« Sur le volet sécuritaire, Schengen est déjà mort »

Gérard-François Dumont, professeur à l’Université Paris 4-Sorbonne, président de Population & Avenir, et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

Tribune de Genève 2

29 janvier 2016 • Opinion •


La cacophonie qui règne dans l’UE face à la crise migratoire n’est pas une surprise. Le volet sécuritaire de l’espace Schengen n’a jamais fonctionné. Et les mesures que les dirigeants sortent à la hâte de leur chapeau ne peuvent que souligner l’impasse dans laquelle ils se trouvent.


La crise migratoire a réveillé les tensions dans l’UE. Pourquoi n’arrive-t-on pas à s’entendre ?

Chaque Etat en effet joue sa propre partition, avec des gouvernements à la parole libérée, tenant souvent des propos violents les uns envers les autres. Parmi les idées violentes envisagées dans ce climat de désarroi, il y a notamment celle d’exclure le maillon faible de l’espace Schengen chargé de surveiller les frontières extérieures, la Grèce en l’occurrence.

Mais ce qui arrive aujourd’hui n’a absolument rien d’étonnant. Il faut se souvenir que Schengen s’est construit sur la volonté de libéraliser la circulation en Europe, dans une perspective de gains économiques, mais la condition sine qua non pour que le système fonctionne a été totalement négligée : la surveillance des frontières extérieures communes de cet espace libéralisé n’a jamais été assurée. Par l’élargissement de Schengen, des Etats se sont vus confier cette tâche alors qu’on savait pertinemment qu’ils n’avaient pas les moyens de le faire. L’Italie, la Grèce, se sont ainsi retrouvées dans une situation intenable. Pour remédier à cette faiblesse, on a ensuite créé Frontex, mais cela n’a fait qu’engendrer des conflits de compétences en Méditerranée. Et il n’y a pas que les frontières extérieures qui sont en faillite : on a bien vu à travers les attentats de Paris, à quel point le système d’échange d’informations est déficient. Bref, sur le volet sécuritaire, cela fait longtemps que Schengen est mort.

Angela Merkel et la Commission européenne travaillent dur pour essayer de mettre sur pied une politique migratoire commune. Ont-elles encore une chance d’y parvenir ?

Je crains que non ! On voit bien qu’aucun des piliers de cette politique ne fonctionne, le projet était mort-né dès le départ. Pour prendre un des éléments de ce plan, la répartition des migrants selon des quotas par pays ne peut tout simplement pas s’appliquer parce qu’on oublie la dimension humaine de cette crise. Les personnes qui veulent se rendre en Europe visent des pays précis, parce qu’ils y ont de la famille ou parce qu’ils savent que tel ou tel pays bénéficie d’une législation qui sera plus ou moins favorable à leur avenir. Ce n’est pas un hasard si, sur les 160 000 réfugiés de Grèce et d’Italie censés être répartis en Europe, selon l’accord trouvé au terme de beaucoup d’efforts, seuls un peu plus de 300 l’ont été à ce jour. On ne peut pas contingenter les aspirations des gens, on ne peut pas traiter les personnes comme des marchandises.

La Commission européenne compte maintenant sur la Turquie pour jouer les gardiens de sa frontière…

C’est là aussi un échec assuré. Croit-on vraiment qu’en donnant 3 milliards d’euros supplémentaires à la Turquie, un partenaire bien peu fiable, le flux migratoire va s’arrêter ? On ferait mieux de donner directement cet argent au HCR ! Ce qui est grave, c’est que ces plans sont à l’image d’une Europe qui nage en pleine incohérence, qui renie les principes qui l’ont fondée. On ne peut pas d’un côté donner 3 milliards d’euros au régime liberticide turc, et faire la morale à la Pologne pour ses écarts démocratiques.

Ce qu’il faut, c’est élargir la vision, sortir de l’esprit Schengen, corriger le diagnostic. On aide la Turquie, soit, mais pourquoi les instances européennes n’ont-elles jamais organisé une conférence avec la Jordanie et le Liban ?