La droite n’est pas la droite, mais elle ne le sait toujours pas

Gérard Dussillol, membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

11 mai 2017 • Opinion •


La séquence présidentielle qui se termine a entraîné la décomposition du paysage politique auquel nous étions habitués. Que peut-il en être de la droite traditionnelle après ces ondes de choc ? Si l’on revient sur son histoire, son bilan, il apparaît qu’elle ne s’est pas assumée comme telle, ni sur le plan économique, ni au fil des ans sur les questions de société – sécurité, immigration, éducation, famille, culture, valeurs, etc. – étant tombée sous l’emprise intellectuelle d’une gauche moralisante. « L’expérience Fillon » a été l’occasion de sortir de ce piège. Si elle y retombe maintenant après l’émergence d’un parti social-démocrate, elle se coupera encore plus de sa famille électorale et aura perdu sa raison d’être…

Y a-t-il une politique économique de gauche et politique économique de droite ?

En économie on peut distinguer schématiquement deux grandes philosophies politiques. L’une repose sur l’idée que c’est par la redistribution des richesses qu’on va protéger les plus démunis. L’Etat doit alors intervenir pour renforcer le pouvoir d’achat des ménages, lesquels en consommant davantage, vont renforcer la croissance et au final l’emploi. Ces ressources ainsi allouées aux ménages proviennent d’abord de la taxation des plus riches et des entreprises. Mais celle-ci étant limitée, on est contraint à des déficits publics donc au recours à l’endettement de l’Etat. Cela impose enfin un développement de règlementations et contrôles de tous ordres. Ces politiques sont qualifiées de politique de la demande.

L’autre approche pour soutenir les moins favorisés consiste à donner la priorité à la création de richesse collective. Or celle-ci se fait avant tout au sein des entreprises où l’on innove, invente, développe… Ce sont elles qui fondent la croissance et l’emploi. Cela induit à déréglementer pour libérer les initiatives, et privilégier l’épargne à la consommation pour favoriser l’investissement. Elle mettra aussi l’accent sur une certaine rigueur dans la gestion des comptes publics, gage d’une économie saine donc prospère. L’Etat enfin doit créer un environnement réglementaire favorable à ces processus. Ces politiques sont appelées politiques de l’offre.

Autour de ces deux axes, bien des variantes sont possibles. Mais on aura compris que les politiques de la demande, favorisant les ménages, devraient être du ressort de la gauche, et les autres de la droite : selon l’adage anglais, « la droite crée la richesse et la gauche la redistribue ».

Seulement les politiques de l’offre finissent par créer trop d’inégalités donc des tensions sociales ; et celles de répartition, avec ce qu’elles font peser de contraintes sur le tissu économique, finissent par asphyxier cette création de richesse collective. Il n’y a donc pas de vérité absolue. Et c’est tout le sens de l’alternance politique : il y a des moments où il faut mettre l’accent sur la répartition des richesses et d’autres sur leur création. On comprend ainsi qu’en économie on ne peut se passer d’une séparation entre droite et gauche.

En quoi la droite gaulliste est-elle responsable de nos échecs économiques…

La culture économique d’un De Gaulle était limitée. Et il ne pouvait admettre que laisser des millions d’individus poursuivre leur « intérêt », ne créait pas du chaos mais de la richesse collective. Il est vrai que c’est contre-intuitif, et à la limite pas moral. Pour lui l’économie n’était au mieux que de « l’intendance », tâche secondaire voire peu respectable assimilant milieux d’affaires à affairisme. Méfiant donc vis-à-vis des dirigeants d’entreprises, on ne pouvait leur laisser trop de liberté. L’État seul pouvait rendre compte du bien public, pas les entrepreneurs, et organiser cette création de richesse collective.

Le gaullisme est en fait culturellement incompatible avec des politiques de l’offre. Aussi la droite a-t-elle mené des politiques étatiques centrées sur la demande : toujours plus de fiscalité et de contraintes sur le travail et les entreprises, ou de dépenses, déficits et endettement publics (pas un seul budget en équilibre depuis 1974). Ne sachant pas qui elle est, cette droite n’a jamais pu assumer son rôle dans ce processus d’alternances. D’où ce continuum de politiques axées pendant quarante ans sur l’Etat-providence, devenu bien trop lourd à porter pour notre économie. Et c’est bien là que se situe la cause profonde de notre chômage de masse, lui-même cause de la colère des Français, l’absence de cette alternance indispensable à la vitalité du tissu économique et à la cohésion sociale.

… et de la monté inquiétante des populismes ?

