Présidentielle 2017 · Où est passé le handicap ?

Charles de Boissezon et Cyrille Dalmont, coauteurs du rapport « Refonder la politique du handicap. Propositions pour une France enfin inclusive »

29 mars 2017 • Opinion •


A quelques semaines de l’élection présidentielle, Charles de Boissezon et Cyrille Dalmont, coauteurs du rapport « Refonder la politique du handicap. Propositions pour une France enfin inclusive », dénoncent le désintérêt des candidats à l’égard des personnes en situation de handicap. Pour eux, la présidentielle devrait être l’occasion de lever certains tabous.


Douze millions de Français sont touchés par le handicap. Aujourd’hui, douze ans après le vote de la grande loi de 2005 et alors que 85% de nos concitoyens sont favorables à une solidarité renforcée avers les personnes handicapées, seule la moitié des Français estiment que notre pays se donne les moyens de les inclure. Les personnes en situation de handicap sont superbement ignorées par nos politiques. Pourquoi se soucier, après tout, d’une population qui ne manifeste pas, soit du fait même de ses handicaps, soit par peur de représailles d’institutions qui se portent d’autant mieux que rien ne change ?

La présidentielle devrait être l’occasion de lever, enfin, cinq tabous sur le handicap, et d’y répondre.

D’abord, celui des traitements. La France est pratiquement seule au monde à prodiguer des traitements psychanalytiques aux enfants ayant des troubles d’origines neurologiques et ce malgré les recommandations de la Haute autorité de santé et les condamnations récurrentes des institutions internationales.

Ensuite, celui des coûts. Les sommes en jeu sont considérables. Les associations gestionnaires qui se voient confier des enfants avec un handicap (souvent à tort) par l’Aide Sociale à l’Enfance facturent cette prise en charge jusqu’à 750€ la journée. Dans le même temps, les soins adaptés à ces enfants ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale. Ils sont pourtant le plus souvent dix fois moins chers. Près de trois milliards d’euros d’économies seraient possibles en limitant les longs séjours en hôpital inutiles pour les personnes qui n’ont pas de troubles d’origine psychologique. Par ailleurs, faute de places en nombre suffisant, l’assurance maladie consacre soixante millions d’euros par an dans le cadre de conventions conclues avec des établissements belges qui accueillent plus de 6 000 Français en situation de handicap. Où est la nation, quand on force à l’exil autant de nos concitoyens ?

Troisième tabou : le mauvais usage de la justice. La surreprésentation des enfants qui relèvent du handicap au sein de l’Aide Sociale à l’Enfance a de fait été pointée du doigt par le Défenseur des Droits. Le système de l’information préoccupante qui, à l’origine en 2007, était prévu pour faciliter les dénonciations de maltraitances sur les enfants est devenu une arme de rétorsion contre les familles qui refusent de voir leur enfant privé d’avenir pour nourrir un système qui s’autoalimente en patients. Les statistiques parlent d’elles-mêmes : près de 120% d’actions en plus chaque année ; les enfants handicapés font sept fois plus souvent l’objet de cette procédure.

Quatrième tabou : l’Everest de l’éducation et de la formation des enfants puis des jeunes adultes handicapés. Chez un enfant, il faut trente mois en moyenne pour établir un diagnostic de trouble d’origine neurologique – ce sont dès lors quatre années scolaires perdues… Plus tard, alors que la plupart des enfants de dix ans entrent en CM2, moins d’un enfant handicapé sur quatre parvient à ce niveau à cet âge. En fin de course, très peu d’entre eux seront diplômés de l’enseignement supérieur : 80% ont un niveau CAP/BEP. Et pour celui qui serait diplômé et viserait un poste qualifié, sitôt un salaire de 1400 euros nets atteint, l’ensemble des aides cessent. C’est bien connu : les surcoûts liés au handicap disparaissent avec l’emploi !

Cinquième et lancinant tabou : celui de l’accessibilité. Avoir une politique du handicap, ce n’est pas promettre en 2005 l’accessibilité sous dix ans, et se renier en 2015. Seuls 30% des bâtiments sont accessibles. On déroge, on reporte et des « agendas d’accessibilité programmée » repoussent aux calendes grecques ce qui devrait être une priorité absolue d’inclusion.

Mais une fois tout cela dénoncé, que faire ? Comment refonder la politique du handicap dans notre pays ? Par l’ambition, la créativité, la rigueur et avec un seul objectif : une France enfin inclusive.

Mettre en œuvre une politique du handicap refondée, c’est d’abord déployer une approche globale, qui va du diagnostic et de l’accompagnement des familles lors de la survenance du handicap à la formation réelle des personnels. La vocation d’un aidant (AVS, AESH), c’est d’aider une personne handicapée, pas de résorber les chiffres du chômage des personnes peu qualifiées.

C’est ensuite, comme d’autres pays le font, viser une école réellement inclusive, qui forme au lieu de seulement occuper les plus fragiles, et repenser l’enseignement supérieur pour accueillir les personnes handicapées. La France doit inciter au travail.

C’est comprendre, de même, que les personnes handicapées vieillissantes ne sont pas des personnes âgées handicapées. Doivent-elles être réduites à choisir entre rester dans des dispositifs inadaptés aux pathologies du vieillissement, et aller vers des structures gérontologiques inadaptées à leurs capacités et besoins ?

C’est avoir le courage d’affirmer qu’une politique du handicap rénovée, ce n’est pas plus de dépenses, mais des dépenses plus efficaces, et qui plus est moins coûteuses.

C’est être créatif : en mutualisant l’accessibilité sur un territoire, en modifiant les règles de construction des logements sociaux, en repensant le rôle de l’assureur lors d’accidents graves, en adaptant les règles de congés lors de la survenance d’un handicap, etc.

C’est de la rigueur enfin, dans la formation, le respect des financements alloués au handicap, et le suivi des recommandations de santé publique.

C’est en somme remettre la personne au centre de la politique du handicap, et non des structures ou des institutions. Notre pays le doit aux douze millions de nos compatriotes qui ne doivent pas avoir à choisir entre le parcours du combattant ou l’exil.