Élections présidentielles au Mali · Première étape d’une longue transition

Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Juillet 2013 • Note d’actualité 10 •


Alors que le premier tour des élections présidentielles aura lieu le dimanche 28 juillet prochain, la campagne bat son plein au Mali. Mais la transition ne fait que commencer, avec des opérations militaires qui se poursuivent et le passage de relais de la Misma (CEDEAO) à la Minusma (ONU).


Le 28 juillet aura lieu le premier tour des élections présidentielles maliennes. À quelques jours du scrutin, il reste difficile de prévoir si les Maliens pourront voter dans des conditions sereines et quels en seront les résultats. D’ores et déjà, la date retenue a été critiquée par plusieurs observateurs et acteurs maliens. Ceci étant, derrière ce rendez-vous important pour la normalisation politique du pays et sa reconstruction, le processus de transition commence à peine, imposant un effort dans la durée de l’ensemble des acteurs maliens et de la communauté internationale, en particulier des Africains dont la capacité de gestion militaire des crises doit encore être renforcée.

Des élections contestées

Le 7 juillet, la campagne pour les élections présidentielles a officiellement commencé. Sur les trente-six personnes qui se sont portées candidates pour le premier tour, la Cour constitutionnelle a validé vingt-huit dossiers réunissant les conditions définies par la loi du 4 septembre 2006 : versement d’une caution de 10 millions de francs CFA (soit un peu plus de 15 200 euros) – remboursée à hauteur de 50% en cas de score supérieur à 5% des voix au premier tour –, et obtention du parrainage d’au moins dix députés ou de cinq élus communaux dans chaque région du Mali et dans le district de Bamako.

Plusieurs « vieux routiers » de la politique malienne se sont portés candidats. Ibrahim Boubacar Keïta, 68 ans, a été premier ministre de 1994 à 2000, sous la présidence d’Alpha Oumar Konaré (1992-2002), et président de l’Assemblée nationale. Soumaïla Cissé, 63 ans, a exercé comme ministre des Finances, également avant l’arrivée au pouvoir d’Amadou Toumani Touré. Blessé par les putschistes en avril 2012, il est un farouche opposant de la junte. Tiébilé Dramé, 58 ans, a été ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de transition de 1991-1992. Candidat malheureux avec moins de 5% des voix lors des élections présidentielles de 2002 et de 2007, il a négocié le cessez-le-feu signé le 18 juin dernier avec les rebelles touaregs à Ouagadougou (1). Soumana Sacko, 63 ans, a été ministre des Finances dans les années 1980 et premier ministre durant la transition militaire de 1991-1992, avant de soutenir Amadou Toumani Touré lors des scrutins de 2002 et de 2007. Modibo Sidibé, enfin, a été premier ministre d’Amadou Toumani Touré entre 2007 et 2011, dont il défend d’ailleurs l’héritage (2).

Le calendrier des élections a été critiqué à plusieurs reprises. Le 26 juin, International Crisis Group appelait ouvertement à un report « d’au plus trois mois » afin de permettre « que la majorité des citoyens désireux de voter [soient] en mesure de le faire » (3). Deux principaux reproches sont adressés : choix de la date (saison des pluies, début du ramadan) et manque de temps pour organiser le scrutin (distribuer les nouvelles cartes d’identification nationales, mettre à jour les listes électorales et permettre aux réfugiés et déplacés de voter). Le 17 juillet, Tiébilé Dramé annonçait même son retrait de la campagne, estimant que les conditions d’une élection régulière n’étaient pas réunies en l’absence de représentants de l’administration malienne dans la région de Kidal entre le 5 et le 25 juin, période définie par le gouvernement pour la mise à jour des listes électorales par des commissions locales (4).

