Pourquoi concentrer l’ISF sur le seul immobilier est une mesure tout sauf rationnelle

Gérard Dussillol, président du Pôle Finances publiques de l’Institut Thomas More

4 avril 2017 • Opinion •


Suivant en cela les bonnes pratiques du Président actuel, son héritier putatif promet tout et son contraire, afin d’attirer à lui des électeurs de sensibilités très différentes : ainsi pour rassurer le centre il s’engage à supprimer l’ISF, et dans le même temps le maintient sur l’immobilier pour donner des gages à la gauche. Et comme le candidat est aussi un maître dans l’art sémantique, la mesure est habillée d’un discours séduisant et apparemment rationnel. Mais on reste dans la politique politicienne pure. Essayons de comprendre pourquoi.

L’ISF à engendré un exil massif de talents et de capitaux. Le talent perdu est difficile à évaluer… mais on sait avec le recul du temps, que la révocation de l’édit de Nantes en 1685, a été la plus grande erreur de Louis XIV : l’élite entrepreneuriale et industrieuse protestante est partie féconder nos voisins plus tolérants. Le même phénomène s’était produit au XVe siècle lorsque l’Inquisition avait fait fuir une élite juive qui refusait de se convertir au catholicisme : cela a sonné le déclin de la première puissance navale du moment, le Portugal, et propulsé celle des Pays-Bas où s’étaient réfugiés ses commerçants navigateurs.

Les capitaux délocalisés quant à eux sont quantifiables : on les estime à 300 milliards d’euros… Et s’ils étaient restés investis en France, ils auraient produit beaucoup plus de recettes fiscales (impôts sur le revenu, TVA sur la consommation, impôts sur les plus values, impôts sur les sociétés etc.), que n’en n’a rapporté l’ISF sur ceux qui sont restés. Donc d’un point de vue budgétaire également, cet impôt est nocif.

Aussi, même à gauche, a-t-on fini par admettre qu’il portait un préjudice sérieux à notre économie et à notre richesse collective. Donc… comment s’en débarrasser sans désespérer Solferino ? L’argument du candidat Macron s’appuie sur la notion de rente, nouveau poncif de notre intelligentsia parisienne, celle, souvenons-nous en, de ces quarante économistes qui avaient appelé à voter Hollande.

Cette gauche est devenue pro-business depuis l’électrochoc du rapport Gallois fin 2012 : elle a alors compris… que c’était dans l’entreprise que se créait la richesse dont bénéficie l’ensemble de la collectivité, et qu’il fallait entre autres favoriser l’investissement dans les entreprises.

Culture immobilière

C’est une très bonne chose, mais la culture immobilière de nos élites n’a en revanche pas suivi au même rythme… Elles ne voient toujours l’immobilier que comme une « rente ». Donc d’un côté, le rentier, symbole d’inactivité, privilèges, frilosité, de l’autre l’entreprise, symbole de création, de risque, de projection dans l’avenir… le choix est vite fait : il faut privilégier le risque face à la rente nous dit alors, béatement, le candidat Macron. Mais le détenteur d’une obligation d’État via un contrat d’assurance vie, ne bénéficie-t-ils pas lui-aussi d’une rente ?…

Le patrimoine en France est déjà taxé cinq fois (impôt sur le revenu, CSG, impôts sur les plus values, droits de succession, ISF), et le patrimoine immobilier supporte deux impôts supplémentaires, impôt foncier et droits sur les cessions. Il fait donc déjà l’objet d’une sur-taxation de près de 1% l’an : dans un monde de rendements très faibles, la rente est donc déjà pas mal… écornée. Soit, mais ce qui compte vraiment est le rôle que l’immobilier joue dans l’économie, et cela mérite une réflexion plus élaborée que cette notion de rente.

Essayons par exemple de saisir l’impact de notre sous-investissement chronique en immobilier neuf.

Entre 1990 et 2010, le nombre de logements par ménage à diminué en France de manière significative : si l’on avait construit autant de logements que la croissance du nombre de ménages l’exigeait, nous aurions dû en construire 1,2 million de plus : pour une augmentation du nombre de nos ménages de 100 sur la période, le parc de logements ne s’est accru que de 85. Nous avons ainsi créé une pénurie, aiguillon de la hausse des prix que l’on sait. Et celle-ci a pesé sur le pouvoir d’achat des ménages, donc sur les salaires, et enfin sur la compétitivité de notre économie… Ça n’est pas rien.

