monde russe, Kiev et quelques autres cités sont épargnées, la domination mongole se réduisant à une tutelle lointaine et pour partie théorique.

Une libre république, principale héritière de Kiev

Pendant les deux siècles et demi de domination mongole sur la plus grande partie de la Russie, Novgorod fait tout à la fois figure de marche occidentale contre les entreprises militaires de ses voisins – Suédois, Teutoniques et Porte-Glaives, Lituaniens et Polonais – et de fenêtre sur la Chrétienté latine médiévale. Tournés vers l’Occident, les marchands de Novgorod commercent avec leurs homologues des villes littorales de la Baltique et de l’île de Gotland. Sur place, la cité-Etat comprend une colonie de marchands allemands qui bénéficient d’importants privilèges, marchands auxquels s’ajoutent des missionnaires suédois ou autres. Intermédiaire entre l’Occident et l’hinterland russo-nordique, Novgorod exporte des produits de base – bois, fourrures, cire et miel – et importe des produits textiles mais aussi certains métaux, des harengs, du vin et de la bière. Ainsi la cité-Etat participe-t-elle du réseau d’échanges à longue distance organisé par la Hanse, ce qui la met en contact avec les villes marchandes d’Allemagne et des Flandres comme avec l’Angleterre (4). Héritière selon Nicholas V. Riasanovsky de la culture urbaine et matérielle de Kiev – celle-ci était liée à Constantinople mais aussi à l’Occident –, Novgorod est l’emporium le plus oriental d’une Europe du Nord et du Nord-Ouest où se développent les techniques marchandes et juridiques d’une forme de pré-capitalisme, à l’instar de ce qui se fait dans les villes marchandes et cité-Etats italiennes (5). Sur les rives de la mer Blanche comme au nord de la Volga et de l’Oural, de très vastes territoires sont contrôlés par Novgorod (à la différence des terres proches, dites « de piatina », qui étaient administrées par les subdivisions de la ville, les terres lointaines l’étaient par les autorités centrales).

La comparaison est aussi tenable sur le plan politique et institutionnel avec les développements d’un régime mixte – combinaison de monarchie, d’aristocratie et de démocratie –, c’est à dire une république au sens classique du terme. Le prince ou Possadnik qui gouverne la ville et commande les armées est l’élément monarchique de ce régime. Autrefois nommé à Kiev parmi les héritiers possibles, il voit peu à peu ses prérogatives strictement délimitées par l’assemblée urbaine (le Vietché) qui s’arroge le droit de le nommer et le révoquer. Ainsi cette fonction exécutive est-elle comparable à celle du podestat dans les cités-Etat italiennes : un office salarié que contrôlent les élites locales et les institutions représentatives. Le Vietché est l’élément démocratique de Novgorod. Cette assemblée populaire est composée des chefs de famille et hommes libres de la cité. Elle investit et révoque le prince, vote les lois et les impôts, décide de la guerre et de la paix. C’est au son d’une cloche, le Kolokol, que l’assemblée est convoquée par le prince, le peuple ou un libre citoyen. Elément aristocratique du système de gouvernement, un Conseil des Notables a pour fonction de compenser les défauts inhérents à la démocratie directe et limiter le jeu des factions au sein du Vietché. Ce conseil regroupe les représentants des grandes familles nobles (les boyards), les anciens magistrats – dont les ex-titulaires de l’office de Possadnik – et les chefs des subdivisions de la ville (« centaines » et « quartiers »). Tiré au sort parmi les candidats que le Vietché, a sélectionnés, l’archevêque de Novgorod préside le Conseil des Notables, fait figure de puissance arbitrale et remplit des tâches diplomatiques. Sur le plan institutionnel aussi, la cité est l’héritière de Kiev et de son régime mixte. D’autres villes du Nord-Ouest de la Russie ont des institutions similaires dont Pskov, un poste avancé de Novgorod qui accède à l’indépendance en 1348.

