Sortie de l’euro · Une spoliation de grande ampleur

Gérard Dussillol, président du Pôle Finances publiques de l’Institut Thomas More

2 mars 2017 • Opinion •


Le Front national nous assure qu’une sortie de l’euro ne nous causera aucun problème, car il suffira de convertir unilatéralement notre dette publique en francs. D’ailleurs ajoute-t-il, cela fait partie des prérogatives fondamentales d’un État souverain que de choisir sa monnaie. Soit, mais d’un autre coté les agences de notation Standard & Poor’s et Moody’s nous avertissent qu’une telle mesure constituerait un défaut de la France sur sa dette souveraine, autant dire un évènement gravissime, qui ne nous est pas arrivé depuis 1797. Ces agences de notation, se sont faites alors attaquer au motif qu’il s’agissait-là d’une une immixtion des USA dans la campagne présidentielle, attitude d’autant plus choquante, que de toute façon ces agences ne pourraient pas « déclarer un défaut » de la France, compte tenu des risques que cela entraînerait.

Au delà de la polémique, qu’en est-il vraiment du fond de cette question ?

Il convient avant tout de préciser qu’on se trouve ici face à un problème complexe, et à vrai dire personne n’est vraiment en mesure d’avoir une vision précise et chiffrée de toutes ses implications. Aussi faut-il se garder d’affirmations péremptoires, ou mélanger un certain nombre de notions, ce qui ajoute de la confusion ou crée des problèmes qui n’existent pas.

Il n’y a d’abord aucune ingérence des agences de notation US dans les affaires françaises : chaque jour, celles-ci évaluent les risques d’émissions obligataires en Allemagne, au Royaume-Uni, en France, au Japon etc., et personne ne dit que le gouvernement US s’immisce dans les affaires de ces pays. Par ailleurs, il n’est pas dans le pouvoir d’une agence de notation de prononcer un défaut de paiement, mais seulement de le constater. L’agence de notation n’est pas un juge. Elle doit se contenter de prendre acte d’une situation où le débiteur rompt ses obligations contractuelles au préjudice des droits et intérêts du créancier. Et donc, lorsqu’il y a changement unilatéral des conditions de remboursement d’un emprunt, et que ce changement entraîne une spoliation du créancier, elle doit constater le défaut.

Conversion unilatérale et spoliation

Et une conversion unilatérale de la dette française en francs, lors d’une sortie de l’euro, engendrerait bien spoliation, s’il y avait dévaluation du franc par rapport à la devise du contrat, l’euro, et s’il n’y avait pas compensation de la perte qui en résulterait pour le créancier : celui-ci en effet recevrait moins d’euro en intérêts et principal que l’émetteur ne s’était engagé à lui verser. Et dans ce cas, avant l’inévitable saisie des tribunaux par le créancier pour faire valoir ses droits, l’agence de notation ne pourrait pas, ne pas constater le défaut de l’émetteur : celui-ci ne remplissant pas son contrat, serait bien en défaut de ses obligations contractuelles. C’est du simple bon sens, mais aux conséquences lourdes.

Comme il est hautement vraisemblable qu’il y aurait dévaluation de franc par rapport à l’euro, et que le FN ne dit rien sur la manière dont il entend indemniser les créanciers français de la perte qui en résulterait pour eux, on va droit au défaut ; sachant qu’un défaut sur une partie d’une dette d’un émetteur entraine juridiquement défaut sur l’ensemble de sa dette, donc techniquement faillite de l’Etat français…

Offre publique d’échange

Comment, alors, convertir unilatéralement notre dette souveraine en francs sans risquer le défaut ? Il faudrait qu’au préalable, l’Etat fasse à ses créanciers une offre publique d’échange de leurs titres en euro contre des titres en francs, et, il faudrait aussi, que ceux-ci l’acceptent… donc que l’Etat compense intégralement leurs pertes, calculées à partir du cours euro/franc. On imagine la lourdeur, la complexité et le temps d’une telle procédure, en plus dans un climat de grande incertitude, donc de volatilité des devises. C’est très difficilement réalisable, quand bien même on le voudrait.

