Fillon · Après le lynchage, le déluge

Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More

2 février 2017 • Opinion •


Hier soir, en cuisinant, je me suis branché sur France Inter. D’habitude à la même heure, j’écoute plutôt Bach ou Leonard Cohen, mais hier soir, ne me demandez pas pourquoi, c’était Nicolas Demorand. Le juvénile journaliste joufflu se réjouissait : en vingt ans de service public, il n’avait jamais vu ça. Le standard du vieux « Téléphone sonne » était en surchauffe. Ça débordait de partout, la France entière s’agitait de concert avec ses journalistes. Une belle et rare unanimité rassemblait le bon peuple et sa caste médiatique. Chacun avait envie de participer. De jeter sa pierre sur l’édifice. De crier haro sur le baudet de la Sarthe. Ça faisait du bien.

Dans toute cette foule d’auditeurs, de journalistes et d’invités, pas un bon Français pour seulement mettre à distance ses instincts lyncheurs. Chacun se lâchait, sûr de son bon droit, certain d’être du bon côté. Une dame nous disait même qu’on avait bien eu raison de couper la tête à Louis XVI. Et qu’on devrait bien vite recommencer. On la laissait raccrocher sous les ovations. Au moment où Marine Le Pen abolit la peine de mort au FN, Nicolas Demorand la rétablit sur France Inter. Un invité nous promettait l’Europe du Nord et ses députés bien sages, des armées d’interchangeables pères la vertu divorcés deux fois, qui tiennent une comptabilité impeccable. Chacun paraissait se réjouir de voir souffler sur notre vieux pays ce vent du nord, qui balaiera les miasmes des opacités françaises. On se souvenait même que, déjà à l’époque, François Fillon n’avait pas assez condamné Cahuzac : tout s’expliquait !

A bien réfléchir, on se dit que l’explosion de la famille va bientôt résoudre le problème. Dès qu’ils auront réussi, nos néo-députés largueront bien vite leurs premières femmes, comme n’importe quel président de la République qui se respecte, et n’auront ainsi plus personne à favoriser. Ils pourront verser des salaires de misère à de jeunes attachées parlementaires bien plus affriolantes que leurs vieilles épouses. La morale sera sauve. Il ne pouvait pas divorcer comme tout le monde, François Fillon ?

Demorand s’en gargarisait une nouvelle fois, ça se bousculait décidément au portillon de la radio de l’exécution publique. La vertu de la République outragée réclamait encore et toujours réparation. Et ce salaud de Fillon qui nous réclamait des économies !? Pas question de dépenser moins quand on peut lyncher plus. La bonne vieille guillotine ressuscitée par la grâce des médias fait bien son travail égalitaire. Ah le beau boulot ! Plus une tête qui dépasse ! Depuis quelque temps, elle tranche les têtes de favoris à l’élection présidentielle avec une régularité effarante, et décérèbre les gens plus efficacement encore que l’école de la République et de la lutte contre les inégalités.

Certes, ce n’est pas parce qu’on lynche un quidam qu’il est innocent. Il arrive que des coupables se fassent lyncher. Qui dit le contraire ? Est-ce que cela rend le lynchage plus honorable pour autant ? Le problème c’est qu’il se substitue à la justice. Qui se souvient de DSK ? Etait-il coupable ou innocent ? Qui le sait aujourd’hui ? Qui s’en soucie ? Plus personne ne veut laisser la justice faire son travail, chacun préfère faire le travail à la place de la justice, la prendre de vitesse. Ce n’est pas pour rien qu’elle est lente d’habitude. Il lui faut ne pas céder à nos emballements. Mais le temps de la vieille justice qui marche à son auguste pas est semble-t-il terminé. La voilà qui court après la foule lyncheuse. Plus rien ne vient s’opposer à la fébrilité et à la joie triste de nos emballements. Et le champ de ruines que nous laisserons derrière nous, ce n’est pas notre problème.

Après le lynchage, le déluge.