Des critiques à nuancer

Derrière ces prises de position, le tableau n’est cependant pas si sombre, comme le rappellent les sénateurs Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher dans un rapport publié par le Sénat le 3 juillet dernier (5). Certes, le fichier électoral actuel – constitué à partir du fichier RAVEC (recensement à vocation d’état civil) de 2010 « dont la fiabilité est globalement jugée suffisante » – dénombre 265 000 électeurs à l’étranger contre plus de 700 000 dans l’ancienne version, et plus de 20 000 électeurs sont inscrits sans que l’on connaisse leur lieu de résidence et n’ont donc pas été pris en compte (6). Mais selon le général Sangaré, délégué général aux élections du Mali, un report de quelques semaines ou de quelques mois n’aurait pas permis, de corriger ces carences afin de permettre des élections en 2013. Ensuite, la saison des pluies, qui rend les voies de communication difficilement praticables, et le ramadan pourront « gêner le déroulement des élections présidentielles », mais il ne s’agit nullement d’obstacles infranchissables. D’ailleurs, les Maliens ont déjà voté à plusieurs reprises pendant la saison des pluies, comme lors des dernières élections législatives.

Si les déplacés et les réfugiés sont plus de 400 000, ils devraient également voter. Pour les déplacés sur le sol malien, les autorités maliennes ont prévu une possibilité de vote en dehors des bureaux où ils sont inscrits. Concernant les 175 000 réfugiés, dans des pays frontaliers du Mali, les autorités de la Mauritanie, du Niger et du Burkina Faso – pays où la plupart se trouvent – ont donné leur accord à l’organisation du scrutin sur leur territoire. Le Niger a même été jusqu’à proposer un appui financier et matériel à la future opération.

Reste que le Mali est un pays où le taux de participation est traditionnellement bas, oscillant entre 20 et 40%. Lors des élections présidentielles de 2007, la participation moyenne nationale s’élevait à 36,24%, avec de surcroît un nombre élevé de bulletins nuls. D’ailleurs, c’est dans le Nord que les taux de participation ont été les plus élevés, avec plus de 50% dans les régions de Tombouctou, Gao et Kidal (pour 24,5% de votants dans le district de Bamako). En effet, alors que dans ces zones la société est encore structurée en ethnies « nobles » et « esclaves », les unes « cherchant à conserver leur hégémonie, les autres luttant pour s’en affranchir définitivement », la participation aux processus électoraux est un moyen de remettre en cause – ou de préserver – l’emprise des autorités traditionnelles (7).

Un processus qui sera long

La bonne tenue du scrutin repose en partie sur sa sécurisation par les forces maliennes et les forces internationales. Plusieurs candidats ont d’ailleurs demandé après l’ouverture de la campagne à être protégés pendant leurs déplacements. Non sans raison : samedi 20 juillet, six personnes, dont des agents électoraux et un élu de la localité de Tessalit, étaient enlevées pendant une opération de distribution de cartes d’électeurs avant d’être libérées le lendemain (8). Cependant, les élections présidentielles ne sont qu’une étape dans un processus plus vaste de réconciliation, de reconstruction de l’État et de règlement de tensions anciennes. « Les causes profondes de l’actuelle crise, rappellait en effet International Crisis Group le 26 juin, vont bien au-delà de la faillite de la démocratie électorale. Même une élection crédible et techniquement réussie ne suffira pas à rebâtir la démocratie, reconstruire le système politique et l’appareil sécuritaire et réconcilier la société malienne avec elle-même » (9).

Le 1er juillet dernier, la Misma a laissé la place à la Minusma pour accompagner les autorités maliennes dans le processus de transition politique. De leur côté, les forces françaises restent indépendantes, suivant une articulation définie dans un accord technique signé le 13 juillet, avec une mission centrée sur les opérations anti-terroristes et la possibilité, « en cas de menace grave et imminente d’éléments, d’infrastructures ou de propriétés » de la Minusma, d’intervenir en appui de cette dernière (10). Pour autant, la France n’est pas absente de la force onusienne : Paris participe à hauteur d’une quinzaine de militaires dans son état-major, dont le général Vianney Pillet à la fonction de chef d’état-major. De même, des détachements de liaison et d’appui français sont présents aux côtés des casques bleus pour articuler et coordonner l’action des deux forces, mais aussi appuyer les unités africaines dans le domaine du commandement, de la logistique, du renseignement et des appuis feux.

