Quelles alternatives à l’essence et au diesel dans le transport routier ?

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, Président du pôle Energie, Climat, Environnement de l’Institut Thomas More

14 janvier 2014 • Opinion •


Voilà plus d’une décennie que l’Union Européenne s’est lancée dans la lutte contre le changement climatique dont la réduction de l’empreinte carbone d’origine anthropique est une composante fondamentale. Cette politique passe par une augmentation de l’efficacité énergétique et par le développement des énergies renouvelables. En ce qui concerne le transport routier, l’Union Européenne s’est fixé l’objectif d’atteindre, d’ici à 2020, une part d’énergie renouvelable de 10%.

C’est dans ce contexte qu’émerge, non sans mal d’ailleurs, une industrie du transport alternatif, c’est-à-dire n’ayant recours ni à l’essence, ni au diesel pour la propulsion des véhicules. Quelles alternatives sont susceptibles de répondre à ce défi ?

L’industrie des biocombustibles de première génération (à partir de produits agricoles, qui sont détournés de leur destination alimentaire : bioéthanol et biodiesel) qui s’est développée grâce à un système, décidé dans la précipitation et peu efficace, de subventions trop généreuses, va connaître de sérieuses difficultés en raison d’une révision de la politique de dé-carbonisation et de son financement (1). D’ailleurs, les biocombustibles de seconde génération, provenant de sources ligneuses, ne semblent pas être une meilleure option selon une étude réalisée par l’université de Lancashire.

D’autres types de bio-combustibles, tels que ceux à base d’algues (matière première qui n’empiète pas sur la production de produits alimentaires), ne constituent pas une alternative immédiate (malgré leurs propriétés réellement intéressantes) vu, entre autres, leur coût élevé de fabrication. En parallèle, des recherches sont entreprises pour produire des carburants liquides à partir de matières premières abondantes et accessibles à des prix abordables (CO2, ammoniac ou air, en présence de catalyseurs tels que des bactéries, par exemple).

Quant à l’industrie des véhicules électriques, elle n’a pas encore atteint la maturité qui lui permettrait de s’imposer. Les performances des voitures 100% électriques ne répondent pas à la demande actuelle de la société, tant en ce qui concerne le coût de celles-ci que la distance parcourue sans recharge de batteries ou encore le temps de recharge de ces dernières. Le seul créneau techniquement exploitable, aujourd’hui, serait les petites voitures de ville roulant moins de 50 à 60 km par jour. Toutefois, vu leur rayon d’action, il s’agirait de secondes voitures. Est-ce un marché suffisamment porteur ? Entretemps, les voitures hybrides (électrique et thermique) pourraient offrir une transition acceptable même si, en Europe, selon un rapport de Pike Research, la part de marché des véhicules électriques, y compris les hybrides, n’augmenterait que de 0,7% en 2012 à 4% en 2020.

Les véhicules au gaz naturel, par contre, présentent, actuellement, l’alternative dominante. A fin 2011, il y avait 15 millions de véhicules au gaz dans le monde. La consommation de gaz dans le secteur du transport augmenterait d’environ 20 milliards de m3, actuellement, à 40-45 milliards de m3 en 2030. En Europe, toutefois, la part de marché des véhicules au gaz naturel comprimé ou liquéfié est relativement faible. En 2011, il n’y avait qu’un million de véhicules en circulation ce qui correspond à 0.4% du parc global. Toutefois, les camions lourds au GNL (gaz naturel liquéfié) sont de plus en plus populaires, le GNL ayant une densité énergétique supérieure au GNC (Gaz Naturel Comprimé). Ils sont donc plus à même de remplacer le diesel sur les moyennes et longues distances. Bien entendu, comme pour les voitures électriques, le système de distribution reste un problème. Si la législation proposée par les parlementaire européens portant sur la limitation des émissions de CO2 à 95 g/km, d’ici à 2020, pour tous types de voitures de « tourisme » (light duty passenger cars), venait à être adoptée, elle donnerait un sérieux avantage aux voitures électriques.

L’hydrogène est théoriquement une source intéressante d’énergie pour la propulsion automobile, entre autres, parce qu’elle n’est pas polluante. Cependant, à l’heure actuelle, sa production est onéreuse, en particulier à cause du coût du catalyseur. La mise au point d’un catalyseur économique nécessiterait encore de 10 à 20 ans selon le CEA français. Bien entendu, comme pour le gaz naturel et l’électricité, il faudra investir dans une infrastructure fiable et bien distribuée.

Qu’en est-il de l’air comprimé ? Voilà une source d’énergie abondante et non polluante. Mais elle n’est pas sans inconvénients. Les voitures électriques ont une autonomie relativement faible. La distance « économique » que peut couvrir une telle voiture est plafonnée à 150 km. Une autonomie plus grande requerrait de grands réservoirs de stockage au dépens de la place pour les bagages ou les passagers et au prix d’un poids accru. D’autre part, la vitesse maximum est limitée à environ 70 km/h. En outre, en cas d’accident, les réservoirs à air comprimé peuvent être dangereux. Pour limiter ce risque, ces réservoirs sont prévus en fibre de carbone et sont conçus pour se fissurer plutôt qu’exploser. En outre, l’air s’échappant du réservoir en cas d’accident est susceptible de produire un effet de fusée.

En outre, la densité énergétique de l’air comprimé est nettement moins élevée que celle des autres alternatives précitées. Pour répondre à cette difficulté, certains constructeurs développent des voitures hybrides, l’air étant utilisé pour rouler en ville tandis qu’au-delà d’une certaine vitesse, 70 km/h par exemple, la voiture roule à l’essence. De telles voitures sont des concurrents à la voiture électrique hybride, son prix étant inférieur et le poids du réservoir à air comprimé étant moindre que celui d’une batterie. Enfin, le système à air comprimé peut être installé sur une voiture familiale sans altérer ses dimensions ou sa forme, ni réduire la dimension du coffre pour autant que la roue de rechange n’y soit pas entreposée.

Il résulte des considérations qui précèdent que, pour le moment, le diesel reste le carburant de prédilection en Europe, et ce pour un certain temps et qu’il est peu probable d’atteindre les 10% de renouvelables dans la consommation d’énergie du transport routier.

Note

(1) En 2012, la Commission européenne a proposé d’importants amendements à la directive RED (Renewable Energy Directive) tels que le plafonnement à 5% d’ethanol (leur contribution à la diminution des émissions de CO2 étant largement controversée) dans l’essence au lieu de 10% et l’attribution de « super crédits » pour les bio-carburants provenant des déchets ou des résidus de l’agriculture.