Fin de partie en Russie ? Enjeux et acteurs d’un libéralisme post-Poutine

Laurent Vinatier, chercheur associé à l’Institut Thomas More, auteur (direction) de La Russie de Poutine à Medvedev (Paris, Unicomm, 2008)

14 mars 2012 • Analyse •


Le 4 mars Vladimir Poutine, Premier ministre sortant, est élu sans surprise dès le premier tour de scrutin avec près de 64% des voix, à la présidence de la Fédération de Russie. De facto, il s’agit plutôt d’une réélection. Après une pause constitutionnelle réglementaire entre deux mandats successifs, l’homme fort de Russie depuis 12 ans (1) retrouve son siège présidentiel pour, cette fois, un mandat de 6 ans. La mécanique électorale paraît parfaitement huilée, pourtant il règne un parfum d’incertitude à Moscou. Les déclarations péremptoires du Président élu, le soir de sa victoire, qualifiant ce scrutin « d’élection la plus propre de toute l’histoire de la Russie » et précisant que « nous avons gagné dans un combat ouvert et impartial » (2), cachent mal le besoin d’affirmer avec force sa nouvelle et apparente légitimité. Les fraudes, selon les observateurs indépendants de l’organisation russe Golos, ont été massives. Le candidat communiste Guennadi Ziouganov, arrivé deuxième avec 17% des voix, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne reconnaîtrait pas le résultat. Quant à l’opposition hétéroclite qui s’était rassemblée il y a trois mois pour contester les élections parlementaires, elle reste largement mobilisée.

En décembre dernier, l’Etat poutinien vacillait. Mais on ne change pas si facilement une organisation minutieusement établie, un « système » en quelque sorte – pyramidal en l’occurrence, ou solaire – où tous les acteurs ont leur place, interagissent les uns avec les autres et évoluent autour d’un homme clé, dont leur survie dépend. Les dizaines de milliers de manifestants, sortis dans le froid hivernal pour protester contre la fraude électorale grossière du scrutin législatif, ont clairement signifié que ce « système » a dépassé les bornes. Il s’agissait des scènes de colère populaires les plus importantes depuis la chute de l’Union Soviétique. Deux pas essentiels ont été franchis : l’exaspération d’abord des citoyens face aux abus et à l’incurie étatique paraît sans retour ; le courage de s’opposer ensuite gagne un nombre toujours plus important de personnes. Les citoyens russes n’ont plus peur de leurs dirigeants.

Il n’y a aucune raison pour que la contestation faiblisse aujourd’hui. En dépit des résultats du scrutin officiel, il se prépare un deuxième tour en Russie qui se jouera dans la rue et pourrait durer un moment. Il est trop tard en effet : le système ne peut se renouveler éternellement et verrouiller toute chance d’alternative derrière une légitimité approximative et fragile. C’est là la nouveauté majeure de ce double processus électoral, législatif et présidentiel, en Russie. Personne, au sein et hors du système, n’est plus sûr que Poutine puisse aller au bout de son troisième mandat (3). Le doute gagne les plus hautes sphères du pouvoir. Les calculs, tactiques, plans et manipulations ne suffisent plus à assurer la pérennité de la petite équipe dirigeante. Il ne faut pas, certes, sous-estimer l’instinct de survie de Vladimir Poutine et de ses alliés, d’autant que ceux-ci ont à leur disposition toute une panoplie d’instruments politiques, économiques, militaires (dans une moindre mesure), susceptibles d’accroître leurs talents et leur résistance. Mais ils ne maîtrisent plus totalement l’agenda politique russe. Même si le système, arguant de sa légitimité, décide d’employer la force et arrête durablement tous les leaders de l’opposition, il ne fera qu’alimenter les accusations, déjà formulées à son encontre, de dérives autoritaires et non démocratiques. Il risque de saboter lui-même les bases de respectabilité qu’il a mis du temps à rétablir. Une page se tourne pour Poutine. La fin de règne commence aujourd’hui.

La présidentielle de 2012 : l’erreur de Vladimir Poutine

Il y a une erreur d’appréciation de la part du Premier ministre russe, le 24 septembre dernier au congrès du parti Russie Unie, quand il annonce la reconduction inversée du tandem, à la faveur sans suspense de la prochaine élection présidentielle. Personne bien sûr ne croit qu’il puisse perdre le scrutin, mais lui-même n’imagine pas non plus qu’il puisse se faire accuser de provoquer un « putsch constitutionnel ».