Cet accord technique s’inscrit dans une double perspective. D’un côté, les unités françaises souhaitent conserver leur autonomie en matière d’emploi et leur indépendance sur le théâtre malien. De l’autre, il s’agit d’inciter les militaires de la Minusma à se reposer le moins possible sur la force Serval et de rappeler aux partenaires internationaux du Mali la nécessité de renforcer la Minusma alors que les groupes armés continuent de faire peser une menace (11). Comme l’a décidé le Conseil de sécurité, dans sa résolution 2 100 du 25 avril 2013, le contingent international doit en effet compter au maximum 11 200 militaires et 1 440 policiers ainsi qu’une structure civile adéquate. Or lors du passage de relais entre la Misma et la Minusma, les effectifs internationaux étaient de 6 200 soldats, soit les contingents de la Misma – Tchadiens inclus –, du moins ceux déployés sur les 8 000 initialement prévus.

Renforcer la gestion de crise africaine

Cette difficile mobilisation des acteurs africains sur le dossier malien témoigne de la nécessité de renforcer leur capacité de réponse à des crises. Fin 2012, seuls deux pays de la CEDEAO avaient un bataillon disponible : le Niger, qui a notamment bénéficié d’efforts de coopération de la part de la France depuis deux années – cession de matériels et constitution d’une force aéroterrestre d’hélicoptères encadrée sur place depuis décembre 2012 – et le Togo, qui se préparait à prendre une relève dans la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire. Mais les difficultés ne se limitent pas à ces questions d’effectifs. En effet, si l’état-major de la CEDEAO a pu constituer un premier échelon de planification opérationnelle pour l’intervention militaire au Mali, le déploiement des soldats de la Misma n’a été rendu possible qu’en raison des moyens logistiques français et occidentaux.

Ces carences ne sont d’ailleurs pas nouvelles. En Côte d’Ivoire, en 2003-2004, les unités de la CEDEAO ne disposaient pas de capacités de planification et de moyens logistiques suffisants, et la force africaine dépendait quasi exclusivement de bailleurs de fonds étrangers sur le plan des équipements, des moyens de communication et du transport aérien pour son déploiement (12). Ainsi, le soutien est réalisé par trente soldats français, dont le travail est rendu difficile par la vétusté du parc de véhicules Recamp (13), l’absence de lots d’outillages et de réparation, mais aussi le faible nombre de mécaniciens qualifiés au sein de la Mission de la CEDEAO en Côte d’Ivoire (MICECI) (14).

En cela, la réponse de la CEDEAO sur le dossier malien est révélatrice des défis auxquels fait face l’Architecture de paix et de sécurité africaine (APSA) et des limites de l’initiative récente prise par l’Union africaine lors du sommet d’Addis Abeba, le 25 mai 2013, de constituer une « force d’intervention rapide ». Certes, cette force est une étape intermédiaire dans la constitution de la « Force africaine en attente » (FAA), dont la mise en place initialement prévue pour fin 2010 « ne pourrait intervenir vraisemblablement au mieux qu’en 2015 » (15). Mais sa création ne doit pas faire oublier, à la communauté internationale comme aux Africains, les efforts qu’ils doivent mener pour développer une capacité de gestion de crise africaine réellement autonome.

Quoi qu’il en soit, un engagement international ne saurait se substituer ni aux réformes que doivent mener les autorités maliennes pour améliorer la gouvernance et les relations entre le Sud et le Nord ainsi qu’entre les différents groupes locaux, ni au respect par l’ensemble des parties de l’accord du 18 juin. Le mandat du prochain président s’annonce donc crucial et délicat pour pacifier la société malienne d’autant que, les 18 et 19 juillet dernier, la ville de Kidal avait été marquée par des violences entre Songhaïs et Touaregs.

