Éolien offshore · Un impôt déguisé supplémentaire

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, président du pôle Energie, Climat, Environnement de l’Institut Thomas More

26 juin 2014 • Analyse •


Il existe actuellement, en Belgique, deux mécanismes de soutien accordé à l’énergie éolienne offshore (en mer). Celui qui concerne les trois premières concessions domaniales : C-Power, Belwind et Northwind, pour lesquelles la clôture financière (financial close) est antérieure à la date de l’arrêté royal du 4 avril 2014, et celui qui concerne les quatre concessions restantes qui bénéficient d’un mécanisme flexible de soutien ayant comme seul élément variable le prix de l’électricité, sous réserve de révisions éventuelles décrites ci-après.

Le premier mécanisme fixe la valeur du soutien financier (certificats verts) (1) pour 20 ans à :

  • 107 EUR/MWh pour la production d’électricité découlant des 216 premiers MW de capacité installée,
  • et de 90 EUR/MWh pour la production d’électricité découlant d’une capacité installée excédant les 216 premiers MW.

La puissance cumulée des trois premières concessions s’élèvent à 871 MW tandis que le coût total des certificats verts y attribués sur 20 ans est d’environ 6,2 milliards d’euros. Ce montant doit être augmenté de la subvention allouée aux câbles reliant ces parcs au réseau électrique qui s’élève à 75 millions d’euros pour les trois parcs concernés. Les quatre concessions restantes (Norther, Rental, Seestar et Mermaid), d’une capacité totale de 1 314 MW, conduiraient à un coût total de certificats verts, sur 20 ans, d’environ 9,3 milliards d’euros (2) pour 3 500 heures de pleine charge par an. Ce montant serait accru d’un bon milliard d’euros si les investisseurs dans ces parcs souhaitaient prendre en charge la connexion au réseau terrestre (3).

Le coût total de soutien, pour l’ensemble des parcs, serait donc d’environ 15,6 milliards à 16,6 milliards d’euros (4). Sur base de ces chiffres, le coût d’achat des certificats verts issus de la production offshore passerait de 360 millions d’euros par an, actuellement, à 780 millions EUR/an voire 830 millions pour les 2 185 MW de capacité des 7 concessions domaniales. L’éolien offshore conduit donc à une surcharge d’un peu plus de 1 à 1,1 cEUR/kWh pour 3 500 heures de fonctionnement de pleine capacité par an (5).

A cela, il faut ajouter la contribution d’Elia au financement des liaisons électriques entre les parcs éoliens offshore et la côte belge (6) pour les trois premiers parcs, une augmentation des subsides de l’ordre du milliard d’euros si les investisseurs dans ces parcs souhaitaient, ce qui est probable, les raccorder eux-mêmes au réseau ainsi que le renforcement des lignes haute tension onshore (sur terre).

Qu’en est-il de la rentabilité des projets relevant des mécanismes de soutien définis dans l’arrêté du 4 avril 2014 ? Le prix de soutien est calculé par la formule (7) :

LCOE – (prix de référence de l’électricité – facteur de correction (8) – garantie d’origine (9)), où

LCOE est l’ensemble des coûts nécessaires pour produire 1 MWh d’électricité, et qui contiennent, entre autre, les coûts d’investissement et les coûts d’exploitation et d’entretien ainsi que les coûts de financement, calculés avec l’actualisation des flux financiers et tenant compte d’un retour sur investissements dans le chef des investisseurs de 12% (sans garantie de volume).

Ce retour sur capital (return on equity) est élevé vu les bas taux d’intérêt actuels, le mode de calcul du LCOE (10) couvrant toutes les dépenses, ainsi que le mécanisme des révisions éventuelles du LCOE, tous les 3 ans, pour les installations dont la clôture financière a lieu après le 1er mai 2014, prenant en compte des modifications avérées (preuves à fournir par l’investisseur) de deux composantes du LCOE :

  • les coûts d’exploitation contractuels par rapport à un coût d’exploitation de référence de 30 EUR/MWh ;
  • le prix de vente contractuel pour l’électricité par rapport à un prix de vente nominal moyen égal à 90% du prix de référence de l’électricité.

