Logement et logement social en France · Les raisons d’un échec

Gérard-François Dumont, géographe, professeur à l’Université Paris 4-Sorbonne, président de Population & Avenir, et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

31 août 2015 • Analyse •


Alors que l’encadrement des loyers, promis par François Hollande lors de la campagne présidentielle et inscrit dans la loi Duflot du 24 mars 2014, est en vigueur à Paris depuis le 1er août, la plupart des analystes et des professionnels sont consternés et inquiets. De fait, il est un pas (catastrophique) de plus dans une direction suivie depuis longtemps gouvernement après gouvernement : celui du tout-logement social. On sait pourtant que d’autres modalités d’offre de logements existent et qu’il serait temps de les faciliter.


Les politiques françaises de logement social menées ces dernières décennies n’ont pas conduit à des résultats probants. Cela tient au paradigme, constant en France, selon lequel la réponse quasiment unique aux besoins de logement des populations (1) serait ce que l’on nomme « le logement social », c’est-à-dire à la fois la construction et la gestion de logements par des organismes bénéficiant de financement publics partiels, directs ou indirects. Il en résulte que les gouvernements favorisent l’implantation du logement social mais oublient qu’il existe d’autres modalités d’offre de logements qu’il faudrait faciliter.

Les difficultés du logement social

Or, la formule dite du logement social ne peut résoudre tous les besoins de la France en matière de logement, pour une raison simple : les normes actuelles signifient que les deux tiers de la population des locataires devraient pouvoir accéder à un logement social. Pour parvenir à un tel pourcentage, il faudrait des financements publics considérables auquel aucun gouvernement ne parviendra. Résoudre les besoins en logement suppose donc d’augmenter l’offre de logement en encourageant l’investissement privé dans ce secteur, ce qui permettrait de satisfaire aussi les catégories sociales inférieures.

Mais cela ne se concrétise pas pour deux raisons : premièrement, parce que les conditions fiscales et réglementaires s’appliquant aux placements dans l’investissement logement restent défavorables, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles les grandes compagnies d’assurances se sont largement retirées du marché du logement ces dernières décennies ; en second lieu l’État, pour faire face à son endettement, a, sans l’avouer, favorisé et favorise des mécanismes orientant l’épargne des Français vers des produits financiers facilitant le comblement des déficits publics plutôt que vers des placements orientés en direction du logement.

Désormais, il est probable que le logement social va éprouver de nouvelles difficultés. Ces dernières années, les collectivités territoriales, et notamment nombre de communes, ont largement aidé les organismes HLM : subventions, aux côtés de l’État et d’Action Logement (2), au financement de nouveaux logements sociaux (3) ; prise en charge de la voirie, de réseaux, de l’entretien de terrains, de la réhabilitation de logements, etc. Mais la réduction des dotations de l’État aux collectivités territoriales, entamée en 2015, va probablement réduire ces aides.

Pourtant, comme nous l’avons déjà proposé, il faudrait sortir de l’alternative « tous propriétaires » ou « tous en HLM » qui semble gravée dans le marbre de nos lois, ces dernières ne laissant qu’une place résiduelle au parc locatif privé (4).

Géographie et maldonne urbanistique

Comme nous l’avions auparavant montré (5), l’INSEE reconnaît, pour la première fois, certes indirectement, que la géographie des besoins de logement est différente de ce qui était affirmé (6). La géographie de la pauvreté, que l’on répétait auparavant à l’envi, accompagnée de l’idée d’une gentrification systématique en centre-ville, n’est pas la réalité. Il est donc important d’insister sur le fait que la question ne se limite pas seulement à considérer les besoins des populations dans leur ensemble, mais consiste aussi à préciser la géographie des besoins et les lieux où il faut construire.

En effet, dans les aires urbaines, des logements sociaux ont été construits, mais souvent, en vertu de l’idéologie fonctionnaliste de la Charte d’Athènes, selon une rationalité urbanistique guère humaniste et à l’écart de quartiers anciens urbanisés. Résultat : de nouveaux quartiers sans identité ont rendu et rendent difficile, en raison de leur caractère enclavé, la vie des populations. L’accès de leurs habitants à la diversité des emplois sur le marché du travail est rendu pénible par les difficultés de transport. Il faut se rappeler que les émeutes de 2005 ont démarré à Clichy-sous-Bois, dans un territoire extrêmement enclavé et à l’écart des transports en commun, donc à l’écart de la ville.

La mixité sociale détériorée

La mixité sociale est un phénomène tout à fait étonnant dans la mesure où il n’en est question que depuis qu’elle n’existe plus guère. En effet, dans l’urbanisme de la fin du XIXe siècle à Paris, la mixité sociale pouvait exister. Les immeubles haussmanniens hébergeaient au sein d’un même immeuble des catégories sociales différentes réparties selon les étages. Or, au cours du dernier demi-siècle, cette mixité a disparu dans la mesure où des politiques d’urbanisation ont conduit à une segmentation sociodémographique accentuée.