Vladimir Poutine pense au contraire agir selon les règles établies, au moins à la lettre : deux mandats successifs maximum, assortis de la possibilité de se représenter après une « pause ». Il néglige cependant ostensiblement la réalité politique russe. Une partie de ses concitoyens vit cet ajustement électoral comme un retour en arrière ou un statu quo, en tout cas la réitération pendant 12 nouvelles années du même « système » Poutine. C’est l’annulation de toutes perspectives nouvelles, l’altération des changements et du processus de modernisation, mais aussi un coup d’arrêt à l’assouplissement et au renouvellement des cadres. Les portes se renferment sur une organisation gouvernementale, sociale et économique qui se fige de nouveau. Prédomine, au sein de la population, l’impression d’une classe politique de plus en plus déconnectée, centrée sur un homme, tournée vers le haut, qui s’auto-entretient et s’auto-régénère.

Le Premier ministre n’est pas dupe. Il perçoit bien l’affaiblissement politique de la machine de guerre partisane, Russie Unie, qu’il a initiée et dont la cote de popularité décroît un peu partout en région. Il pâtit évidemment de ce déclin, dont il admet qu’il faut tenir compte. Il accepte donc d’enregistrer un recul maîtrisé aux élections législatives de décembre mais laisse Dmitri Medvedev, son futur Premier Ministre, aller au front et conduire officiellement la liste. La sanction prévue tombe le 4 décembre : moins de 50% des voix et la perte de 77 sièges. Vladimir Poutine croit être épargné ; il pense aussi avoir ajusté le tableau parlementaire aux attentes de la population. Mais la défaite calculée n’est pas suffisante. Une part croissante de ces concitoyens refuse bruyamment cette concession législative, le 10 et le 24 décembre 2011, le 4 février 2012 et bien sûr depuis le 4 mars. Même l’Eglise orthodoxe, pourtant loyale au Kremlin, allié indéfectible depuis le début du système, exprime ses doutes quant aux choix du pouvoir. Le lendemain des premières manifestations de rue en décembre, le Patriarcat reconnaît dans un communiqué que « les protestations posent des questions très sérieuses et assez inconfortables aux autorités » et enjoint « celles-ci à répondre de manière adéquate et honnête aux demandes de l’opposition » (4).

Le Premier ministre a à l’évidence mal évalué le sens profond de sa perte de popularité. Il n’a pas compris ou fait semblant de ne pas comprendre que l’enjeu politique de l’élection présidentielle n’est autre que sa légitimité à prolonger le même système pendant encore deux mandats, dont il a lui-même augmenté la durée de quatre à six ans. L’opposition de rue ne s’y trompe pas en faisant valoir des revendications essentiellement politiques (5). Elle vise d’abord l’annulation de l’élection du 4 décembre, la démission forcée de Vladimir Chourov, le chef de la commission électorale et une libération médiatique, c’est-à-dire l’accès libre de tous les représentants politiques aux canaux d’information ; elle ajoute que l’actuelle Douma, illégitime, doit, avant de s’auto-dissoudre, établir des règles électorales nouvelles et démocratiques, dont l’abaissement du seuil minimum pour qu’un parti puisse intégrer l’assemblée et l’enregistrement facilité de toutes les formations politiques. Désormais depuis le 4 mars, c’est le départ de Poutine qui cristallise les exigences de l’opposition et qui assurerait l’ouverture du système.

De manière générale, se pose aujourd’hui en Russie la question du libéralisme. Quelle dose de libéralisme faut-il introduire au sein ou contre ce système ? Les Russes ne découvrent pas, évidemment, les idées libérales. Celles-ci fleurissent avec plus ou moins de succès et de pertinence depuis la chute de l’Union Soviétique, mais il devient simplement urgent, ainsi que l’expriment les manifestants, de les mettre en œuvre efficacement au service de l’Etat. Deux voies se distinguent et se positionnent en vue d’une transition, avec ou sans Poutine. La première est celle de la rue, organisée autour des leaders historiques, non compromis, de l’opposition démocratique et libérale russe, extérieure au système. La seconde, peut-être plus prometteuse, est portée par des personnalités de l’entourage de l’ex-Premier ministre, cherchant à sortir du lot pour mener à bien l’éventuelle mutation du pouvoir russe.

L’opposition de la rue : un désir hétéroclite de démocratie

C’est un amalgame d’oppositions très diverses qui se rassemblent pour contester et exiger le départ de Poutine. Aux simples citoyens, souvent non vraiment politisés, qui étrennent ainsi une expérience politique, se mêlent des militants professionnels, à la fois communistes, socialistes, nationalistes, nationaux-communistes, démocrates au sens du vieux parti russe Iabloko, libéraux pro-européens héritiers des oligarques des années Eltsine. Personne ne s’entend sur l’avenir, mais ils se retrouvent tous dans une posture défensive d’opposition. Leur unité, comme souvent, est négative.