Notes •

(1) L’accord du 18 juin prévoit un cessez-le-feu, un retour de l’armée malienne à Kidal et un cantonnement des combattants touareg sur des sites de regroupement.

(2) Aux côtés de ces hommes, on peut noter la présence de Dramane Demélé, soutenu par l’Alliance pour la démocratie au Mali, ou encore de Cheick Modibo Diarra, premier ministre entre avril et décembre 2012.

(3) International Crisis Group, Élections au Mali : un report de courte durée serait bénéfique à long terme, 26 juin 2013, https://www.crisisgroup.org/fr/publication-type/communiques/2013/Africa/managing-malis-elections.aspx.

(4) « Présidentielle malienne : Tiébilé Dramé renonce à être candidat », Jeune Afrique, 17 juillet 2013, https://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130717125638/. Ce n’est que le 11 juillet que le gouverneur de Kidal est revenu dans la région septentrionale, accompagné du préfet et des sous-préfets.

(5) Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher (rapporteurs), Sahel : pour une approche globale, Sénat, Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Rapport d’information n°720, 3 juillet 2013, pp. 37-40, https://www.senat.fr/rap/r12-720/r12-7201.pdf.

(6) Élections au Mali : un fichier électoral défaillant mais suffisant pour la Délégation générale aux élections, RFI, 20 juillet 2013, https://www.rfi.fr/afrique/20130720-mali-fichier-electoral-sangare-election-28-juillet.

(7) Mohamed Traore et Sékou Mamadou Chérif Diaby, Les élections au Mali. Pourquoi le taux de participation est-il toujours si bas ?, Friedrich Ebert Stiftung, octobre 2011, pp. 21-22.

(8) Mali : enlèvement de cinq responsables électoraux et d’un élu à Tessalit, RFI, 20 juillet 2013, https://www.rfi.fr/afrique/20130720-mali-enlevement-cinq-personnes-distribution-cartes-nina-tessalit.

(9) International Crisis Group, art. cit.

(10) « Un accord avec l’ONU garantit aux forces françaises au Mali leur liberté d’action », Le Monde, 16 juillet 2013.

(11) Entre le 24 juin et le 9 juillet par exemple, plus de 600 militaires de la force Serval ont participé à l’opération Netero dans l’Est de Gao, sur plus de 10 000 km². L’objectif était de reconnaître et contrôler la zone, et de détruire et désorganiser « les réseaux terroristes » (« Mali : opération Netero », EMA, 13 juillet 2013, https://www.defense.gouv.fr/operations/mali/actualite/mali-operation-netero).

(12) Hugo Sada, « Le conflit ivoirien : enjeux régionaux et maintien de la paix en Afrique », Politique Étrangère, 2/2003, pp. 321-334, pp. 328-329.

(13) Le programme Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) a été élaboré en 1997. Destiné à préparer à leur mission des bataillons de maintien de la paix non permanents mais capables d’être assemblés rapidement, il repose sur trois actions : formations, entraînements conjoints et mise à disposition de moyens militaires aux pays africains (véhicules et armements légers en premier lieu, pré-positionnés sur une base française de la sous-région et permettant d’équiper un bataillon). Recamp est complété en 1998 par la création en Afrique des Écoles nationales à vocations régionales (ENVR) afin de former des techniciens compétents. Placées sous la responsabilité de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), qui relève des Affaires étrangères, elles sont en 2013 au nombre de seize.

(14) Les unités du Sénégal, du Niger et du Togo sont équipées avec du matériel français dans le cadre de Recamp. Les Ghanéens et les Béninois disposent d’équipements fournis respectivement par les États-Unis et la Belgique.

(15) Jean-Pierre Chevènement et Gérard Larcher (rapporteurs), op. cit., p. 153.