Budget 2015 · Un symbole de l’irresponsabilité de nos politiques

Michel Vaté, chercheur associé à l’Institut Thomas More

24 octobre 2014 • Opinion •


A l’heure où s’engage le débat au Parlement, force est de constater que le projet de budget 2015 ne comporte aucune innovation. Tous les indices budgétaires sont dégradés, à l’exception dérisoire (-0,1%) du taux de prélèvements obligatoires au sens restreint. Les questions qui fâchent sont évitées. Bref, le « pacte d’irresponsabilité » a tenu bon, en dépit des deux coups de semonce des élections du printemps. Le message des électeurs était si sévère que, d’une banale élection intermédiaire, ils firent un évènement inquiétant. La réponse était promise pour le rendez-vous budgétaire de l’automne. Las !

Quel message ? Simplement les exclus, les gosses de chômeurs, tous ces jeunes dont l’avenir est par avance dilapidé, ces « salauds de pauvres » comme auraient dit Marcel Aymé ou Coluche, n’en peuvent plus d’être les sacrifiés d’un « pacte d’irresponsabilité » qui promet un monde meilleur auquel ils ne sont pas conviés. Leur détresse à eux, et les « acquis » sacrés des autres, sont les deux faces d’une même pièce. Et ils l’ont dit. Attention, danger ! Ils savent de mieux en mieux à qui ils doivent cet état de choses : ce n’est pas le fruit d’une erreur, d’un accident ni, moins encore, de circonstances extérieures. C’est le résultat d’un choix. Depuis 40 ans, la France rejoue « la disgrâce de Turgot », tous les jours et à guichets fermés. On est prié de croire à la croissance par la dépense publique. Haro sur tous ceux qui qui osent en douter !

1974 aurait pu être le bicentenaire de la lettre que Turgot écrivit à Louis XVI pour dire les précautions budgétaires que l’état de la France exigeait. Victime de son isolement et de son honnêteté intellectuelle, il fut vaincu par la coalition des privilèges et rentes catégoriels. 1974 fut finalement l’an 1 des dérives budgétaires. Désormais, on ne verra plus de comptes publics équilibrés. Idée démodée, l’équilibre budgétaire prend même une connotation négative. C’est la seconde défaite historique de la pensée libérale dans une bataille des idées qui dura deux siècles. Les vainqueurs ont écrit l’histoire. Nul n’osera leur disputer cette responsabilité, tant ils ont patiemment clamé, théorisé, et surtout enseigné, tout le bien qu’il fallait espérer de l’endettement public. Douze ans plus tôt, Rueff et Armand avaient pourtant sonné l’alerte avec une étonnante clairvoyance : des réformes structurelles sont urgentes pour déjouer les « attentats contre la jeunesse » que sont les rigidités du modèle social français. Déjà !

Rien n’y fit. La mélodie keynésienne était trop suave. Il y eut un premier Keynes, pour qui « rien, à l’évidence (sic), ne peut rétablir l’emploi qui ne rétablisse d’abord les profits », et des programmes publics peuvent y aider s’ils sont conçus « pour restaurer les profits ». Tout cela fut, hélas !, balayé par la Théorie générale, si peu générale en fait. M. Keynes fuyait enfin les « errements classiques », dixit son traducteur. Le célébrissime chapitre 10 devint un dogme, avec la fable du multiplicateur de la dépense publique courante – plus puissant avec l’endettement qu’avec l’impôt – et ces dépenses sur fonds d’emprunt qui peuvent « même lorsqu’elles sont inutiles (sic), enrichir en définitive la communauté ». Le vieux rêve des alchimistes est de retour, faisant fi de la leçon de Montesquieu qui dénonçait ces gens « qui ont cru qu’il était bon qu’un Etat dût à lui-même : ils ont pensé que cela multipliait les richesses ». Anti-keynésianisme prémonitoire !

Depuis quarante ans, les Français ne cessent de trahir Montesquieu. En toute occasion, on leur répète que diminuer la dépense publique casserait la croissance. Les « dépensiers » jubilent. Leurs protégés se frottent les mains, déjà prêts à réclamer un nouveau tour de manège. Mais à force de répéter que la dépense publique est bonne pour la santé, on risquait d’arriver au point où, aux risques de surdosage, s’ajouterait le risque létal d’un sevrage trop rapide. Nous y sommes. Il est trop tard pour faire machine arrière, mais au moins les prescripteurs sont-ils parfaitement identifiés.

Pauvreté, chômage des jeunes, mal-logement, urgences hospitalières sinistrées, illettrisme, système pénitentiaire indigne, exclusion : tous les indicateurs sont au rouge et se dégradent aussi vite que la dépense publique augmente. Cherchez l’erreur ! Les injustices prospèrent, bien protégées par la dénonciation tapageuse des inégalités. Plombée par son modèle social aussi rigide qu’injuste, la France voit les marqueurs du vivre-ensemble s’effondrer alors que l’endettement public battra un nouveau record assumé en 2015 : ne cherchez plus l’erreur, c’est une faute !

La Cour des Comptes a déjà tout décrit : gaspillages impunis, organismes redondants, avantages non motivés… Le choix est clair : casser les règles qui cassent l’emploi et réformer les structures les plus ruineuses ou subir le rabot de l’austérité. La trajectoire est chiffrée : éviter la catastrophe (-50 milliards), préserver l’avenir (-100 milliards), redresser l’emploi (-150 milliards).

Tour à tour, par conviction ou par souci de la paix sociale, les alternances électorales ont contourné la nécessité d’adapter notre modèle social à un monde qui change, et conforté par là-même le règne de l’irresponsabilité. Les insiders gagnent sur tous les tableaux. Turgot et Rueff restent en disgrâce. Tout reste à faire. Le projet de budget pour 2015 regarde ailleurs et gonfle encore la dette. La finance « détestée » et les créanciers étrangers ne se font pas prier : le patrimoine de la France, et l’épargne des ménages, sont un peu plus à leur merci. Si les réformateurs ne gagnent pas très vite la bataille des idées, le pire est à craindre, car nul ne peut dire quelle forme – dangereusement inédite – prendra le réveil des abstentionnistes, après l’aperçu des 30 mars et 25 mai derniers.