Les leaders présentent également des profils et des antécédents pour le moins éclectiques. Aux ex-ministres sous Eltsine et Poutine, Boris Nemtsov ou Vladimir Milov et même Premier ministre, Mikhaïl Kassianov, se joignent Garri Kasparov, plus connu pour ses succès aux échecs que pour son charisme politique, Vladimir Ryzhkov, député indépendant, l’écrivain populaire et célèbre Boris Akounine, le journaliste Leonid Parfenov, le chanteur Iouri Chevtchouk. A ceux-là s’ajoutent quelques jeunes leaders très politisés, Ilya Iachine en tête, issu de Iabloko, puis viennent les figures de la société civile : Evguenia Tchirikova de l’association pour la défense de la forêt de Khimki et Alexeï Navalny (6) à cheval entre le nationalisme et l’ouverture démocratique à l’européenne. Aucun ne peut vraiment prétendre exercer une influence fédératrice ni bien sûr accéder aux plus hautes fonctions politiques. Ils présentent, chacun différemment, une défaillance ou une faiblesse qui nuit à leur légitimité populaire.

Boris Nemtsov, Vladimir Milov, Mikhaïl Kassianov, mais aussi Vladimir Ryzhkov, appartiennent au passé. Ils hantent les couloirs de la Douma ou des sphères politiques russes depuis une quinzaine d’années. Nemtsov est marqué du sceau ambivalent des années Eltsine, véritable repoussoir économique aux yeux des classes moyennes russes. Kassianov et Milov, quant à eux respectivement, ancien Premier ministre et vice-ministre de l’Energie du début de mandat de Poutine, ont certes rompu avec le « système », mais ne parviennent pas à convaincre de leur nouvelle probité. Leurs voyages aux Etats-Unis et leurs fréquents contacts avec des représentants américains ne contribuent pas à améliorer leur image. Ryzhkov enfin, comme Grigori Iavlinski de Iabloko, ont fini par lasser dans leur posture d’éternel opposant, de manière involontaire sans aucun doute, victimes des interdictions du pouvoir. En tout état de cause, il est douteux que ces hommes du passé puissent incarner à eux seuls l’avenir de la Russie.

Les autres, Kasparov, Parfenov, Akounine, Chevtchouk et Tchirikova ne sont absolument pas des personnalités politiques. Ils cristallisent de la sympathie ou de l’intérêt dans l’opinion publique par leurs activités annexes dans lesquelles ils excellent, mais n’ont jamais prouvé qu’ils pouvaient être des hommes (ou femme) d’Etat, capables de donner une direction à leur pays. Ce ne sont pas des décideurs ; ils n’ont pas exercé de responsabilités politiques. En Russie (comme partout sans doute), on ne s’improvise pas homme politique. Ceux-là n’ont aucune chance de convaincre la population, sauf peut-être pour des postes de second rang au service d’un véritable chef.

Seuls Alexeï Navalny et Ilya Iachine pourraient à moyen terme tirer leur épingle du jeu. Ce sont tous les deux des professionnels de la politique et font preuve d’un charisme certain et d’une réflexion idéologique. Navalny présente sans doute le profil le plus original, réussissant le tour de force d’allier une réelle crédibilité démocratique, libérale et une reconnaissance au sein des cercles nationalistes. Il est capable, comme il l’a démontré lors des récentes manifestations, d’intervenir face à une foule de radicaux extrémistes scandant « La Russie aux Russes », certains des membres même faisant le salut nazi. Crédible dans son positionnement, il le défend depuis plusieurs années déjà (7), au moins depuis la création du mouvement Narod en 2007. Il n’y a donc pas chez Navalny d’engagement opportuniste postélectoral qui se serait dessiné dans le contexte troublé de la consultation de décembre dernier.

Navalny et Iachine semblent cependant encore trop jeunes pour prétendre à un rôle déterminant. Mis à part contester, s’opposer, critiquer, ils n’ont encore rien fait pour la Russie de véritablement constructif. Il faudrait qu’ils fassent leurs preuves de décideurs. A court terme ainsi, ils ne devraient pas obtenir la confiance de leurs concitoyens. On pourrait imaginer cependant qu’ils puissent s’associer à un système transformé faisant une place plus large à la seconde catégorie de libéraux, plus pragmatiques. Ils gagneraient certainement en autorité et en influence pour les années futures. Ces personnalités de l’intérieur sont la clé de l’évolution libérale russe.

