Ukraine · « Les Occidentaux courent après les événements »

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

1er mars 2014 • Entretien •


La décision prise par la Douma de recourir à l’armée russe en Ukraine vous surprend-elle ?

C’est conforme à la manière de Poutine de procéder. Cela va simplement plus vite que ce que je pensais. Je m’attendais à des manoeuvres indirectes pendant quelques jours. Là, il se met d’entrée en première ligne. Il veut prendre le contrôle de la Crimée. Il estime qu’il a assez de liberté d’action. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, il ne souffle pas le chaud et le froid. Il sait pertinemment où il va, tout est en ordre. Il a son idée, celle d’un projet géopolitique révisionniste qui vise à remanier les frontières. C’est son troisième mandat, il accélère la manoeuvre. Il veut refaire de la Russie une superpuissance. Actuellement, il y a le bloc americano-occidental, la Chine et, lui, souhaite que la Russie soit la tierce puissance. Il veut revoir les frontières issues de la dislocation de l’URSS et pour cela il balaye tous les traités. Il est dans une logique de revanche. Cela va dans le sens de son projet d’Union eurasienne.

Comment analysez-vous les réactions des États-Unis et de l’Union Européenne ?

Ils sont trop sur la réserve. Ils courent après les événements. Il y a trop de tergiversations, de palinodies. Les États-Unis recherchent depuis quelques années de nouveaux points d’équilibres. La priorité va davantage au Moyen-Orient et à l’Asie pacifique. Et on peut dire que la diplomatie du reset voulue par Obama est un échec. Il a recherché la coopération avec la Russie sur l’Iran ou l’Afghanistan et l’on voit bien que cela n’a pas fonctionné. Quant à l’Union Européenne, elle est encore plus à la remorque des événements. Les Européens ne disent rien de fort, alors qu’il faudrait hausser le ton. Ils ne sont pas à la mesure des événements. Il n’y a même pas de réaction collective. Ils devraient dire: « nous refusons la prise de contrôle de la Crimée par la Russie ». Or, le message qu’ils font passer, c’est: « évitons toute escalade ».

Observez-vous un parallèle avec la crise géorgienne de 2008 ?

Oui, par rapport à l’attitude de la Russie. Mais concernant le comportement des dirigeants européens pas vraiment. Il y a six ans, Nicolas Sarkozy s’était précipité en Géorgie pour négocier un cessez-le-feu. Il y avait une forme de réactivité. Sans cette action, les chars russes seraient peut-être allés jusqu’à Tbilissi. Sarkozy et les USA étaient en première ligne et cela avait débouché sur un accord avec Medvedev même s’il n’a pas été totalement respecté. François Hollande, lui, se trouve actuellement en Afrique. Cela donne la hiérarchie de ses priorités. Depuis le début de la crise, les Russes disent: « l’est de l’Ukraine c’est à nous », et cela ne pose pas de problème. Mais le véritable tournant de ces deux crises a eu lieu au printemps 2008, lors du sommet de Bucarest où l’adhésion à l’Otan de la Géorgie et de l’Ukraine a été refusé pour ne pas provoquer la Russie. Certains hommes politiques comme François Fillon disaient que si ces pays intègraient l’Otan ce serait une source de conflit avec la Russie. C’était une erreur car après il y a eu l’agression russe en Géorgie et maintenant il y a cette situation en Ukraine.