Tuer à 20 ans

Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Causeur-transparent

1er décembre 2015 • Opinion •


On a beaucoup parlé de « crime contre la jeunesse » parce que nombre de victimes des attentats de Paris avaient moins de 40 ans. Mais tous leurs assassins, sans exception, étaient jeunes eux aussi. Vingt ans, c’est le bel âge du terrorisme…


Dès le lendemain des attentats, le président, son Premier ministre et les médias à l’unisson se sont hâtés de le souligner : ces crimes, par la nature des cibles choisies, ont été perpétrés contre la jeunesse. Comme si le jeune âge des victimes était une circonstance aggravant l’horreur du crime. Personne ne s’était aventuré à suggérer que c’était la vieillesse qui avait été attaquée lorsque les anciens de Charlie Hebdo ont été assassinés le 7 janvier dernier. Personne n’a pensé que la France vieillissante était menacée dans son identité lorsque les jeunes frères Kouachi (32 et 34 ans) ont abattu Cabu (76 ans) et Wolinski (80 ans). C’est que la jeunesse, autrefois synonyme d’immaturité, est devenue une valeur en soi. Inutile de souligner la vigueur de l’impératif qui pèse sur nos têtes : « rester jeune ». Liberté, Egalité, Fraternité, Juvénilité.

C’est pour cette raison sans doute que ce qui a tant frappé certains témoins du Bataclan, la jeunesse de leurs bourreaux, a finalement été passé sous silence. Nous étions bien en peine de penser quelque chose de ce qui sautait aux yeux de ceux qui étaient là : la radicale jeunesse des fous d’Allah qui ont voulu tuer puis mourir, le 13 novembre 2015 à Paris.  Pourtant, terreur et jeunesse marchent depuis toujours ensemble. En Chine, il n’est qu’à songer à celle répandue par les gardes rouges, souvent des lycéens, délivrés par l’idéologie de la révolution des liens et des freins familiaux ou institutionnels. Ils humilièrent leurs pères et leurs professeurs sous les encouragements d’un vieux tyran qui haïssait la culture traditionnelle de son pays. En Europe, Kundera dénoncera le lyrisme juvénile de la terreur. « Si quelque chose m’a toujours profondément écœuré chez l’homme, dit-il, c’est bien de voir comment sa cruauté, sa bassesse et son esprit borné parviennent à revêtir le masque du lyrisme. » Les œuvres numériques de l’Etat Islamique sont à cet égard édifiantes. Un syncrétisme de religion archaïque et de jeux vidéo se met au service d’un sentimentalisme écoeurant qui sépare les gentils des méchants avec la rigueur d’un gamin de six ans à qui on a piqué son pain au chocolat. Malgré sa virtuosité technique inspirée par celle de Hollywood, le djihadiste ne connait que le noir et blanc moral. Mais en cela, sa propagande reste encore fidèle à Hollywood et à Luc Besson. Il nous fait boire jusqu’à la lie son cocktail indigeste d’esthétisme kitsch et de violence ricanante à la Tarantino ; nous pourrions ricaner nous aussi et éloigner de nous cette coupe grotesque, si tout cela restait aussi virtuel que Hollywood ou Luc Besson peuvent l’être, et si nous n’étions pas devenus les victimes, réelles ou potentielles, de cette infantilisme moralisateur et criminel.

André Breton considéra, peut-être en s’inspirant d’Emile Henry, guillotiné à l’âge de 21 ans, après avoir, notamment, tenté de massacrer les clients du café Le Terminus à Saint-Lazare, que « l’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule ». André Breton fit aussi de sa démarche artistique « un acte de foi sans limites dans le génie de la jeunesse ». Il haïssait la famille et les formes traditionnelles d’expression qui limitent la créativité spontanée des nouvelles générations.

On apprend qu’un des terroristes du Bataclan sermonnait son père venu le chercher en Syrie en l’incitant à abandonner sa pratique pacifique de l’islam pour le rejoindre dans le « vrai islam » du viol des femmes et de la décapitation des mécréants. Ces jeunes gens, qui font preuve d’une créativité sans limite dans l’exercice de la violence, ne veulent rien apprendre de la France et des générations qui les précèdent. Adeptes de la transversalité et de l’interdisciplinarité, ces enfants soumis à leur époque autant qu’à l’islam, ont eux-mêmes forgé leurs propres savoirs historiques et religieux, à partir d’une pratique intensive des nouvelles technologies. S’ils pensent trouver dans le djihad de quoi nourrir leur soif de vengeance et de sang, ils sont aussi le produit d’une France déboussolée qui ne sait plus que transmettre à une jeunesse qu’elle idolâtre et abandonne d’un même mouvement.