Le grand bazar du système fiscal français

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

23 juin 2017 • Opinion •


Injuste, contre-productif, complexe, opaque : force est de constater qu’au fil des années les adjectifs dont les commentateurs et analystes ont affublé notre système fiscal n’ont rien caché de ses lourdes déficiences.


Les derniers travaux de la Commission européenne montrent  par exemple que le poids de la fiscalité n’a cessé de s’alourdir en France alors même qu’il s’allégeait chez la plupart des pays européens, faisant fi de tout objectif de convergence fiscale et budgétaire (car il est bon de rappeler que les recettes fiscales d’un Etat devraient idéalement déterminer sa politique de dépense publique et son objectif d’équilibre budgétaire). Alors que nous mettons souvent en exergue le poids des prélèvements obligatoires (46% du PIB), il faut rappeler que ces prélèvements n’intègrent pas uniquement l’IR et l’IS bien connus de tous, mais aussi la fiscalité locale, les taxes indirectes et les cotisations sociales. Ce chiffre n’était encore que de 42% il y a dix ans (baissant même à 41% lors des deux premières années du quinquennat Sarkozy) et il doit être comparé au niveau de nos partenaires européens avec un même niveau de protection des citoyens : la Finlande (44%), l’Italie (42%), l’Allemagne ou les Pays Bas (37%). Il y a probablement 7-8 points de PIB (140 milliards d’euros) à libérer de la pression fiscale.  Nous n’évoquerons même pas le cas de l’Angleterre (32%), du Canada (30%) ou des USA (26%) qui n’ont bien sûr pas le même système social.  La Commission européenne a récemment alerté les Etats membres sur ces disparités: “ Les Etats membres affichent de fortes disparités en matière de niveaux d’imposition, avec un taux de prélèvement obligatoire qui devrait s’étendre fin 2017 de 25.7% du PIB en Roumanie à 48.6% au Danemark, et 45% en France ».

Les entreprises françaises en particulier sont parmi les plus taxées en Europe, car les pays européens ont diminué de plus d’un quart leur taux d’IS entre 2010 et 2016, le taux moyen passant de 32% à 23%. Au cours de la même période la France n’a baissé son IS que de 8%. Emmanuel Macron prévoit de manière très vague – comme Manuel Valls avant lui- d’abaisser en 5 ans l’IS de 33% à 28%….Cette trajectoire sera dépendante des finances publiques, des arbitrages politiques (autant dire qu’elle est très hypothétique), et ce taux parait encore trop élevé au regard de l’Espagne, des Pays Bas (25%) et bien sûr du Royaume Uni (20%).

Il existe en France 360 impôts et taxes dont 233 sont à la charge des entreprises, qui sont de loin les premières contributrices aux politiques publiques. L’inventaire ubuesque de ces prélèvements sur les entreprises nous plonge dans un univers kafkaïen que peu de nos concitoyens connaissent intégralement :  TVA (151 milliards de recettes), IS (35.6 milliards), TICPE (23.7 milliards), CVAE (14.2 milliards), taxe sur les salaires (13.1 milliards), CSG acquittée par les entreprises (12.8 sur les 88 milliards de recettes), CFE +IFER (10 milliards), droits de mutation (11.4 milliards), autres impôts divers (61.5 milliards)… auxquels il convient d’ajouter tout ce qui est du par les entreprises aux organismes sociaux: cotisations sociales (330.1 milliards), CSG acquittée par les employeurs (70 milliards), autres cotisations (30 milliards). Soit environ 770 milliards d’euros dont s’acquittent les entreprises (entre 30 et 35% du PIB en moyenne tendancielle), les ménages et investisseurs contribuant aux alentours de 15% du PIB en moyenne.

La fiscalité du capital n’existe plus en tant que telle en France depuis son intégration aux revenus des ménages, mais même si l’on devait revenir à la situation antérieure à 2011, un niveau de prélèvement libératoire de 30% (avec de probables contributions additionnelles type CSG ou Impôt sur la Fortune Immobilière) pénaliserait encore les investisseurs. L’impôt sur le revenu, qui ne concerne qu’un français sur deux, pèse sur les classes moyennes alors que la totalité des sommes dont s’acquittent les ménages (fiscalité sur les salaires, épargne, placement, investissement, immobilier) a bondi en dix ans de 447 à 588 milliards d’euros….

Egréner nos divers impôts et leurs externalités négatives sur la croissance, c’est découvrir ce qu’Ivan Best a appelé, dans un ouvrage récent, le bazar fiscal français. Comment s’en extirper ?

Une importante diminution de la dépense publique, une modification des missions de l’Etat, est la condition sine qua non à une diminution de la pression fiscale. Les pays qui ont diminué leurs dépenses l’ont fait avec de la croissance (Suède, Canada, etc.) ou en modifiant leur système social (Allemagne, où les retraites ont été pour partie privatisées). Voilà pourquoi, compte tenu de la contrainte de réduction du déficit, et sans remise en cause des fonctions de l’Etat, les impôts ne devraient pas baisser durant le quinquennat Macron. Mais il est possible d’apporter un début de clarification et de simplification à ce capharnaüm fiscal, en éliminant les niches (l’IS pourrait être à 26% avec les mêmes recettes si toutes les niches étaient éliminées), en élargissant les assiettes, en instillant plus de progressivité et d’équité dans le système fiscal. En mettant fin à l’hypocrisie fiscale, à une forte taxation des plus riches qui parfois n’est qu’apparence, au moyen d’une imposition plus faible mais plus large, sans échappatoire. Pour une fois, les classes moyennes, largement mises à contribution ces dernières années, sortiraient gagnantes de l’opération.