Donald Trump et le pharisaïsme des Européens

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

9 juin 2017 • Opinion •


Pas un jour de ne s’écoule sans que l’un ou l’autre ne jette la pierre sur l’actuel locataire de la Maison-Blanche. Pour le plus grand nombre, la cause est entendue : Donald Trump est un sale type doublé d’un imbécile. Certes, il y met du sien mais il faut introduire quelques nuances dans le jugement sur l’homme et la politique qu’il esquisse.

Les lacunes militaires européennes

Indubitablement, la personnalité du président américain et son discours sont abrupts. L’usage intensif du réseau « Twitter » ne favorise pas l’expression d’une pensée articulée et la vue-du-monde qui transparaît est datée. Trente ans plus tôt, Trump tempêtait déjà contre la faiblesse militaire des alliés européens et la concurrence déloyale des Asiatiques. L’homme a le mérite de la continuité.Alors que le monde est au bord d’une rupture d’équilibre, il serait pourtant excessif de lui faire porter tous les maux de la terre. Si l’on prend le cas de l’OTAN, dont les commentateurs nous annoncent incessamment la disparition, Trump est publiquement revenu sur l’affirmation selon laquelle il s’agirait d’une alliance obsolète. Ce n’est pas rien.

Les faits montrent que les Etats-Unis sont pleinement engagés dans le renforcement de la posture de défense et de dissuasion sur l’axe Baltique-mer Noire (la « présence avancée » de l’OTAN). Trump se refuserait à mentionner l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord et, en prétendant conserver sa liberté d’action, menacerait cette clause d’assistance mutuelle ? Au vrai, cet article n’implique aucune automaticité et c’est pourquoi la France, au moment de la signature du pacte, en 1949, insistait sur la présence de troupes américaines en Europe. Elles y sont toujours, là réside l’essentiel.

Quant à l’exhortation à dépenser plus dans le domaine militaire, le problème du sous-investissement européen est réel et Trump marche dans les pas de son prédécesseur. Idem pour la dénonciation des excédents commerciaux allemands, à tort ou à raison, peu importe ici. Simplement, le propos est brutal. A la décharge de Trump, les courtoises recommandations d’Obama n’ont pas été suivies d’effets.

L’impérialisme iranien

A l’égard de la Russie, la diplomatie américaine n’a pas failli. Les sanctions sont maintenues et le révisionnisme géopolitique de Moscou, en Ukraine comme en Géorgie est dûment condamné. On objectera que l’enquête sur les interférences russes dans la campagne présidentielle a réduit la marge de manœuvre de Trump. Il reste que l’objectif russe d’un nouveau Yalta, au détriment de l’Europe, se dérobe ; l’hypothèse d’un « deal » du type Ukraine contre Syrie est devenue improbable.

Sur le théâtre syrien, Trump, en bombardant une base aérienne du régime de Damas à la suite d’une nouvelle attaque au moyen d’armes chimiques, a rompu avec les palinodies d’Obama sur la « ligne rouge » et n’a pas hésité à bousculer son homologue russe. Prise après la diffusion d’images d’enfants gazés, la décision a révélé que l’homme n’était pas insensible à la souffrance humaine. Seul un « realpoliticien » doctrinaire s’en indignera. La lutte contre l’Etat islamique n’est plus prétexte au laxisme envers Bachar Al-Assad.

Dans ce Moyen-Orient tourmenté, désigner le régime chiite-islamique iranien comme une source majeure de déstabilisation n’est point folie. A l’évidence, les espoirs investis dans l’accord nucléaire du 14 juillet 2015, censé contribuer à la résolution du conflit syrien, étaient fallacieux. Le texte tout juste signé, Moscou et Téhéran s’accordaient pour intervenir militairement au profit du régime de Damas.

Au moyen de cette alliance, l’Iran veut dominer la zone qui s’étend du golfe Arabo-Persique à la Méditerranée, avec le Hezbollah en pointe avancée. En retour, ce panchiisme armé ne peut que provoquer la réaction des Arabes sunnites et aviver les pathologies d’un « Islam en crise » (Bernard Lewis). Aussi les ambitions de Téhéran doivent-elles être contenues, ce qui passe par le refoulement des Pasdarans et des milices chiites.

Le péril chinois

En Asie-Pacifique, l’Amérique de Trump doit simultanément affronter la montée en puissance de la Chine populaire et à la volonté de Pyongyang d’acquérir des missiles nucléaires de longue portée. Là encore, la « politique de la main tendue » a échoué. En rupture avec les résolutions votées au Conseil de sécurité, Pékin instrumentalise la Corée du Nord afin de détruire les alliances américaines dans la région.

Faudrait-il donc que l’actuel président des Etats-Unis s’en accommode ? Dans une telle situation, les pressions américaines n’ont rien d’irrationnel et elles s’accompagnent de négociations serrées avec Pékin. En revanche, la dénonciation pure et simple du Partenariat TransPacifique ouvre un boulevard à la Chine. La démagogie électorale joue contre les impératifs de l’endiguement.

Dernière décision en rupture avec l’« opinion publique internationale », la dénonciation de l’accord climatique de Paris est la cause d’une nouvelle vague d’anti-trumpisme. Sur le plan diplomatique, elle affaiblit le leadership global des Etats-Unis et, au fond, l’argumentaire de Trump ne tient pas. L’accord climatique n’est pas le produit d’une collusion entre puissances émergentes, sur le dos du contribuable américain, et les énergies renouvelables emploient deux fois plus de personnes que le secteur charbonnier, mis à mal par le développement du gaz de schiste.

Toutefois, la sortie effective de cet accord n’interviendra pas avant 2020, ce qui laisse une marge de manœuvre. Dans l’intervalle, philanthropes et firmes globales, métropoles, Etats fédérés et ONG pourraient en partie pallier la défection du pouvoir fédéral. Ce serait là une belle démonstration des vertus du libéralisme politique et économique, sans suffire cependant à contenir la Chine dans cet autre domaine.

Pour conclure

Au total, le Vieux Continent est dans une phase délicate mais s’interroger sans cesse sur le devenir de l’OTAN est contre-productif, et la combinaison du trumpisme et du Brexit n’assure en rien la transmutation de l’Europe continentale en un acteur géopolitique global. Quant à voir en la Chine le nouvel « hégémon bienveillant », c’est faire l’impasse sur le caractère totalitaire du régime, la négation de l’Etat de droit et la répression des dissidents, l’oppression des Tibétains et des Ouïghours, le refus d’une véritable économie de marché et d’une concurrence loyale.

En définitive, le sort du monde libre repose sur l’alliance irréfragable de l’Europe et de l’Amérique, mais l’on sait de longue date que l’union est un combat. Remémorons-nous seulement les débats sur la « riposte graduée », les années Nixon et la fin de la convertibilité-or du dollar, assortie de taxes sur les importations, ou le thème du « burden sharing » dans les années 1970.

De grâce, sortons donc de la périlleuse dialectique entre pharisaïsme et philistinisme, afin d’œuvrer à l’édification d’un pilier européen, facteur d’équilibre dans la relation transatlantique et de cohésion à l’encontre des puissances perturbatrices. Il y va de la cause de la liberté dans le monde.