La filière hydrogène n’est pas mûre en Europe

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, Président du Pôle Énergie, Climat et Environnement de l’Institut Thomas More

L'Echo

27 mars 2015 • Opinion •


L’augmentation rapide de la part du renouvelable, essentiellement intermittent, dans le mix électrique européen, à la suite de la directive européenne 2009/28/EC portant sur la promotion d’énergie provenant de sources renouvelables, a comme corollaire la nécessité de recourir au « stockage d’électricité » pour valoriser l’excédent de production éolienne et photovoltaïque.


Le stockage d’hydrogène, généré à partir d’électricité intermittente, est présenté par certains comme une solution adéquate pour pallier l’inadéquation entre offre et demande d’électricité.

Un tel projet n’est rentable que moyennant un prix compétitif de l’hydrogène. Ce dernier dépend du coût de l’électricité, de celui de l’électrolyseur, du nombre d’heures de fonctionnement de celui-ci ainsi que de son rendement et de sa durée de vie.

Le stockage d’hydrogène n’a de sens que si son prix de production par électrolyse, est de l’ordre de celui produit par vaporéformage de méthane (le meilleur marché et de loin le plus utilisé – en France, seulement 1% de la production d’hydrogène est issu de l’électrolyse de l’eau), c’est-à-dire autour de 2 eur/kg d’hydrogène (prix sortie usine, sans captage de CO2).

La production d’hydrogène à prix d’électricité nul est négligeable. En effet, en Allemagne, par exemple, où la pénétration du renouvelable (principalement intermittent) est élevé, le prix de l’électricité n’a été nul ou inférieur à zéro que durant environ 50 heures en 2013.

Quant au nombre d’heures de fonctionnement annuel de l’électrolyseur, il va de soi que plus il est élevé, plus bas sera le prix de l’hydrogène. Notons, au passage que l’électrolyse alcaline ne s’accommode pas d’un régime discontinu, donc de la seule alimentation électrique à partir de renouvelable intermittent. Par contre l’électrolyse PEM (Proton Exchange Membrane), plus compacte, est plus apte à suivre des variations de charge.

Pour des prix donnés de l’électrolyseur et de l’électricité alimentant celui-ci, la courbe donnant le prix de l’hydrogène par électrolyse en fonction du nombre d’heures de fonctionnement, augmente considérablement en-dessous d’environ 2000-2500 heures par an.

Quelques ordres de grandeur de prix de l’hydrogène généré par électrolyse de l’eau sont donnés ci-après, pour des prix d’électricité à l’entrée de l’électrolyseur et une durée de vie de celui-ci de 20 ans. Ces prix, calculés sur base de la méthodologie de France Stratégie, sont de :

  • environ 7 eur/kg avec un électrolyseur de 2000 eur/kW, fonctionnant 7000 heures par an, à un rendement de 60%, pour un prix d’électricité de 70 eur/MWh ;
  • environ 3,9 eur/MWh avec un électrolyseur de 1 000 eur/kW, fonctionnant 7 000 heures par an, à un rendement de 60%, pour un prix de l’électricité de 40 eur/MWh.

On constate que malgré un coût d’électrolyseur bas (1 000 eur/kW) et un prix d’électricité excessivement faible (40 eur/MWh) pour un fonctionnement continu, le prix du kg d’hydrogène par électrolyse est toujours nettement supérieur à celui produit par vaporéformage.

Qui plus est, le prix du kg d’hydrogène explose pour des durées de fonctionnement courtes, ce qui est le cas de l’alimentation électrique éolienne locale : plus de 18 eur/kg pour un électrolyseur (2 500 eur/MW) fonctionnant 2 000 heures par an à un rendement de 50% pour un coût d’électricité de 70 eur/MWh.

Si le prix de l’électrolyseur tombe à 700 eur/kW et si son rendement monte à 80%, avec une durée de fonctionnement de 3500 heures par an et un coût d’électricité de 50 eur/MWh (toutes hypothèses extrêmement optimistes), le prix de l’hydrogène est encore  de près de 4 eur/kg. Il passe à plus de 5,5 eur/kg si le nombre d’heures de fonctionnement n’est que de 1 000 heures/an.

Le tout n’est pas de produire de l’hydrogène bon marché ce qui, comme on vient de le constater, n’est pas le cas à partir d’électricité excédentaire en l’état actuel de la technologie, encore faut-il générer de l’électricité à prix compétitif en utilisant cet hydrogène. La pile à combustible le permet-elle ?

En fait, on en est toujours au stade de l’expérimentation. Le projet de faible puissance Myrte, consistant à fournir au réseau de l’électricité à partir d’hydrogène stocké, est peu probant à cet égard. De manière générale, le retour d’expérience de piles à combustible consommant de l’hydrogène porte sur des entités de maximum quelques MW. Le prix de l’électricité ainsi produite est très élevé, même en cas de cogénération.

En conclusion, la filière hydrogène pour valoriser les excédents d’électricité résultant du renouvelable intermittent n’est pas mûre et, de toute façon, encore beaucoup trop chère pour une production centralisée et bien davantage pour une production locale. A ce stade, il n’y a pas lieu de se précipiter dans cette voie. La technologie n’est pas au point et la rentabilité de cette filière est loin d’être prouvée. Bien entendu, il y a d’autres possibilités d’utilisation de l’hydrogène, produit par électrolyse, comme vecteur énergétique, pour autant que son prix soit compétitif. Mais ce n’est pas l’objet de cet article.