Stimuli fiscaux

Mais ça n’est pas tout… Pour compenser cette défaillance de l’investissement privé, on a fait appel à l’investissement public, à savoir des stimuli fiscaux et du logement social : ces politiques, dont l’échec est avéré, nous coûtent budgétairement plus de 40 milliards par an (en fait 70 milliards avec les allocations hors budget), soit depuis 30 ans, 850 milliards d’euro ou 40% de notre dette publique…

En Allemagne en revanche, le parc de logements augmentait de 120 quand le nombre de ménages croissait de 100, créant ainsi une offre de logements surabondante, et une stabilité des prix sur 25 ans, alors que… les allocations de ressources en faveur du logement y sont six fois inférieures (rapportées au PIB).

Nous avons surréglementé et surtaxé l’immobilier, et ainsi fait fuir l’investissement privé, et dans le même temps dépensé des sommes abyssales pour compenser les effets de ces politiques. Si l’on veut que le logement pèse moins sur le pouvoir d’achat des ménages, donc sur les salaires, et sur la compétitivité de notre économie, il faut qu’il soit moins cher, donc que l’offre de logements soit plus abondante. Or en accentuant la sur-taxation de l’immobilier par rapport aux autres classes d’actifs, on va encore faire fuir le peu d’investissement privé qui reste, Mais soit !

Enfin, la mesure n’incitera pas les détenteurs d’immobilier à vendre leurs actifs et faire ainsi baisser les prix : comme l’avoue du bout des lèvres l’INSEE, l’immobilier est un bien d’usage, mais aussi une réserve de valeur qui peut avoir des propriétés assurantielles pour le financement de la fin de vie. En clair, pour compenser la faiblesse prévisionnelle de leurs pensions de retraite, beaucoup de seniors ont dû prendre le risque d’investir leur épargne dans l’immobilier, qui seul peut procurer les flux de revenus stables dont ils ont besoin.

Qu’en serait-il maintenant de l’impact de cette mesure sur les valeurs mobilières et les exilés ? Elle serait indéniablement positive pour les entreprises. Ceci étant, les actions sont déjà en grande partie exonérées via l’outil de travail, et ne représentent qu’une faible part du patrimoine des ménages (12%).

Les Français goûtent peu ce type d’investissement compte tenu des médiocres performances de la bourse française (le CAC 40 est toujours 20% en dessous de son niveau d’il y a… 17 ans).

Qu’est-ce qui peut par ailleurs enrayer l’exil fiscal, si ce n’est la restauration de la confiance ? Et comment serait-ce possible, sans une ligne claire et ferme dans la réforme de la fiscalité de l’épargne et du patrimoine ? Le reste ne peut être perçu que comme des trompe-l’œil.

Ce sont en fait les assurances-vie, qui devraient être les grands bénéficiaires de ce nouvel avantage fiscal au détriment de l’immobilier. Or, c’est elles qui financent le gros de la dette de l’Etat. C’est ainsi se donner les moyens financiers… de ne pas avoir à remettre de l’ordre dans nos comptes publics, tâche ingrate à laquelle Emmanuel Macron n’a guère envie de s’atteler.

Objectif politique

On comprend mieux maintenant ce qui se cache derrière cette séduisante façade : l’objectif n’a rien d’économique, il est purement politique. Mais alors au nom de quels principes politiques, pénaliser une classe d’actifs plus que d’autres ? Pourquoi l’épargne la moins fiscalisée serait-elle celle qui finance notre mauvaise gestion publique ? Pourquoi à travers l’immobilier discriminer les seniors, importants détenteurs d’immobilier : si on leur avait permis d’investir dans des retraites par capitalisation, leurs pensions seraient aujourd’hui très supérieures, mais ne pourraient être taxées à un impôt sur le patrimoine.

L’immobilier représente 56% du patrimoine des ménages, donc l’effet pernicieux de l’ISF continuerait à se faire sentir sur une bonne partie de la population. Et pour elle, cette suppression de l’ISF ne serait que de la poudre aux yeux.

L’immobilier enfin est un placement de classes moyennes, qui peuvent épargner mais n’ont pas les moyens eux de prendre des risques, cherchant avant tout à se protéger des aléas d’une économie chancelante et d’un système de retraites indigent. Ce sont donc une fois encore ces classes moyennes qui vont faire les frais de ces politiques incohérentes, dont Emmanuel Macron a repris le flambeau.

Et si l’on veut supprimer les rentes, il y en a assez dans la société française ! Commençons par nous attaquer à ces multiples corporatismes qui la ruinent, à commencer par celui du logement social.