La Moscovie absorbe Novgorod

Sur le plan intérieur, Novgorod n’échappe pas aux maux qui caractérisent la vie politique des villes marchandes et des cités-Etats en Occident : prépondérance progressive d’un élément de ce régime mixte, différenciation socioéconomique accrue, affrontements entre le « populo grosso » d’une part, le « populo minuto » d’autre part. Il semble que la logique oligarchique l’emporte, un petit nombre de grandes familles accaparant les magistratures. Cette dérive s’accompagne d’un certain assoupissement économique, la fonction marchande de la cité-Etat tendant se réduire au seul rôle d’intermédiaire, sans réel processus d’accumulation de type capitaliste. Les travaux historiques relatifs à cette époque soulignent l’importance de la richesse foncière à Novgorod et le poids des propriétaires terriens dans la vie économique et politique de la cité-Etat. Peut-être Novgorod a-t-elle souffert de ce que Fernand Braudel, traitant de l’Ancien Régime en France, a nommé la « trahison de la bourgeoisie » ? Il s’avère aussi difficile de maintenir l’unité d’un très vaste territoire – en cela, le cas historique de Novgorod est bien éloigné de l’idéaltype de la cité-Etat –, les possessions lointaines du Grand Nord et de l’Est intérieur évoluant sous l’emprise de forces centrifuges et de convoitises extérieures. Enfin, les clivages politiques internes ont leurs prolongements sur le plan extérieur, un « parti lituanien » s’opposant à un « parti moscovite » dans les derniers temps de l’indépendance de Novgorod (le Grand-Duché de Lituanie, entre Baltique et mer Noire, s’oppose à la principauté de Moscovie qui se renforce dans l’hinterland du monde russe médiéval).

De fait, Novgorod n’est pas principalement menacée du côté de l’Occident et la cité-Etat est pleinement engagée dans les luttes entre principautés et les rivalités régionales qui traversent la « Russie des apanages » (6). Elle doit affronter Tver sur son flanc sud, la principauté de Vladimir-Souzdal à l’Est et la Moscovie. La montée en puissance de cette dernière est le fait central de l’histoire de la Russie moderne, en étroite liaison avec le joug mongol puis le renversement du rapport des forces entre Moscou et la Horde d’Or. Fils du grand-prince de Vladimir, lui-même prince de Novgorod, Alexandre Nevski décide – peu après ses victoires sur les Suédois et les Porte-Glaives –, d’une coopération volontaire avec les Tatars (7). Il se montre fidèle au Khan de la Horde d’Or tout en cherchant à atténuer la répression des cités septentrionales, Novgorod incluse, qui refusent d’acquitter le tribut. L’un de ses fils, Daniel, règne ensuite sur la principauté de Moscou dont les grands princes deviennent les collecteurs d’impôts de la Horde d’Or. Au fil du temps, Moscou affirme sa suprématie régionale. La victoire de Dimitri Donskoï dans de la bataille de Koulikovo, en 1380, ébranle la domination tatare, sans lendemain toutefois (les Tatars brûlent Moscou en 1382). Un siècle plus tard, Ivan le Grand vainc définitivement la Horde d’Or (1480) et il entame le « rassemblement des terres russes », au détriment des cités et principautés indépendantes. Après une série de révoltes, Novgorod est défaite en 1471. En 1478, ses institutions sont supprimées et la cloche du Vietché est emportée à Moscou pour y être fondue. Dès lors, la république de Novgorod et ses libres institutions ont vécu (8).

Le « syndrome du samovar »

Les temps historiques qui suivent sont marqués par la montée en puissance d’une autocratie en partie héritière des méthodes de contrôle du territoire et des hommes que les Tatars ont mises en pratique. S’élabore au fil des siècles le discours de la « Derjava », une idéologie de la puissance pour la puissance, voire une sorte de statolâtrie. Pourtant, l’existence de la république de Novgorod, son inscription dans la durée et l’influence qu’elle a pu exercer nous invitent à relire l’histoire de la Russie autrement qu’à travers l’habituel semblant de « grand récit » prétendant sublimer une supposée préférence des Russes pour le knout. L’héritage russe est composite et il comprend aussi des traditions d’autonomie politique comparables à celles du Nord et du Nord-Ouest de l’Europe, voire de la péninsule Italique, quand bien même ne faudrait-il pas négliger l’inscription dans la durée du centralisme et de l’autoritarisme.

Dans le devenir des formations politiques, les pesanteurs de l’Histoire et les formes culturelles ne sont certes pas à négliger et l’on sait combien il faut se défier des méfaits générés par un universalisme frelaté. Pour autant, l’aspiration à la reconnaissance est au fond de la nature humaine et le souci du particulier ne doit pas faire perdre le sens de l’universel. Aussi les Occidentaux auraient-ils tort de minorer la portée du mécontentement en Russie à l’égard de dirigeants dont l’assise de pouvoir est plus fragile qu’on ne veut bien le dire. Le « syndrome du samovar » – cette complaisance prétendument culturaliste à l’égard de l’autoritarisme russe (9) –, pourrait s’avérer contre-performant sur le plan prospectif, la communication politique qui cherche à justifier les accommodements avec la politique russe ne résistant pas à l’épreuve des faits.

