Brexit et référendum écossais · L’unité du Royaume-Uni est-elle menacée ?

Pierre-Alain Coffinier, ancien Consul général à Edimbourg, chercheur associé à l’Institut Thomas More

FigaroVox

14 mars 2017 • Opinion •


Alors qu’on s’attendait à ce que Theresa May notifie ce mardi 14 mars la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le Premier ministre écossais, Mme Nicola Sturgeon, a annoncé la tenue d’un nouveau référendum d’indépendance. Il serait de bon sens, a-t-elle déclaré à la BBC dimanche, qu’il ait lieu quand l’accord de sortie sera connu, entre l’automne 2018 et le printemps 2019. Prise de court, Theresa May se donne deux semaines de plus, avant la fin mars, pour la notification de sortie, alors que Westminster vient d’approuver, sans amendement, son projet de loi.

Pour Sturgeon, le Brexit change tout. Lors du débat sur l’indépendance de l’Ecosse en 2014, Londres expliquait que pour se maintenir dans l’Europe, l’Ecosse devait rester dans le Royaume-Uni… Elle a alors rejeté l’indépendance à 54%. Mais Les termes du marché sont aujourd’hui inversés. Le Royaume-Uni dans lequel les Ecossais ont choisi de se maintenir n’est plus le même. Moins eurosceptiques que les Anglais, les Ecossais se sont prononcés, le 23 juin dernier, à 62% pour l’Europe – contre 48%. Toutes les circonscriptions écossaises ont voté dans le même sens.

Fervente nationaliste, Nicola Sturgeon a une belle occasion d’approfondir le fossé politique entre les deux « nations ». Dès juillet dernier, une commission a été créée pour étudier la possibilité d’un « Brexit partiel », où seule l’Angleterre quitterait l’Europe. Irréaliste. Nicola Sturgeon prône maintenant le maintien du pays dans l’espace économique européen, à l’instar de la Norvège. Mais Theresa May a rejeté nettement cette formule en janvier. Pire, elle balaie le rapatriement à Edimbourg lors du Brexit de celles des compétences exclusives de Bruxelles (politique agricole commune, politique commune de pêche, innovation, environnement) qui sont au Royaume-Uni « dévolues » aux régions. Dans cette hypothèse, tout reviendra à Londres.

Le long débat sur l’indépendance, entre 2012 et 2014, a bouleversé le soutien à l’indépendance dans la population écossaise, passé d’un étiage traditionnel de 25 à 30% depuis plusieurs décennies aux 45% obtenus le jour du scrutin. Un exploit. Le choc du vote du 23 juin a provoqué un sursaut pour l’indépendance, désormais autour de 54%.

Depuis, les Ecossais, comme leurs voisins, sont restés circonspects : qui pouvait prédire à quoi ressemblerait ce fameux Brexit que la discipline démocratique invitait à respecter ? L’économie déjouait les prédictions alarmistes. Pendant six mois, les sondages ont indiqué un soutien à l’indépendance équivalent à ce qu’il était au premier référendum : 45%. Mais depuis janvier, le choix d’un hard Brexit, hors de l’espace économique européen, inquiète. L’Ecosse recueille une part considérable des aides européennes à l’agriculture britannique, à la recherche et à l’innovation, notamment dans le domaine des énergies éoliennes et marines où elle est pionnière.

Avec la baisse des cours des hydrocarbures (16% de son PIB), l’économie écossaise est vulnérable. D’autant plus que son secteur financier – Glasgow et Edimbourg sont les deuxième et troisième places financières du Royaume-Uni, comparables à Copenhague, Rome ou Madrid – est aussi touché (la gestion de fortune, dont une partie est automatisée, est l’une de ses spécialités). Pas question de perdre le « passeport financier européen » … surtout si la City le perd de son côté ! Edimbourg serait alors en excellente position pour récupérer une partie des transfuges, avant Paris, Francfort, Amsterdam ou Dublin. Et les trois derniers sondages mettent en Ecosse l’indépendance à 49 ou 50%.

Si Edimbourg ne peut tenir un référendum contraignant sans l’aval de Londres, il peut tenir un référendum « consultatif » qui constituerait un fait politique majeur, notamment compte tenu du précédent de 2014 : l’union au sein du royaume a toujours été considérée comme volontaire, à l’inverse du royaume d’Espagne, constitutionnellement indivisible.

Mais rien ne serait plus hasardeux que de pronostiquer la voie que suivra le Royaume-Uni dans les deux années de négociations qui s’annoncent. Le premier accord que le Royaume-Uni devra négocier en deux ans à partir de sa notification de sortie en vertu de l’article 50 du Traité de l’Union européenne, pour solder les comptes, présente déjà toutes sortes de difficultés. Michel Barnier demande une facture de l’ordre de soixante milliards d’euros. Il s’agit d’abord des fonds de cohésion et investissements structurels pour soutenir le rattrapage des économies d’Europe centrale et orientales qui doivent être versés après le départ envisagé du Royaume-Uni (2019). Le deuxième poste est celui des pensions des fonctionnaires européens. Comment vendre une telle facture à un électorat qui a protesté contre Bruxelles ?

Au-delà, une incertitude totale entoure toujours l’accord de libre-échange « hardi et ambitieux » que Theresa May demande avec l’Union européenne. Le Brexit menace aussi de rallumer les tensions en Irlande du Nord où, pour la première fois depuis l’indépendance en 1921, les partisans de la réunification de l’île avec la République d’Irlande viennent de devenir majoritaires au parlement régional.

A cette crise multiple pourrait s’ajouter la fronde des milieux économiques et de la City susceptible d’entraîner une dépression qui toucherait nos voisins au portefeuille. Les signes avant-coureurs se précisent. Ces risques apparaissent soudain à Theresa May suffisamment sérieux pour qu’elle reporte à la fin du mois une annonce de la sortie du Royaume-Uni que l’on attendait pour ce mardi 14 mars.