Face à l’Iran chiite-islamique · Lucidité et persévérance dans l’épreuve des forces

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

25 juin 2013 • Analyse •


L’élection d’Hassan Rohani à la présidentielle du 14 juin 2013 a suscité une vague de commentaires favorables. La « souplesse » inattendue du Guide de la Révolution et la « modération » du nouveau président porteraient l’espoir d’un grand arrangement : le renoncement au nucléaire militaire moyennant la levée des sanctions internationales. En fait, il est à redouter que les tactiques dilatoires iraniennes visent à faciliter les dernières étapes avant le stade nucléaire. Aussi faudra-t-il aller plus loin encore dans les pressions à l’encontre du régime chiite-islamique et de ses affidés.


Encore inconnu du public à quelques jours de l’élection présidentielle, Hassan Rohani l’a donc emporté au premier tour avec un peu plus de la moitié des suffrages. Si l’on en croit bien des commentaires, ce serait là une divine surprise propice à la relance des négociations avec en perspective un grand arrangement fondé sur la bonne volonté réciproque et les intérêts bien compris de chacun. L’élection de Hassan Rohani annoncerait que le Guide de la Révolution, Ali Khamenei, et le pouvoir chiite-islamique seraient prêts à renoncer à l’arme nucléaire moyennant la levée des sanctions internationales qui affaiblissent l’économie iranienne. Contre toute attente, il est à craindre qu’il ne s’agisse de gagner du temps pour progresser vers l’objectif central de Téhéran : un Iran nucléarisé dominant le Proche et Moyen-Orient.

Une élection en trompe-l’œil

De prime abord, il faut rappeler les circonstances de cette élection. C’est après la rigoureuse sélection par Ali Khamenei, seul maître de l’Iran en dernière instance, et le Conseil de la Révolution d’un petit nombre de candidats compatibles avec la nature et les orientations du régime chiite-islamique que la présidentielle iranienne a pu être organisée. A juste titre, la grande majorité des commentaires journalistiques insistaient alors sur le verrouillage du régime sous la direction d’Ali Khamenei; la « république islamique » est tout sauf une res publica et ce sont les luttes de pouvoir entre clans et sous-clans qui tiennent lieu de pluralisme politique.

A l’issue de ce processus (un trompe-l’œil), c’est donc Hassan Rohani qui est sorti gagnant. Il appert que sa candidature, faute de mieux, a capté les voix des Iraniens souhaitant un avenir autre que celui concocté par un régime qui manipule et instrumentalise la religion, rappelons en effet qu’une part notable du clergé chiite s’est détournée du régime. « De deux maux, choisis le moindre » : le fait électoral vient illustrer l’ancien adage. Pourtant, ceux là-même qui n’avaient pas envisagé un tel cas de figure parent soudainement Hassan Rohani de toutes les vertus. Doté d’une intelligence supérieure et d’un savoir-faire stratégique unanimement reconnu, le nouveau président incarnerait l’esprit de réforme face aux « conservateurs » tant honnis. Emportés par leur élan, d’aucuns peinent à dissimuler une certaine admiration pour le « chat persan ». Trop fort, l’Iran !

Il faudrait s’interroger sur cette opposition scénarisée entre réformateurs et conservateurs qui, en Iran comme dans la « Russie-Soviétie » d’antan, tient lieu de grille de lecture. Curieusement, les partisans les plus convaincus du révolutionnarisme chiite-islamique, révolutionnarisme plus ou moins teinté de tiers-mondisme (la révolution iranienne est un islamo-gauchisme), sont qualifiés de « conservateurs ». Serait-ce là une des multiples expressions du sinistrisme qui affecte une partie de l’intelligentsia et la doxa intellectuelle qui en procède ? Image pour image, les adeptes du révolutionnarisme chiite-islamique devraient plutôt être comparés aux militants trotskystes engagés dans leur « révolution permanente ».

Un serviteur du régime

Si l’on considère la carrière du nouveau président iranien qui, sous l’autorité et le contrôle du Guide de la Révolution, ne sera jamais qu’un premier ministre aux pouvoirs limités – d’autant plus que les Pasdarans occupent par ailleurs d’importantes positions de pouvoir -, on ne saurait y voir une personnalité en rupture avec le régime. Au vrai, comment pourrait-il l’être ? Né en 1948, Hassan Rohani a suivi des études islamiques à Semnan puis à Qom avant de se former au droit, à l’université de Glasgow. Cet intermède occidental ne le rallie pas à la modernisation autoritaire du Shah et il rejoint l’Ayatollah Khomeiny en exil. En 1979, Hassan Rohani est l’un des activistes de la révolution islamique qui mène celui-là au pouvoir suprême.

Hassan Rohani est ensuite élu à l’Assemblée consultative islamique puis il occupe pendant treize ans le poste de secrétaire du Conseil suprême de Sécurité nationale, une instance-clef dans le système sécuritaire du régime. Après que les Moudjahidines du Peuple (l’opposition extérieure au régime) aient mis au jour le programme nucléaire clandestin de l’Iran, en 2002, Hassan Rohani devient l’interlocuteur de l’UE-3 (France, Royaume-Uni, Allemagne) en charge des négociations pour la Communauté internationale. Les tactiques dilatoires qu’il déploie permettent de conjurer la menace d’une intervention militaire américaine sur les sites nucléaires (une opportunité historique gâchée?). Le serviteur du régime ayant rempli son office, celui-ci est congédié; Téhéran reprend sa course à l’atome.

En dépit des faits, cet épisode est présenté comme un succès européen et cela explique pour partie le préjugé favorable dont bénéficie Hassan Rohani, campé en « pragmatique » (un terme apprécié en Occident mais privé de sens dans des sociétés dont les fondements éthiques se dérobent). Au plan général, les difficultés provoquées par l’embargo occidental sur le pétrole iranien ont profondément affaibli l’économie, ce qui est censé conduire Hassan Rohani à renoncer à l’arme nucléaire pour obtenir la levée des sanctions. C’est oublier que la décision, comme le contrôle du programme nucléaire, ne lui appartient pas, le Guide de la Révolution conservant la main haute sur tout cela. De surcroît, la corrélation des forces n’est pas en défaveur du régime. D’une part, le pays est au seuil du nucléaire et de nouvelles palinodies diplomatiques pourraient lui permettre d’aller au bout. D’autre part, le régime est à l’offensive sur le théâtre syrien et menace de surclasser les régimes arabes-sunnites de la région.

La paix par la force

Le contexte régional et la proximité d’échéances décisives devraient inciter les Occidentaux non pas à la complaisance mais à la fermeté dans leur confrontation diplomatique avec l’Iran. L’heure n’est pas aux concessions ou au gradualisme : il ne s’agit pas de « dialoguer » avec l’Iran mais de contraindre le régime à renoncer à ses ambitions nucléaires, sous la menace de la force. Sont en jeu la sécurité et la paix en Europe.

La partie se joue également sur le théâtre syrien et dans les régions adjacentes. L’engagement des Pasdarans et des milices du Hezbollah au côté d’Assad appellent un soutien plus affirmé à certains des groupes d’opposants armés (formation et entraînement, armes, voire zones d’exclusion aériennes). Dans l’esprit de la Conférence des Amis de la Syrie (Doha, 22 juin 2013), il faudrait aussi sanctionner le Hezbollah.