• Notes

(1) L’entrée de guerriers varègues au service de Constantinople remonte à la conversion au christianisme de Vladimir le Grand, en 988, et à l’alliance passée avec l’Empire romain d’Orient (voir note suivante). Le grand-prince de Kiev épouse Anne, la sœur de l’Empereur, et envoie à celui-ci 6000 guerriers. Ils servent contre les Bulgares, les Petchenègues et autres « barbares » issus du monde des steppes mais aussi en Italie, contre les Lombards et d’autres hommes du Nord (les Normands d’Italie), ainsi que dans les guerres civiles internes à l’Empire. Après la défaite des armées byzantines devant les Turcs Seldjoukides à Manzikert (1071) – les vainqueurs contrôlent dès lors une grande partie de l’Asie Mineure –, les rangs des Varègues sont renforcés par des guerriers anglo-saxons qui refluent depuis la Bretagne insulaire (actuelle Grande-Bretagne), suite à la victoire de Guillaume le Conquérant à Hastings (1066). Sur les mercenaires varègues servant à Constantinople, voir Eric Tréguier, « Garde varègue : l’armée privée des empereurs byzantins », Guerre et Histoire, N°2, été 2011.

(2) Sur le plan ethnique et historique, les tribus slaves orientales à l’origine de Kiev et des principautés russes participent du système européen de relations politiques et commerciales. Selon la Chronique de Nestor (XIe siècle), certaines de ces tribus en auraient appelé à Rurik et à ses Varègues, des navigateurs et aventuriers suédois, pour constituer une première forme d’unité politique, la Rus’, sur le cours du Dniepr (862 ?). Kiev est ainsi dénommée « la mère des villes russes » et la Rus’ est le produit de l’acculturation de deux systèmes culturels, celui du monde celtico-nordique et celui des steppes pontiques, longtemps dominées par les Scythes. Au Xe siècle, les princes qui règnent à Kiev sont tournés vers Constantinople, métropole à la confluence de toutes les richesses de l’univers, et la principauté entre dans les alliances que les stratèges de l’Empire romain d’Orient mettent en place afin de sécuriser les routes commerciales au nord du Pont-Euxin (la mer Noire). En 988, Vladimir le Grand, prince de Kiev et descendant légendaire de Rurik, renonce au paganisme slave et fait le choix de l’orthodoxie byzantine; il épouse une princesse porphyrogénète, sœur de l’Empereur byzantin). La Rus’ de Kiev participe de la Chrétienté et entretient des relations actives avec l’Occident. En 1049, Iaroslav le Sage marie l’une de ses filles, Anne de Kiev, à Henri Ier, roi de France. Le choc mongol et la longue domination des Tatars de la Horde d’Or (1240-1480) mettent fin à ces relations avec l’Occident. Novgorod prend le relais et traite sur un pied d’égalité avec les puissances sises à l’ouest de ses frontières.

(3) Turcs et Mongols parlent des langues altaïques et l’ethnogenèse de ces peuples s’est produite en Haute Asie, dans une région correspondant approximativement aux monts Altaï et à l’actuelle Mongolie, au nord des routes de la soie qui passaient entre le désert de Gobi et les contreforts de l’Himalaya. Les « empires des steppes » (René Grousset) et les différentes dénominations renvoyant à ces peuples correspondent à des ensembles à géométrie variable se faisant et se défaisant au rythme des victoires et des revers militaires. Les Türük au VIe siècles, les Ouïghours au VIIIe siècle, fédèrent un temps les diverses tribus turco-mongoles d’Asie centrale – entre la Caspienne, la Mongolie et le Bassin de Tarim –, ce vaste ensemble géographique dénommé « Turkestan » jusqu’à la Première Guerre mondiale. Ces empires portés par des peuples nomades se révèlent éphémères. Aux XIe et XIIe siècles, les Turcs Seldjoukides unifient à nouveau le Turkestan et étendent leur domination jusqu’en Asie Mineure (bataille de Manzikert, 1071), avant un nouvel éparpillement des tribus et de leurs territoires. C’est entre 1198 et 1206 que Timoujin, le futur Gengis Khan, rassemble les tribus mongoles, soumet les tribus turques et se fait proclamer Grand Khan (Gengis Khan). La force militaire de ce nouvel « empire des steppes » permet aux Turco-Mongols de lancer des attaques à l’Est (Chine) comme à l’Ouest (plateaux iraniens puis califat de Bagdad en 1258, steppes russes en 1223 et 1237) et au Sud (Afghanistan). Il étend sa domination depuis la Caspienne jusqu’à l’océan Pacifique. Gengis Khan meurt en 1227 et l’un de ses fils, Ogodaï, lui succède comme Grand Khan. C’est sous Ogodaï que la conquête des principautés russes est amorcée. Les hordes de Batou atteignent les marches germaniques de Silésie et menacent les formations politiques d’Occident lorsque la mort d’Ogodaï, en 1241, et les enjeux liés au choix d’un nouveau Grand Khan conduisent au retrait des Turco-Mongols. Cet « empire des steppes » ne tarde pas à se disloquer en dynasties et khanats rivaux dont la Horde d’Or (Khanat de Qiptchaq), elle aussi promise à des subdivisions ultérieures (Khanats de Crimée, d’Astrakhan et de Kazan entre autres subdivisions). Dès lors, le rapport des forces avec la Moscovie se modifie.