D’abord, il y a eu les encouragements visant à réserver des logements neufs à l’extérieur des centres-villes aux jeunes ménages, empêchant ainsi non seulement la mixité sociale mais aussi la mixité générationnelle. Mais la mixité sociale s’est aussi détériorée parce que l’État n’assure pas l’une de ses tâches régaliennes essentielles : la sécurité sur l’ensemble des territoires français. Or, en matière d’insécurité, les Français constatent des différences en fonction des territoires, et il ne peut y avoir de possibilité de mixité sociale là où il n’y a pas de sécurité, particulièrement dans les zones de non-droit. Ainsi, dans les territoires où l’insécurité est élevée, la mixité sociale se trouve affaiblie par le départ de certains commerçants comme par celui des populations qui ont saisi l’opportunité de les quitter.

Évaluer les conséquences des lois pour mieux préparer le futur

En Île-de-France comme dans d’autres zones où le marché du logement est particulièrement tendu (7), les classes moyennes se trouvent confrontées, à la fois, à une quasi-impossibilité d’accéder au logement social et à des difficultés d’accès au logement compte tenu de la faiblesse de l’offre. L’augmentation de l’offre de logement devrait être la réponse impérative.

Or, incontestablement, la loi ALUR (loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) du 26 mars 2014, contrairement à son intitulé, a contribué à accentuer le découragement des investisseurs vers le logement, en prévoyant des mesures telles que le contrôle renforcé des loyers ou la garantie universelle des loyers, mesures perçues comme génératrices de frais, de contentieux ou de tracasseries administratives (8). Beaucoup de Français savent que, pour acheter même un garage, l’épaisseur des documents à signer chez le notaire est devenue considérable. En outre, la multiplication des normes concourt également à diminuer la fluidité dans le logement.

D’où, souvent, des centres-villes sans mixité, avec une concentration, d’un côté, des classes supérieures et, de l’autre, des catégories les plus pauvres (9). Les classes moyennes ont été largement contraintes de quitter les centres-villes pour trouver un logement correspondant à leurs besoins et à leurs niveaux de vie. Toutefois, certains occupants des logements sociaux n’appartiennent pas aux catégories les plus pauvres ; il y a forcément parmi eux des personnes de catégories intermédiaires puisque, comme précisé ci-dessus, les plafonds de revenus donnent théoriquement accès à environ deux tiers des locataires et que, compte tenu du très fort écart entre loyers sociaux et loyers privés, les occupants du parc social entrés avec des revenus inférieurs aux plafonds ont tout intérêt à y rester (même avec un surloyer) s’ils dépassent les plafonds (d’où un taux de mobilité très faible au sein de ce parc).

Depuis la loi Gayssot du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, qui impose un pourcentage minimum de logements sociaux dans chaque commune de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de-France) des agglomérations urbaines importantes, pourcentage augmenté avec la loi du 18 janvier 2013 (10), les pouvoirs publics expliquent que cela pourra résoudre les problèmes de logement. Pourtant, les résultats sont contraires : plus l’argent public finance le logement social dans les zones les plus tendues, là où il est le plus cher à construire, moins il y a d’argent public disponible pour financer ces logements dans des zones moins chères et, au total, avec une même enveloppe budgétaire, on produit moins de logements sociaux (11). Il serait temps que la France accepte la réévaluation de ses lois pour les corriger plutôt que de les renforcer lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des annonces.

Comprendre les difficultés du logement social suppose aussi de s’intéresser aux modalités de son affectation à de futurs locataires. Dans le système français, c’est en partie l’État qui décide d’affecter les logements sociaux, sans tenir nécessairement compte des réalités locales et des besoins des habitants de la commune. Or, certains élus seraient plus favorables à la mise à disposition de terrains pour des logements sociaux s’ils savaient que ces derniers bénéficieraient dans des proportions plus importantes à leurs habitants en attente de logement.

Notes •

(1) Sur les causes démographiques de la crise du logement, Gérard-François Dumont, Informations sociales, n°183, mai-juin 2014, p. 26-34.

(2) Programme qui gère la participation des employeurs à l’effort de construction ; cette participation s’élève depuis 1992 à 0,45 % de la masse salariale.

(3) Cour des comptes, Logement en Île-de-France : donner de la cohérence à l’action publique, 8 avril 2015, pour le cas de cette région.

(4) Gérard-François Dumont (direction), Populations et territoires de France en 2030, le scénario d’un futur choisi, Paris, L’Harmattan, 2008.

(5) Gérard-François Dumont, Géographie urbaine de l’exclusion dans les grandes métropoles régionales françaises, Paris, L’Harmattan, 2011.

(6) INSEE, Une pauvreté très présente dans les villes-centres des grands pôles urbains, Insee Première, n°1552, juin 2015.

(7) Il y a des zones non tendues où l’offre est excessive par rapport à la demande : taux de vacance relativement important dans le parc social, faibles écarts de loyers entre parc privé et parc social, logements locatifs neufs privés subventionnés ne trouvant pas preneur, etc. De façon plus générale, l’effet des constructions sur la croissance démographique est très inégal : Jean-François Léger, « Logement et territoire », Population & Avenir, n° 711, janvier-février 2013.

(8) Voir Gérard Dussillol, Projet de loi ALUR sur le logement : un pas de plus sur une voie sans issue, Institut Thomas More, Note d’actualité n°14, octobre 2013.

(9) Gérard-François Dumont, Géographie urbaine de l’exclusion dans les grandes métropoles régionales françaises, op. cit.

(10) Relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

(11) Cour des comptes, Logement en Île-de-France : donner de la cohérence à l’action publique, op. cit.