L’« activisme » de la France et le rôle de l’OTAN dans la lutte contre le terrorisme

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

30 avril 2016 • Analyse •


Si le terme d’« activisme » a un sens péjoratif, il est vrai que la France est à l’avant-pointe de la « guerre contre le terrorisme ». Cela ne signifie pas que les autorités politiques et militaires ont vraiment compris le phénomène terroriste. Par ailleurs, la préférence française pour des « coalitions de bonnes volontés » ne doit pas être vue comme une forme d’hostilité envers l’OTAN. L’idée première est d’être souple et réactif. Enfin, cette préférence ne saurait cacher l’importance de l’OTAN pour rapidement mettre en place une coalition comme pour la protection des frontières orientales. Texte de l’ntervention prononcée par Jean-Sylvestre Mongrenier lors du colloque « La lotta al terrorismo transnazionale. Un ruolo per la NATO ? », organisé par la Faculté de Sciences politiques de l’Université catholique du Sacré Cœur de Milan (Italie), les 18-19 avril 2016.


En tout premier lieu, je voudrais remercier M. Massimo de Leonardi et l’Université catholique du Sacré Cœur pour leur invitation. C’est un honneur de prendre la parole en ces lieux. Je dois donc traiter de l’activisme de la France dans la lutte contre le terrorisme. En français comme en anglais, le terme d’ « activisme » peut avoir une valeur péjorative. Il est synonyme d’agitation irréfléchie. Plus précisément, le Dictionnaire Larousse définit l’activisme comme une « attitude morale qui insiste sur les nécessités de la vie et de l’action et sur les compromissions nécessaires avec des principes trop stricts». Nous conserverons à l’esprit cette définition.

De fait, la France est à l’avant-pointe de la lutte contre le terrorisme et la réactivité dont elle fait preuve dans ce champ contraste avec sa lenteur en matière de réformes économiques et sociales. On notera aussi une forte tendance à faire cavalier seul ou à privilégier des cadres d’actions autres que celui de l’OTAN.

Pourtant, cet « activisme » ne signifie pas que les autorités françaises aient pris la pleine mesure du phénomène terroriste. De même, la préférence française pour des « coalitions de bonnes volontés » ne doit être vue comme un signe d’hostilité à l’encontre de l’OTAN : il s’agit de privilégier promptitude et souplesse dans l’action. Ce seront les lignes directrices de notre propos.

La réflexion française sur le terrorisme

La France, on s’en souvient, a été frappée par plusieurs campagnes d’attentats terroristes au cours des dernières décennies, sur son sol et à l’étranger, notamment dans les affaires géopolitiques en rapport avec le Liban, le Hezbollah et l’Iran. Décideurs politiques, juges et policiers ont alors appris à lutter contre ce type de terrorisme. Pourtant, le caractère spécifique des attentats du 11 septembre 2001, qui marquèrent l’entrée dans un nouveau cycle terroriste, n’a pas été pleinement compris. Lorsque l’Administration Bush a parlé de « guerre contre le terrorisme », puis de « guerre contre la terreur », de nombreux personne ont jugé que l’expression était dénuée de sens. Le terrorisme ne désignant qu’un mode d’action, expliquaient-ils, comment donc lui faire la guerre ?

En fait, c’est le terme de « guerre » qui leur posait problème. Celle-ci était censée avoir disparu avec la dissuasion nucléaire d’abord, puis avec la fin de l’affrontement Est-Ouest. A tout le moins, la guerre était-elle vue comme reléguée aux périphéries du système mondial, dans ce que l’on appelait le tiers-monde. L’emploi de ce terme après le « 11 septembre » imposait que l’on admette le retour de ce phénomène dans nos sociétés post-modernes, prétendument vouées à une vie exclusivement matérielle et domestique. Dès lors, il faudrait répondre avec les moyens adéquats et conduire, non pas de simples opérations de police comme dans les années 1970 ou 1980, mais de vraies opérations militaires.

L’expédition militaire en Afghanistan et les opérations menées sur les confins du Pakistan, en coalition et dans le cadre de l’OTAN, ont bien marqué le début d’une guerre, au sens d’affrontement armé et sanglant entre des collectivités politiquement organisées, même si Al-Qaida et les Talibans ne sont pas des entités reconnues par le droit international. Clausewitz affirme que la guerre est un caméléon et l’on ne peut se contenter d’une définition strictement juridique d’un phénomène qui plonge ses racines dans la préhistoire. In fine, il y a une essence de la guerre, au-delà de ses formes historiques et contingentes, et parler de « guerre contre le terrorisme » n’est pas un abus de langage.

