Europe · Des disparités considérables dans les évolutions démographiques

Gérard-François Dumont, professeur à l’Université Paris 4-Sorbonne, président de Population & Avenir, et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

14 septembre 2015 • Analyse •


L’Institut allemand pour la construction, les Affaires urbaines et le développement territorial (BBSR, Bundesinstitut für Bau-, Stadt- und Raumforschung) a publié une remarquable étude sur les évolutions démographiques européennes, entre 2001 et 2011, à partir de la collecte de données à l’échelle des municipalités d’Europe. Elle est riche d’instructions et montre des trajectoires de plus en plus divergentes entre les pays européens. Des changements démographiques aux nombreux effets, dont les responsables politiques devraient tenir compte…


Les évolutions démographiques entre 2001 et 2011 mesurées par le BBSR allemand (Bundesinstitut für Bau-, Stadt- und Raumforschung) (1), sont extrêmement contrastées selon les pays européens et, à l’intérieur des pays, les dynamiques territoriales sont très différenciées.

Quatre types d’évolutions différentes selon les pays européens

Quatre types d’évolutions possibles se distinguent. D’abord, celui de territoires connaissant une croissance démographique portée à la fois par un accroissement naturel – c’est-à-dire par un excédent des naissances sur les décès – et par un accroissement migratoire – c’est-à-dire par un excédent de l’immigration sur l’émigration. C’est le cas du Royaume-Uni ou de la France, qui se talonnent (2). Deuxième type d’évolution : des pays dont la croissance démographique est uniquement due à l’accroissement naturel alors que leur solde migratoire est négatif, comme l’Albanie ou le Kosovo. Troisième type d’évolution : des pays avec un solde naturel négatif mais une croissance démographique positive les années où le solde migratoire est assez élevé pour compenser l’excédent des décès sur les naissances, comme en Italie. Enfin, le quatrième type concerne des territoires en dépeuplement, avec des soldes naturel et migratoire négatifs, comme la Bulgarie ou la Roumanie.

Des fractures au sein des pays

Si nous examinons à présent chaque pays, nombre de contrastes apparaissent en leur sein. Par exemple, le rideau de fer semble toujours partager l’Allemagne, avec une différence d’évolution démographique très nette entre les Länder de l’ancienne Allemagne de l’Ouest et ceux de l’ancienne Allemagne de l’Est. Dans celle-ci, la diminution de la population est générale à l’exception non de Berlin, mais de communes limitrophes de la capitale situées dans le Land de Brandebourg. L’Espagne, hormis la forte croissance de Madrid, connaît également une évolution quasi duale. La moitié occidentale perd globalement des habitants à l’exception de ses villes principales, de l’extrême nord-est (pays Basque) et de l’extrême sud-est. La moitié orientale du pays gagne en moyenne des habitants, tout particulièrement sur les rives méditerranéennes. Au Royaume-Uni, les territoires anglais connaissent quasiment tous une croissance modérée mais les plus fortes croissances concernent quelques territoires de l’Écosse nord-orientale, comme la région maritime d’Aberdeen, attractive en raison de sa proximité avec les champs d’hydrocarbures de la mer du Nord. Par contre, l’Irlande insulaire (Eire & Irlande du Nord) se distingue, en Europe, par une croissance démographique relativement élevée et globalement uniforme (à l’exception modeste du Mayo, au centre-ouest de l’Irlande) sur l’ensemble de son territoire.

Une recomposition de la géographie de la population de la France

En France, l’urbanisation est quasiment terminée. Sauf exception, il n’y a plus de croissance significative des grandes villes par rapport au reste du territoire, même si quelques accroissements négatifs (3) se constatent, surtout dans des communes du Massif central ou de l’intérieur de la Bretagne. Ces dernières décennies, des personnes ont pu choisir des communes rurales comme domicile, notamment en raison de l’amélioration des réseaux de transports due, en particulier, à la prise en charge par les régions des transports express régionaux (TER), qui se sont considérablement améliorés ces dernières années.

Outre ce facteur, un nombre accru de Français considère que la meilleure qualité de vie ne se trouve pas nécessairement dans les grandes villes. Paris en est la parfaite illustration. La croissance démographique de son agglomération est surtout due aux apports migratoires internationaux et à leurs effets sur la natalité, alors que le solde migratoire de cette agglomération est fortement négatif. L’émigration de l’agglomération de Paris, qui est donc une émigration urbaine à rebours de l’émigration rurale d’autrefois, est compensée par un solde naturel positif assez élevé dû à la composition par âges jeune de la population et à une fécondité plus élevée sur certains territoires comme la Seine-Saint-Denis. Toujours en France, il faut aussi noter une  attirance certaine éprouvée par nos contemporains pour les territoires littoraux ou sublittoraux. Cela concerne notamment les retraités (Var, Charente-Maritime, Vendée…), une migration qui entraîne des créations d’emplois liés à la satisfaction des besoins spécifiques de ces personnes.