En plus cela ne servirait à rien : convertir notre dette publique en francs en indemnisant nos créanciers de manière à compenser leurs pertes, coûterait à l’Etat exactement la même chose que s’il la laissait en euro. Si par exemple le franc dévaluait de 25% par rapport à l’euro (chiffre cohérent avec les dires du FMI comme quoi le Mark devrait être réévalué de 15% et le franc dévalué de 6%, soit un écart de 21%), notre dette restée en euro nous couterait 25% plus cher : nous aurions toujours  2 200 Mds d’euro à rembourser mais il nous faudrait dépenser en francs, l’équivalent de 2 750 Mds pour ce faire, plus l’augmentation de nos intérêts.

Et ce n’est pas tout, mais là on entre dans le domaine de l’inquantifiable : qu’en sera-t-il de la dette du secteur privé, quel risque une augmentation de la charge de sa dette de 25% va-t-elle lui faire courir, et quel impact cela aura-t-il sur les banques ?

L’hypothèse du « bank run »

Continuons : si l’arrivée au pouvoir du FN devient une chose envisageable par nos concitoyens, on va assister à un bank run : les épargnants français vont se ruer pour transférer leurs avoirs dans d’autres pays de la zone euro afin de garder leurs actifs en euro. Ils devraient également demander le remboursement de leurs contrats d’assurance vie en euro. Et là, ça va faire mal, très mal, au marché de la dette publique française !… Le gouvernement actuel serait alors contraint de mettre en place dans l’urgence des mesures conservatoires, notamment un contrôle des changes. Ce qui ne fera qu’accentuer la panique sur les marchés financiers…

Quelles seront ensuite les effets de contagion sur les autres pays européens, ou encore sur le système financier mondial, par exemple du fait des instruments permettant d’assurer de la dette contre un défaut (Credit Default Swaps ou CDS)? Les bilans de ces contreparties risquent d’être pour le moins fragilisés. Et on a vu en 2008 ce que cela signifiait…

D’ailleurs le spectre d’une arrivée au pouvoir du FN a déjà commencé à faire monter les taux d’intérêts sur la dette française, ce qui va impacter notre économie, laquelle n’avait pas besoin de cela. Et au gré des sondages ce mouvement risque de s’amplifier. Peut-être alors, enfin, va-t-on s’apercevoir avant qu’il ne soit trop tard qu’il est préférable de faire machine arrière.

Artifice juridique

Notre économie serait forte et saine, il en serait autrement : le franc s’appréciant par rapport à l’euro, nous aurions tout intérêt à conserver notre dette en euro. La morale de l’histoire est qu’on ne peut pas sortir d’une union monétaire par le bas. On voit aussi qu’il est quasiment impossible de quantifier l’ensemble des réactions en chaîne qui vont se mettre en place. Mais du fait du caractère ardu de ces sujets, le FN ne trouve en face de lui que peu de contradicteurs.

Ceci étant, on commence à comprendre la manœuvre du FN : celui-ci n’entend pas convertir en francs la dette souveraine de droit étranger de peur des procès à l’étranger… Et comme son montant n’est « que » de 200 Mds, le surcoût de cette dette issu d’une dévaluation du franc serait supportable. Et pour les 2 000 Mds restant, convertis eux en francs, il n‘a pas en fait l’intention de compenser les épargnants français, pensant qu’il trouvera bien un artifice juridique pour bloquer leurs demandes de dédommagement devant nos tribunaux… raison pour laquelle il nie qu’une sortie de l’euro puisse coûter cher à l’Etat. Il a donc cyniquement en tête une spoliation de grande ampleur. Mais il « oublie » une chose : avant qu’aucun tribunal français n’ait pu être saisi, si tant est qu’il ne nous empêche pas de le faire, le défaut aura été constaté, et ce sur l’ensemble de notre dette.

Nous devrions donc plutôt remercier les agences de notation de leurs mises en garde, et de nous aider à comprendre les dangers dissimulés derrière les slogans simplificateurs de cette idéologie, à la fois nationaliste et socialiste. Ces deux mots, dans l’histoire, ont le plus souvent été porteurs de chaos, surtout associés l’un à l’autre.