Au vrai, l’expression de « guerre contre le terrorisme » a depuis été employée au sommet de l’État, lorsque François Hollande a pris la décision d’intervenir contre Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI), dans le nord du Mali, le 11 janvier 2013. Désormais, le terme de guerre est peu ou prou avalisé, mais l’ambiguïté persiste sur ce que le « terrorisme » recouvre. Si l’on consulte le dernier Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale, publié quelque mois après, le terme est abondamment employé et la militarisation du terrorisme est prise en compte (1). En revanche, il n’y est pas fait mention de l’islamisme ou du djihadisme. Sans connaissances propres, on ne comprendrait pas la menace dont il est question. Ce déni de réalité révèle l’incompréhension du « djihadisme global », avec sa dimension millénariste et apocalyptique. De surcroît, l’arrière-plan géopolitique du djihadisme est sous-estimé. C’est le Moyen-Orient dans son ensemble, soulignons-le, qui menace d’exploser, et cela ne se produit pas dans une contrée lointaine mais dans le proche voisinage de l’Europe.

Une propension française aux interventions militaires

Il reste que les armées françaises sont engagées sur plusieurs théâtres d’opérations et la cohérence du dispositif militaire est sous la menace d’une surextension géostratégique. Là où les chefs militaires dénoncent la faiblesse des budgets de défense et le manque de moyens d’action, et ce à juste titre, d’autres voudraient plutôt y voir la conséquence d’un activisme impénitent. En Afrique, la France est engagée dans la zone sahélo-saharienne (opération « Barkhane ») ainsi qu’en République de Centre-Afrique (opération « Sangaris »). L’opération « Barkhane » relève de la « guerre contre le terrorisme » (i.e. « Al-Qaida au Maghreb islamique ») et mobilise de 3 500 à 3 800 soldats. En République de Centre-Afrique, quelque 900 soldats sont déployés dans une opération du type « maintien de la paix ».

Simultanément, la France est présente sur le théâtre syro-irakien (opération « Chammal »). A la différence de l’Afrique, elle est engagée non pas au-devant mais comme coéquipière, dans le cadre d’une coalition américano-occidentale. Le dispositif militaire repose sur 700 soldats et 14 avions de combat, répartis entre la Jordanie et les Émirats Arabes Unis (2). Ce dispositif est régulièrement renforcé par le porte-avion Charles-de-Gaulle et son groupe aéronaval, ce qui permet d’accroître la puissance de feu. Notons à ce sujet que la question d’un second porte-avions est à nouveau posée dans le monde de la défense. Par ailleurs, la ligne politico-diplomatique française reste la même : « Ni Daech, ni Assad ».

Enfin, comme dans les autres pays occidentaux, la possibilité d’une nouvelle intervention militaire en Libye est évoquée. Schématiquement, les autorités françaises semblent prêtes à s’engager mais elles privilégient le processus politique amorcé avec Faïez Sarraj. L’opinion dominante est qu’il faut donner du temps au temps, selon l’expression consacrée. Il y a bien des « fuites » quant à la présence de forces spéciales sur le terrain, mais c’est aussi le cas d’autres pays, y compris l’Italie. En cas d’échec du processus politique, la France devrait former une coalition avec les principales puissances occidentales. Au vrai, quand le ministère de la Défense affiche sa volonté d’aller de l’avant, celui des Affaires étrangères semble plus en retrait.

Quoiqu’il en soit, les autorités françaises sont enclines aux interventions extérieures et elles peuvent compter sur le soutien de l’opinion publique. Le tournant date de la fin du conflit Est-Ouest, avec la guerre du Golfe. Il a été confirmé sous la présidence de Jacques Chirac. Alors, la France s’est fortement engagée en ex-Yougoslavie, dans le cadre de l’OTAN, ce qui est essentiel pour comprendre son plein retour dans la structure militaire. D’une manière générale, les dirigeants français estiment que les crises et conflits géopolitiques extérieurs sont la résultante de multiples causes, sans rapport immédiat avec l’Occident. La non-intervention a aussi un coût et, dans de nombreux cas, la situation serait pire encore. En d’autres termes, il est trop facile d’invoquer un monde idéal pour dresser le procès de l’Occident et les interventions militaires peuvent être légitimes. Tel est le point de vue dominant dans les sphères officielles.