Les contrastes les plus nets dans des pays d’Europe orientale 

En Europe, les contrastes d’évolution démographique les plus nets se trouvent dans la partie orientale : les villes principales y sont généralement en croissance depuis qu’elles se sont ouvertes, avec la fin du communisme. Ces croissances démographiques urbaines s’expliquent par l’émigration rurale des habitants du pays et par des migrations internationales entrepreneuriales. À l’inverse, nombre de territoires ruraux d’Europe orientale connaissent une décroissance démographique s’expliquant par le départ d’actifs vers les principales villes, et un solde naturel négatif avec donc plus de décès que de naissances. C’est par exemple le cas de la Roumanie ou de la Bulgarie. En Pologne, le contraste est moindre grâce à la meilleure dynamique économique du pays depuis la fin du communisme. De son côté, l’Italie demeure presque coupée en deux : le Nord est souvent en croissance démographique grâce aux apports migratoires internes et internationaux tandis que la moitié Sud de l’Italie compte de nombreux territoires en dépeuplement car elle est toujours une région d’émigration vers le Nord.

Des changements démographiques aux nombreux effets

Les changements démographiques en Europe préfigurent d’abord une évolution géopolitique significative dans la mesure où le traité de Lisbonne organise, au Conseil européen, un nombre de voix des pays proportionnel à leur population (4), ce qui a de l’importance pour toutes les décisions relevant d’une majorité qualifiée. En conséquence, le nombre de voix de la France, du Royaume-Uni ou de l’Irlande est susceptible d’augmenter au Conseil européen, alors que celui de la Bulgarie, de la Roumanie ou de la Hongrie risque de baisser puisque leur nombre d’habitants diminue.

Les calendriers des migrations internes selon les pays s’avèrent différents. En France, l’émigration rurale est quasiment terminée, ce qui n’est pas le cas de la Roumanie ou de la Bulgarie. Lorsque les populations rurales ne viendront plus s’installer dans les grandes villes de ces pays pour y dynamiser leur démographie, et si la fécondité reste aussi faible, nous risquons de constater ce que l’on trouve déjà dans certaines villes d’Allemagne de l’Est, soit une nette diminution de la population. Ce phénomène, assez nouveau, est donc jusqu’à présent surtout intense en ex-Allemagne de l’Est. Mais, avec une Europe en « hiver démographique », il pourrait se diffuser ailleurs. Or, on ne gère pas de la même manière une ville dont la population augmente et une ville dans laquelle le nombre d’habitants diminue de façon significative.

En France, la dynamique rurale s’accroît, même si elle est inégale selon les territoires ruraux (5). Pourtant, nos dirigeants politiques continuent de raisonner comme si la France connaissait un processus d’urbanisation et de concentration des populations dans les grandes villes selon des logiques radiales. Il s’agit de l’histoire d’hier, pas de la réalité d’aujourd’hui. Ainsi, les dernières lois territoriales sont désuètes et, donc, inadaptées aux dynamiques actuelles (6).

Concernant la migration internationale en Europe, elle a un effet démographique majeur dans la mesure où les migrants s’installant sont majoritairement jeunes, donc à l’âge de fécondité, et que, selon la formulation que j’ai proposée, « la migration, heureusement, ne rend pas stérile ! » Les immigrants ont donc des enfants sur les territoires où ils résident. Il faut donc, d’un point de vue démographique, considérer les migrants par leur nombre et aussi à travers la descendance qu’ils vont avoir. Ainsi, au milieu des années 2000, l’augmentation de la natalité en Espagne n’était pas due aux Espagnols mais aux immigrants, notamment d’Amérique andine. En France, le premier flux migratoire est toujours le regroupement familial qui contribue à la natalité.

Une Europe polycéphale

L’Europe de demain, comme celle d’aujourd’hui, n’aura pas de cœur économique unique. Les fonctions économiques se trouvent distribuées en de nombreux territoires en fonction de leur attractivité et de leur entrepreneuriat. Pour ne citer que les échelons les plus élevés, on peut distinguer Paris comme principale capitale des congrès, Frankfort comme principale capitale bancaire, Londres comme principale capitale financière, Bruxelles comme principale capitale politique en matière de réglementation commerciale ou agricole, Rome comme principale capitale du tourisme religieux ou encore Rotterdam et Anvers comme principales capitales portuaires.

Le lien entre dynamique démographique et situation économique est incontestable : une bonne attractivité économique se traduit par une évolution démographique positive. Mais il convient de préciser que l’attractivité économique est largement fonction de la qualité des gouvernances territoriales (7), à l’instar de la comparaison entre Londres et Paris ces deux dernière décennies, la première ville ayant gagné des centres de décision, la seconde en ayant perdu.

Notes •

(1) Regrettons que les organismes publics français qui disposent pourtant d’appréciables moyens ne s’investissent pas dans de tels traitements de données.

(2) Ilyes Zouari, « France – Royaume-Uni : un match démographique très disputé », Population & Avenir, n°717, mars-avril 2014.

(3) Rappelons qu’un accroissement peut être positif ou négatif, alors qu’une croissance est, par définition, positive.

(4) Gérard-François Dumont et Pierre Verluise, Géopolitique de l’Europe : de l’Atlantique à l’Oural, Paris, PUF, 2015.

(5) Jean-Albert Guieysse et Thierry Rebour, « Territoires ruraux : déclin ou renaissance ? », Population & Avenir, n°707, 2012 ; et Pierre Pistre, « Les campagnes françaises : un renouveau incontestable, mais très inégal », Population & Avenir, n° 715, novembre-décembre 2013.

(6) Gérard-François Dumont, « Territoires : un fonctionnement radial ou réticulaire ? », Population & Avenir, n°722, mai-juin 2015.

(7) Gérard-François Dumont, Diagnostic et gouvernance des territoires, Paris, Armand Colin, 2012.