« L’armée n’a pas pour vocation de remplacer l’école »

Charles Millon, ancien ministre de la défense, administrateur de l’Institut Thomas More

Le Figaro

19 janvier 2015 • Entretien •


Ministre de la Défense à l’époque de la suppression du service militaire obligatoire, Charles Millon, administrateur de l’Institut Thomas More, analyse la possibilité du rétablissement d’un service national, prôné à l’heure actuelle par certains responsables politiques.


Lorsque vous étiez ministre de la Défense en 1997, vous étiez en charge du dossier de la réforme du service national. Vous avez prôné sa suppression, qui a eu lieu. Pourquoi ?

Quand j’ai été nommé ministre au début, j’étais favorable à la conscription. C’est après trois mois d’études à la demande de Jacques Chirac que je me suis rendu compte que cette position était intenable, financièrement, et opérationnellement parlant. Nous sommes passés d’une armée de conscription à une armée professionnelle. Aujourd’hui, une armée de conscription serait inutile à la France pour faire face à ses engagements militaires. Ceux qui veulent être convaincus de la nécessité de cette réforme n’ont qu’à regarder toutes les opérations extérieures dans laquelle l’armée française est engagée aujourd’hui : au Mali, au Niger, contre l’État islamique en Syrie, nous avons besoin d’une armée réactive à la pointe des techniques les plus sophistiquées, qui soit capable par sa formation professionnelle et technique de répondre à une guerre de plus en plus asymétrique. La deuxième raison, c’est bien évidement le coût. A une époque où l’on parle d’une réduction des dépenses dans tous les secteurs, où ira-t-on prendre l’argent nécessaire?

Certains vantent pourtant la « mixité sociale » qu’on trouvait dans les casernes. Le service militaire ne permettait-il pas aussi de forger l’unité nationale ?

A l’époque où l’on envisageait la suppression du service national, la mixité sociale avait déjà totalement disparu. Le « bas » était réformé, car 15% des jeunes étaient exemptés parce qu’ils étaient d’origine étrangère, qu’ils ne parlaient pas français, et que l’armée française n’avait pas les éducateurs pour intégrer ces jeunes. Il y avait aussi les 15% de « planqués » du haut, et les 70% autres avaient une affectation rapprochée et effectuaient un service militaire mixte entre leurs familles et la caserne. Les jeunes ne pensaient qu’à une seule chose : la quille.

L’armée n’est pas un idéal, c’est un moyen au service d’un idéal. On ne peut pas croire qu’en augmentant le nombre de soldats, on va gonfler le patriotisme français. Le rétablissement du service militaire est une idée sorti du carquois sous le coup de l’émotion, qui mériterait d’être davantage réfléchie.

D’aucuns réclament son rétablissement, ou du moins l’instauration d’un « service civique obligatoire ». Cela vous paraît-il réalisable ?

La réponse du service militaire est inadaptée à la crise que traverse notre pays. Il n’y a plus aucune armée de conscription dans les démocraties libérales, hormis Israël qui est en état de guerre. Le problème n’est pas militaire, il est éducatif, et l’armée n’a pas pour vocation de remplacer l’école, elle ne peut pas avoir la charge d’encadrer la jeunesse de France. On ne peut pas avoir les moyens d’être à la fois une armée de combat et un centre éducatif. On ne va pas transformer l’armée en grand camp scout ! Le problème du service civique, c’est le coût. Qui va encadrer ces jeunes ? Demandez aux militaires qui ont consacré leurs vies à ce métier s’ils ont envie de devenir éducateurs spécialisés !

Alors, quelle serait la solution pour répondre à la soif d’engagement des jeunes Français ?

Une des solutions, qu’on avait proposées à l’époque, serait d’avoir une armée de réserve élargie sur la base du volontariat. Avant le service militaire, il y a les lieux d’éducation : la famille, l’école et les mouvements d’éducation populaire, type scoutisme. L’autre solution serait donc de développer ces mouvements d’éducation populaire, de les subventionner en masse. Tous ces jeunes qui cherchent des « petits boulots » pendant l’été, envoyons-les nettoyer les forêts, restaurer les monuments historiques en ruines ou partir à l’étranger faire du co-développement !