Ce positionnement de la droite a eu aussi pour effet de réduire l’espace à gauche, le centre gauche ne pouvant plus arriver au pouvoir qu’en s’alliant à l’extrême gauche. Mais, une fois aux affaires, ces coalitions ne peuvent mener des politiques cohérentes, chaque groupe tirant dans directions diamétralement opposées. Cela ne peut que conduire à l’échec et à se mettre à dos son électorat. Le PS ainsi écartelé a fini par en mourir.

Tout cela a faussé totalement notre jugement sur notre situation : croyant que les alternan-ces politiques reflétaient des alternances réelles de politique économique, on s’est imaginé qu’on avait tout essayé pour enrayer notre sur-chômage. Et quand on ne trouve plus de sens on cherche des boucs émissaires, l’Europe, la mondialisation, le système, les élites, une génération incompétente… alors qu’il s’agit fondamentalement d’un problème d’idéologie économique.

Ce sur-chômage devenu insupportable et incompréhensible, a fini par ouvrir la voie aux démagogues, aventuriers ou « hommes providentiels », voire aux solutions extrêmes. Tous les thèmes ci-dessus ont été au cœur de la campagne et nous fait frôler un deuxième tour Le Pen-Mélenchon…

François Fillon, l’intrus

François Fillon, lui, était prêt à assumer une vraie politique de droite, tant sur le plan économique que sociétal : il osait s’afficher comme un conservateur, défenseur de certaines valeurs, et d’une histoire qui ne commence pas à la Révolution. Il se plaçait ainsi en opposition frontale à ce travail gigantesque de déconstruction que nous subissons depuis mai 1968, source entre autres du relativisme culturel, du multiculturalisme et de nos problèmes d’immigration. Or cette pensée irrigue maintenant toute notre intelligentsia. Mais s’il reflétait les aspirations du « peuple de droite », il demeurait presque marginal dans son parti : dès le soir du premier tour de la primaire, il a vu se dresser contre lui l’aigreur et la violence d’un Juppé, symbole de cette fausse droite. Puis l’ensemble de la droite n’a cessé de le pousser à revoir son programme sur ce qui était indispensable pour redresser notre économie et réduire le chômage : dégonfler l’Etat afin de pouvoir baisser les charges sur le travail et restaurer l’investissement.

Législatives : que peut encore faire la droite ?

Si elle reste ce qu’elle a toujours été, en quoi va-t-elle se démarquer d’En Marche ! sur le plan économique ? Ce sera d’autant plus difficile que son programme même s’il est flou, peu cohérent et attrape-tout, a une composante « politique de l’offre ». Et si LR ne marque pas sa différence, à quoi servira-t-il ? Il risque d’être « siphonné » à gauche par EM, et à droite par le FN : c’est bien le pari de Mme Le Pen. Mais nombre des ténors de la droite ne semble toujours pas comprendre. D’autres encore ont peur d’une vraie politique de réforme : risque selon eux de perte des élections ou, s’ils les gagnent, de voir la France se dresser dans la rue, avec en plus une menace de dissolution par un président jeune et sans autre pouvoir. Avec un PS en déroute, peut-on encore penser que la droite sera nécessaire à EM pour obtenir une majorité de gouvernement. Mais alors, encore une fois, pour quoi faire : si elle ne change toujours pas son logiciel, le « système » ne pourra que reproduire les politiques que nous connaissons déjà : que ce soit EM, LR ou une « grande coalition » qui dirige demain la France, leurs politiques économiques ne seront pas de nature à réformer le pays en profondeur. Et sans cela on ne peut espérer de réel redressement économique, d’où la persistance du chômage de masse…

Et après ?

Que vaut-il mieux ? Un LR qui seul ou associé à EM perpétue des politiques qui ont créé ce sur-chômage, auquel cas la France se mettra en danger parce que ne restera qu’une seule chose que les Français n’auront pas tentée, les extrêmes ?… Ou vaut-il mieux un LR qui risque de perdre ces législatives mais qui, reconstruit comme un vrai parti de droite proche de ses électeurs, se différenciera clairement de M. Macron et des faux espoirs qu’il aura fait naître ? Et le moment venu, LR sera alors crédible pour revenir au pouvoir et cette fois faire réussir notre pays.

La seule vraie possibilité pour la droite aujourd’hui est de s’inspirer d’un Schröder : il a pris le risque de sacrifier son intérêt personnel à l’intérêt supérieur de son pays en s’engageant dans des réformes difficiles dont on sait les fruits. LR n’a pas d’autre choix pas d’autre alternative que ce repositionnement stratégique urgent s’il veut survivre dans cette nouvelle donne : qu’il regarde le PS et ce qui lui arrive pour avoir refusé de faire son aggiornamento quant il en était encore temps !