L’investisseur ne prend donc pas de risques qui ne puissent être couverts contractuellement ou par voie d’assurance, sinon celui du volume de MWh/an qui dépend de la vitesse moyenne du vent et de la disponibilité des équipements, risques qui relèvent typiquement de la responsabilité d’un producteur d’électricité.

La question est donc de savoir si le surcoût important associé à l’éolien offshore, répercuté dans la facture d’électricité, est justifié si on le confronte à la réduction du pouvoir d’achat des ménages et à l’augmentation des coûts pour l’industrie ou pour l’État si ce dernier compense en partie, pour cette dernière, les hausses attendues, ainsi qu’ aux charges pour Elia, contraint de racheter ces certificats dont le coût est répercuté dans les factures d’électricité.

D’autre part, une telle augmentation de la production d’électricité intermittente requiert une capacité de production d’origine thermique pour compenser les aléas du vent ce qui est en contradiction avec un des objectifs du programme éolien qui est de réduire les émissions de CO2 (11).

Ce surcoût, bien supérieur à 1 cEUR/kWh (rien que pour l’acquisition et l’installation des équipements offshore, soit 35 euros par ménage et par an) si on tient compte des investissements en infrastructure, de l’incidence des centrales thermiques et des interventions de l’État rappelés ci-avant, est une nouvelle taxe déguisée, cette surcharge reportant, en effet, sur les ménages et l’industrie les conséquences d’une politique hasardeuse de l’État fédéral.

Notes •

(1) Un certificat vert correspond à la production de 1 MWh.

(2) Il s’agit d’une approximation vu que ce surcoût va dépendre du prix de l’électricité. D’autre part, il ne devrait pas se concrétiser dans l’immédiat vu que le financement bancaire des investissements relatifs aux quatre concessions doit encore être finalisé. Ce n’est qu’après la clôture financière que les commandes des équipements seront confirmées. Étant donné les délais de livraison des équipements et le temps nécessaire à l’installation de ceux-ci, il ne faut pas s’attendre à une exploitation commerciale avant 2017 voire 2018.

(3) En effet, dans ce cas, ils recevraient une subvention supplémentaire de 12 EUR/MWh, soit au total pour les 1314 MW des 4 parcs : 12x3500x1314x20= 1 103 760 000 euros.

(4) CREG, « La réforme du soutien à l’énergie éolienne offshore, incluant le rapport annuel sur l’efficacité du prix minimum pour l’énergie éolienne offshore », 26 juin 2013.

(5) Si l’on estime l’énergie électrique prélevée par Elia à 75 TWh/an (75 millions de MWh), la surcharge de l’éolien offshore sur la facture d’électricité serait de 780/75, soit 10,4 EUR/MWh ou 1,04 cEUR/kWh. Toutefois, la valeur du certificat vert est fonction du prix de l’électricité. Si dernier augmentait à l’avenir, le surcoût serait réduit.

(6) Cette subvention s’élève à 25 000 000 d’euros, à répartir sur 5 ans, par concession.

(7) Arrêté royal du 25 avril 2014.

(8) Selon les clauses du contrat d’achat d’électricité (PPA).

(9) Actuellement, cette garantie d’origine a une valeur nulle.

(10) Le LCOE est fixé par l’arrêté royal du 25 avril 2014 à 138 euros/MWh

(11) Alors que la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires existantes, présentant une sécurité suffisante, permettrait d’assurer la production d’électricité des 7 parcs offshore de manière non-intermittente et avec des émissions de CO2 voisines de celles des éoliennes offshore, calculées sur base du cycle de vie complet. A cet égard, l’exclusion des centrales nucléaires du bilan carbone est une incohérence.