(4) La « hanse » désigne d’abord une taxe commerciale payée par des marchands ou un groupement de marchands installés à l’étranger. Le mot en vient à désigner la communauté entière des marchands nordico-germaniques, une communauté organisée aux plans commercial mais aussi politique et militaire. Elle réunit autour de Lübeck une centaine de « villes hanséatiques » dont Cologne, Brême, Hambourg ou encore Dantzig, Riga, Cracovie, Stockholm, entre autres cités commerçantes, avec des comptoirs depuis Londres jusqu’à Novgorod, sur l’axe géographique mer du Nord-mer Baltique. Les échanges s’ordonnent autour des marchandises précédemment mentionnées (draps d’Angleterre et des Flandres, matières premières de l’hinterland russe et de l’espace Baltique) ainsi que du sel de Bretagne et du Portugal, ou encore des céréales de Prusse et de Pologne. La Hanse entretient des comptoirs communs à ses membres, fait respecter ses règles commerciales et met en œuvre une véritable politique extérieure, avec parfois le recrutement de mercenaires et des engagements armés contre les puissances de l’époque. La montée en puissance des Etats territoriaux autour de la Baltique et de la mer du Nord ainsi que le déplacement des centres de gravité de la vie économique vers l’océan Atlantique, suite à la découverte des Amériques, ont finalement raison de la Hanse et de ses solidarités.

(5) Sur les éléments de continuité entre Kiev et Novgorod, voir Nicholas V. Riasanovsky, Histoire de la Russie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1994, pp. 99-100.

(6) L’expression « Russie des apanages » désigne la période historique située entre la destruction de Kiev (1240) et le « rassemblement des terres russes » à l’intérieur de la principauté de Moscovie, sous la direction d’Ivan III, dit « Le Grand » (1462-1505). La disparition de l’Etat kiévien provoque un déplacement du centre de gravité du monde russe vers le Nord et le Nord-Est. Les luttes entre cités et principautés que manipulent et arbitrent les Tatars dominent la période, sans toutefois faire disparaître les liens d’unité sur les plans matériel et culturel. Les apanages sont des territoires séparés, attribués à chacun des héritiers des grands princes, le droit privé l’emportant sur le droit public. Par ailleurs, les Slaves orientaux commencent à se différencier selon des lignes de partage qui annoncent les distinctions ultérieures entre Russes, Biélorusses et Ukrainiens.

(7) Alexandre Nevski se rend à Saraï, la capitale de la Horde d’Or située dans le bassin inférieur de la Volga, pour y recevoir le yarlik en qualité de grand-prince de Kiev (le yarlik était une autorisation accordée par le Khan de la Horde d’Or qui permettait de régner et collecter le tribut).

(8) Réfugié en Angleterre puis en France, Alexandre Herzen (1812-1870), penseur et révolutionnaire russe d’inspiration libertaire, publie à Londres le Kolokol (La Cloche), de 1857 à 1865, en étroite collaboration avec Nicolaï Ogarev. Cette publication a eu une grande influence sur le mouvement des idées en Russie. Il est à noter que Herzen, après une période de bannissement à l’intérieur de la Russie (à Perm et dans le Tatarstan) et un séjour à Saint-Pétersbourg, a vécu à Novgorod avec femme et enfants. En 1847, il s’exile en Occident et vit entre Paris, Londres, Genève et Nice. Il meurt dans cette dernière ville où se trouve sa tombe.

(9) L’expression « syndrome du samovar » est inspirée par les réflexions d’Alain Besançon sur la complaisance à l’égard des caractéristiques du régime politique russe, des dirigeants du pays et de leurs menaces régulières à l’encontre des voisins occidentaux. « C’est comme un vieux travers de la Russie, écrit Alain Besançon, presque un élément du folklore, comme le samovar. C’est leur habitude et nous nous y habituons ». Cf. Alain Besançon, « A l’Est, rien de nouveau », Le Figaro, 19 août 2008.