Les insiders : le compromis libéral

Personne ne croit plus que le système de pouvoir organisé autour de Vladimir Poutine soit monolithique. On a déjà écrit largement sur les rivalités d’influence entre groupes politiques : d’une part, ceux représentant une voie centralisatrice, dominée par les organes de sécurité, les siloviki, de l’autre les partisans d’une Russie plus européenne, respectueuse des règles du marché, qualifiés de « libéraux ». Un analyste russe de premier plan, Mikhaïl Sokolov, journaliste à Radio Liberty, parle de « libéraux non démocrates » ; il les oppose aux « libéraux démocrates » composant l’opposition de rue (8). Les postures pourraient évoluer plus vite que prévu.

Ces « libéraux non démocrates » ne souhaitent pas une remise en cause complète de l’Etat poutinien. Loyaux, ils ont participé à sa mise en place puis à sa consolidation. Ils en font partie intégrante. Ils incarnent cependant une option de développement futur plus ouvert, plus souple politiquement et mieux disposé à l’endroit de la libre initiative. Ils ont soutenu par exemple les efforts prudents de Dmitri Medvedev en faveur de la modernisation russe. Ils ne seraient pas opposés non plus au démantèlement de Gazprom. Ils perçoivent bien que la Russie et ses entreprises gagneraient davantage à fonctionner selon les règles du marché. C’est le cas déjà d’une certaine manière au niveau international, mais beaucoup reste à faire à l’intérieur et dans les relations avec les voisins directs de l’ex-espace soviétique, plus ou moins satellisés. En somme, ils défendent une triple réforme, qui est d’ailleurs déjà timidement initiée : disparition des grandes corporations industrielles publiques, libéralisation des marchés, respect de la règle de droit en Russie. Ceux-là enfin, au niveau international, seraient évidemment plus enclins au compromis avec l’Union européenne sur l’Accord de Partenariat et de Coopération, et notamment sur son délicat volet énergétique qui doit intégrer le Traité sur la Charte de l’Energie.

La plupart des observateurs ont voulu voir Dmitri Medvedev en chef de file de ces libéraux non démocrates. Après quatre années au pouvoir, le bilan est maigre. La réalité idéologique et politique est ailleurs. La tendance paraît beaucoup mieux incarnée par Alexeï Koudrine, ancien vice-Premier ministre et ministre des Finances, très proche de Vladimir Poutine qui ne lui a jamais retiré sa confiance. Au sein des cercles politiques russes, il est un critère qui, dit-on, est particulièrement éloquent : la capacité d’un ministre à tutoyer le Premier ministre. Deux seulement y sont autorisés : Koudrine est l’un d’eux. Aujourd’hui, par opportunisme sans aucun doute, l’homme d’affaires milliardaire, Mikhaïl Prokhorov voudrait également jouer cette carte du libéralisme intra-système.

Derrière ces deux figures de proue, un certain nombre d’intellectuels, d’experts, de ministres de moindre importance agitent ces idées et maintiennent une forme de pression politique. Le ministère du Développement économique, sous l’autorité de German Gref puis d’Elvira Nabiullina, joue en la matière un rôle non négligeable. Il en va de même du Centre pour la Recherche stratégique (Centr strategicheskih razrabotok), dirigé par Mikhaïl Dmitriev, un ancien collaborateur de Gref, et de l’Institut pour le Développement contemporain (Instituta sovremennogo razvitija) animé par Igor Yurgens, qui ne cache pas ses convictions et objectifs et qui a un temps eu l’oreille de Dmitri Medvedev. Au Kremlin directement, il faut citer l’excellent et influent Arkadi Dvorkovich, conseiller économique du président.

Cette tendance, certes minoritaire, exerce une influence notable. Elle n’a pas pu tout à fait s’exprimer lors du dernier mandat. Il s’est ouvert désormais, depuis le 4 décembre 2011, une fenêtre d’opportunités. Alexeï Koudrine et Mikhaïl Prokhorov ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Le premier est intervenu devant la foule des manifestants, reconnaissant la défaillance électorale. Tentant de récupérer le mouvement des manifestants, il s’est dit disponible pour constituer une structure consolidée défendant les valeurs libérales et démocratiques en Russie. Mikhaïl Prokhorov quant à lui, avant l’élection présidentielle, avait promis qu’il nommerait Alexeï Koudrine, s’il l’emportait (9). Les deux hommes, clairement, se positionnent dans le nouveau jeu politique qui se dessine actuellement en Russie. Bien sûr, comme le font valoir de nombreux observateurs, ces deux hommes sont largement instrumentalisés par le système. Ils lui servent sans doute de cautions, mais leur réalité idéologique est incontestable. Ils ne jouent pas, eux, le rôle des libéraux d’appoint ou de secours. Ils le sont vraiment et portent avec eux une tendance forte et persistante de la vie politique russe. Marionnettes peut-être, mais s’ils devaient accéder à de hautes fonctions, leur impact ne serait pas négligeable.