La préférence française pour les « coalitions de bonnes volontés »

Nous ne sommes plus aux temps de « la France seule » et la propension à intervenir nous conduit à traiter des cadres d’action. Même sur le front africain, la position très en avant de la France ne doit pas dissimuler l’importance du partenariat avec les Etats-Unis ainsi que les contributions des alliés européens. La nécessaire solidarité entre alliés et partenaires pose la question de l’OTAN, une organisation avec laquelle Paris entretient des relations paradoxales. D’un côté, la France est l’un des membres fondateurs de l’Alliance atlantique et a joué un rôle essentiel dans la signature du traité de Washington (4 avril 1949). De l’autre, l’OTAN a souvent été perçue comme une sorte d’épouvantail et l’« intégration » a longtemps été un mot tabou.

Depuis lors, la décision française de participer complètement à l’OTAN a permis de réduire ce que l’on a pu appeler les « dissonances cognitives », c’est-à-dire l’écart entre les réalités stratégiques et les représentations françaises. La France s’est engagée dans la « transformation » de l’OTAN et son retour dans la structure militaire intégrée a été officialisé il y a sept ans, lors du sommet de Strasbourg-Kehl (2-4 avril 2009). Exception faite des forces politiques extrémistes, il existe un relatif consensus sur cette question. Malgré des déclarations ambiguës lors de la dernière campagne présidentielle, en 2012, l’alternance politique n’a en effet rien changé à la décision prise sous Nicolas Sarkozy.

Pourtant, la France privilégie d’autres cadres que l’OTAN pour ses interventions militaires extérieures. Dans le cas de l’opération en Libye, en 2011, il aura fallu l’insistance de Washington, de Londres et des autres alliés engagés aux côtés de la France pour que Sarkozy accepte de passer par les chaînes de commandement de l’OTAN. Et encore ! L’OTAN était coiffée par un groupe de contact, « Les Amis de la Libye », censé assumer la direction politique de l’opération. En Afrique, Paris privilégie l’option nationale et demande ensuite le soutien de ses alliés. Au Moyen-Orient, la France est engagée dans le cadre d’une coalition. Sans mentionner le retrait d’Afghanistan avant la date-butoir (décembre 2014). Il y a désormais un décalage entre la participation de la France aux structures militaires intégrées d’une part, son recours à l’OTAN d’autre part.

Certes, la réticence à passer par l’OTAN s’explique par la culture stratégique nationale et l’habitus géopolitique de la France. Politiques, diplomates et militaires demeurent mal à l’aise dans une organisation au sein de laquelle ils ne peuvent prétendre au leadership ou agir sur une seule base nationale. Pourtant, la méthode française n’est pas complètement en contradiction avec le Concept stratégique de l’OTAN, adopté à Lisbonne (19-20 novembre 2010). L’OTAN a été recentrée sur l’article 5 et la défense collective. Cette organisation, qui compte aujourd’hui 28 pays, fonctionne sur le principe du consensus, ce qui ne rend pas aisé des interventions promptes relevant de la gestion de crise. En fait, la préférence française pour des « coalitions de bonnes volontés » semble en phase avec les évolutions stratégiques et géopolitiques.

Pour conclure

Pour conclure, alors que les menaces se rapprochent de l’Europe, au Sud comme à l’Est, il faut insister sur l’importance politique et stratégique de l’OTAN, malgré le recours de la France à d’autres cadres d’action. Si les interventions extérieures et la « guerre contre le terrorisme » requièrent parfois des cadres plus flexibles, le travail réalisé à l’intérieur de l’OTAN en termes de standards, d’entraînement et d’interopérabilité est crucial et permet de monter rapidement des « coalitions de bonnes volontés ». Il serait erroné de sous-estimer cette plus-value.

Enfin, les menaces au Sud et la lutte contre des acteurs exotiques et anomiques, comme l’État islamique ne doivent pas dissimuler le danger de « guerres hybrides » et d’affrontement interétatiques sur nos frontières orientales. Quand bien des défis mettent en péril l’Union européenne, il est urgent d’entretenir la vitalité de l’OTAN, voire de songer à une « OTAN + », avec des financements communs accrus, une plus grande division du travail et même des mécanismes de décisions politique plus adaptés.

Je vous remercie de votre attention.

Notes •

(1) Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale a été publié le 29 avril 2013. Voir https://www.defense.gouv.fr/actualites/la-reforme/livre-blanc-2013.

(2) Huit Mirage 2000D sont stationnés sur la base aérienne Prince-Hassan (Jordanie) et six Rafale opèrent depuis la base française d’al-Dhafra (EAU). Progressivement, tous les avions français engagés dans l’opération « Chammal » seront des Rafale et les Mirage 2000 seront redéployés au Sahel.