Mehdi s’éclate et le « Grand Remplacement » passe

Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More

21 février 2017 • Opinion •


L’« affaire Mehdi Meklat » a le mérite de dévoiler au grand jour les Tartuffe. Ceux qui ont eu tant de complaisance pour « la poésie, l’intelligence et l’humanité » de l’écrivain-twitteur reconnaîtront-ils enfin qu’ils se sont fourvoyés ?


« Nous sommes le Grand Remplacement ». En ouverture de l’éditorial du premier numéro de la revue Téléramadan, édito qu’il cosignait avec Badroudine Saïd Abdallah et Mouloud Achour en juin 2016, l’écrivain-twitteur Mehdi Meklat, jeune coqueluche de Libération, des Inrocks et de Pascale Clark réunis, nous promettait sur un ton un poil arrogant, de nous « grand remplacer ». Une provoc’ bien sympa qui suscitait un grand éclat de rire dans le tout petit monde des lecteurs du Bondy Blog. Une journaliste du Monde, dénommée (mais ça ne peut être qu’un pseudonyme) Elvire Camus, dans un article d’une remarquable complaisance, précisait leur projet : restez calme, brave gens, il ne s’agit pas vraiment pour Mehdi, Badroudine et Mouloud de vous remplacer physiquement, mais seulement de parler à votre place afin de remplacer vos « idées nauséabondes » par leurs idées à eux, qui elles, sentent bon.

Ces jeunes rebelles parfumés de frais et bien sous tous rapports, semblent vaporiser leur prose odoriférante alentour sans agressivité, presque sans y penser, « naturellement », comme il est naturel et respectable pour tout grand mammifère triomphant d’imprégner de son odeur les territoires qu’il aborde. Ils le disent eux-mêmes, ils veulent seulement « reprendre leur place » et faire taire ceux qui défendent l’indéfendable : « la thèse » du Grand Remplacement de Renaud Camus, « en assumant, écrit Elvire Camus, ce rôle de « grands remplaçants«  sur le terrain des idées ». Soucieux de nous rassurer pour de bon, Mehdi Meklat, au moment de conclure son éditorial, passe brutalement de la morgue ricaneuse au lyrisme papelard : « nous voulons grand-remplacer le désespoir par un idéal : l’écoute et la réflexion ». Comme c’est sympa.

Cependant, triste paradoxe, il semble que cet idéal, s’il est pris au sérieux, est susceptible de nourrir le désespoir contre lequel il prétend lutter. Me mettant grâce au Printemps Républicain à l’écoute de Mehdi Meklat, je constate que ce sympathique blogueur préposé à la diffusion des effluves délicates de la bien-pensance, et à qui l’on donnait naguère le paradis du vivre-ensemble sans confession, souffre d’une incontinence verbale elle-même pestilentielle. A la réflexion, c’est inquiétant, et même tout à fait désespérant.

Même si l’on s’abstient de consulter ses tweets les plus orduriers, force est de constater que l’espoir de nos médias de référence, non content de faire l’apologie de Hitler, d’appeler à l’autodafé des revues Charlie Hebdo et L’Obs (pour cause d’anti-antisémitisme), de souhaiter casser les jambes d’Alain Finkielkraut, de plaider pour l’égorgement de Marine Le Pen, déclare aussi sobrement : « il faut que les blancs meurent asap ». Ce n’est donc pas seulement les idées des petits blancs racistes qu’il faut remplacer, mais bien les blancs eux-mêmes. Voilà comme on nous parle aurait dit une Pascale Clark sans œillères, cet oxymore. C’est du brutal, mais au fond, il y a de quoi se réjouir. En s’exprimant sans fard, Mehdi Meklat clarifie ses intentions et nous empêche de prendre des vessies remplacistes pour des lanternes sympatoches. Personne et surtout pas les Inrocks ne parviendra à nous faire avaler qu’il n’y a aucun lien entre sa prose mi-narquoise, mi-mielleuse, adulée par les pharisiens de la bonne presse et ses tweets haineux.

Mais ce qui me chiffonne aussi, c’est qu’il utilise pour détailler son projet de vie le joli pseudonyme, franchouillard en diable, en hommage (?) à Marcel Duchamp, de Marcelin Deschamps. Marcelin est un prénom délicieusement obsolète, et parmi les nombreux saint Marcellin, il en est un, de Carthage, qui fut un ami de saint Augustin. L’évêque d’Hippone, qui l’appelle « mon bien cher fils », lui rend hommage dès les premières lignes de sa Cité de Dieu. Marcellin, un haut fonctionnaire cultivé et zélé, défendit la stricte orthodoxie catholique face à une bande de Donatistes excités qui finirent par le grand-remplacer, manu militari. Pas sûr que le favori de Pascale Clark soit digne du nom très-chrétien dont il s’est lui-même baptisé. Même si, réflexion faite, la grande prêtresse de l’antiracisme ne perçoit toujours chez son protégé que « poésie, intelligence et humanité ».