Personne ne doutait que Vladimir Poutine soit élu. La force et la persistance des mobilisations s’avèrent en revanche plus incertaines. Si celles-ci devaient durer, si les manifestants devaient résister aux réactions vives d’un pouvoir plus ou moins légitimement élu, alors le nouvel ancien président pourrait accepter un compromis et confier le gouvernement à un représentant de cette tendance libérale. Il sacrifierait le tandem qu’il forme avec Medvedev et nommerait Koudrine ou Prokhorov Premier ministre. Un premier pas serait franchi : le Président Poutine ouvrirait son mandat par une concession, légère mais symbolique.

Mikhaïl Khodorkovsky : l’enjeu de la nouvelle Russie poutinienne

Une première concession, minuscule certes, mais elle aussi hautement symbolique, est déjà à prendre en considération. Dès le lendemain de la victoire annoncée de Poutine, Dmitri Medvedev encore en exercice ordonne au Procureur Général de vérifier la légalité de la condamnation de Mikhaïl Khodorkovsky. Le ton manifestement est donné : c’est bien sur le terrain du libéralisme que le système actuel cherche à répondre à la rue et aux jeux d’influence des insiders. Or l’oligarque, accusé et emprisonné aussi pour des raisons politiques, incarne, positivement ou négativement, aux yeux du plus grand nombre en Russie, cette voie européenne, plus souple et flexible, plus proche des pratiques économiques occidentales. Certes, à n’en point douter, il s’agit surtout pour le pouvoir de désamorcer la coalition de ces deux oppositions, mais il semble que les fissures soient déjà trop profondes. Les manifestations de décembre et celles d’aujourd’hui ont secoué le pouvoir sans lui permettre de revenir à l’équilibre ex-ante. Le système est déjà en phase d’évolution. Il est très probable alors que la question de la libération de Khodorkovsky, qui n’est pas encore à l’ordre du jour, devienne un enjeu du nouveau mandat de Poutine. Libre, Khodorkovsky passerait automatiquement au cœur du mouvement libéral et démocratique russe avec des conséquences imprévisibles.

Dans l’immédiat, l’avènement éventuel au poste de Premier ministre de personnalités plus crédibles idéologiquement que Dmitri Medvedev serait une victoire pour cette tendance libérale non démocrate au sein du système, mais aussi à moyen terme pour les libéraux démocrates nationalistes de la rue. Si ceux-ci ne sont pas mis en prison, physiquement menacés ou définitivement écartés de la vie politique russe, alors ils pourraient obtenir davantage. Igor Sechin, chef de file des siloviki pourrait voir son influence et son rôle politique s’amoindrir. Pourquoi aussi ne pas envisager qu’un Navalny ou un Iachine soient associé au gouvernement ? A la différence de leurs aînés trop longtemps restés à l’écart, ceux-ci devraient accepter les postes et agir pour renforcer la transition.

Notes •

(1) Il a été élu pour son premier mandat présidentiel en mars 2000 et réélu en mars 2004. Il a dû laisser la présidence à Dmitri Medvedev en mars 2008.

(2) Reuters, 4 mars 2012.

(3) Cette opinion est aussi entendue au sein des cercles diplomatiques à Moscou.

(4) Tom Balforth, “Kremlin offers minor concessions to protesters”, Russia Report, Radio Liberty, December 12, 2011.

(5) Conférence d’Ilya Iachine, membre du bureau du groupe Solidarnost, Institut d’Etudes politiques de Paris, 15 février 2012.

(6) Figure de proue du mouvement, il fait l’objet d’une intense couverture médiatique depuis plusieurs mois, notamment de la part des médias occidentaux.

(7) Voir Laurent Vinatier, La jeunesse d’opposition en Russie… à la recherche d’alternatives politiques, Institut Thomas More, 2007.

(8) Conférence de Mikkhaïl Sokolov, Institut d’Etudes politiques de Paris, 15 février 2012.

(9) Il est arrivé troisième avec 7% des voix dans l’ensemble de la Fédération, mais deuxième à Moscou.