Brexit · La solution est-elle en train de se dessiner ?

Pierre-Alain Coffiner, ancien Consul général de France à Edimbourg, chercheur associé à l’Institut Thomas More

 

26 septembre 2017 • Opinion •


Quelques jours après le discours de Theresa May à Florence, le quatrième round des négociations entre l’équipe britannique de David Davis et celle de Michel Barnier à la Commission s’est ouvert ce lundi 25 septembre. Les trois précédentes séances n’avaient pas donné grand-chose.

Le discours-programme de Theresa May change-t-il la donne et permet-il de savoir à quoi ressemblera la relation future entre Londres et le continent ?

Tout d’abord, sur le plan intérieur, la situation est globalement aplanie. Au parti conservateur même, les Brexiteers les plus impatients se méfient d’une période intérimaire, par exemple dans l’Espace économique européen (EEE). Ils soupçonnent un piège : le pays n’y gagnerait ni la liberté de contrôler son immigration communautaire, ni son indépendance de la législation européenne. Ils s’opposent aux plus circonspects vis-à-vis de la sortie de l’Europe pour lesquels une telle transition serait la seule salutaire.

Les premiers ont été courtisés la semaine dernière par le chef du Foreign Office, Boris Johnston, qui a repris dans un article publié sans l’aval du gouvernement les arguments les plus excessifs de la campagne pour le Brexit l’an dernier.

En accordant à Florence cette « période de mise en œuvre » limitée à deux ans, à la satisfaction d’un Boris Johnson réconcilié, Theresa May a pu réunir les deux tendances.

Le Labour, pour sa part, s’est clairement positionné, dès cet été, pour une telle transition dans l’EEE pour au moins deux ans, voire pour y rester définitivement.

Theresa May a réitéré son opposition à une telle option : ce serait, selon elle, une « perte de contrôle démocratique » inacceptable pour les Britanniques qui ont voté en faveur du Brexit. Le pays se retrouverait en outre à suivre toute la législation européenne sans la moindre voix sur son élaboration. L’argument du Premier ministre est donc fondé.

En outre l’alternative Labour, dont l’avènement pourrait être hâté par la fragilité de Theresa May, souffre de l’image de son leader Jeremy Corbyn. Tous les conservateurs souhaitent éviter à tout prix son arrivée à Downing Street.

Vis-à-vis des Vingt-Sept maintenant, le discours de Florence pourrait débloquer les négociations.

Sans citer de chiffre, elle reconnaît la nécessité pour Londres d’honorer tous ses engagements au titre du cadre financier pluriannuel de l’Union européenne 2014-2020 : « personne n’aura à payer plus [le Royaume-Uni est le deuxième contributeur net], ni recevoir moins », dit-elle.

En maintenant en l’état les relations économiques actuelles, tout en s’effaçant politiquement et en donnant un maximum de gages sur sa volonté de poursuivre la coopération de sécurité et de défense avec eux, Theresa May pourrait bien recueillir l’assentiment de ses partenaires sur une période intérimaire.

S’agissant des migrants et de la frontière irlandaise, la période de grâce de deux ans qu’elle demande résoudrait temporairement bien des difficultés. Même s’il se cantonne aux principes, le discours de Theresa May a été jugé « constructif » par Michel Barnier. Elle a adopté, de fait, un ton plus conciliant.

Notons néanmoins qu’une telle position était la seul possible. Toutes les analyses concluaient à l’impossibilité pour le Royaume-Uni de résoudre les inextricables dossiers du Brexit avant mars 2019 : une divergence des législations impliquera nécessairement des contrôles aux frontières irlandaises ; la sortie se traduira implacablement par des conditions commerciales et économiques moins avantageuses pour les Britanniques tant avec les Vingt-Sept qu’avec le reste du monde.

L’adaptation administrative et législative du pays à sa nouvelle situation est semée d’embûches juridiques et politiques, comme de risques d’ébranlement du pays que ce soit par une déstabilisation de l’Irlande ou un réveil du nationalisme écossais.

De fait, si Theresa May a pu jusqu’ici se tirer d’une situation compliquée et souvent tendue, la montagne du Brexit reste à gravir. Une période de transition de deux ans supplémentaires avec les mêmes règles économiques qu’aujourd’hui ne fait que différer des difficultés intactes. Theresa May parle de « période de mise en œuvre »… Mais que s’agit-il de mettre en œuvre ? Voilà toute la question.

L’accord de libre-échange qu’elle ambitionne avec l’Europe a très peu de chances d’être prêt pour mars 2019. Et Michel Barnier a prévenu, qu’il n’était « pas question d’avoir les avantages de la Norvège avec les faibles contraintes du Canada », faisant allusion à deux des modèles de relations cités pour Londres. Oslo a le même accès – hormis produits agricoles – au marché intérieur européen de 517 millions de consommateurs que tout État membre.

Mais la Norvège respecte la libre circulation des travailleurs, reprend toute la législation communautaire et se soumet à ses arbitrages. Le Canada n’ouvre pas son territoire aux travailleurs de l’Union. Il a un large accès au marché intérieur, à l’exception de celui des services financiers.

Entre les deux, Bruxelles pourrait consentir un large accord de libre-échange aux Britanniques. Mais les Vingt-Sept sont très clairs : sans liberté de circulation des travailleurs, sans reprise de l’acquis communautaire et d’une manière générale en dehors de l’UE, son lot ne saurait être aussi avantageux que celui des États membres.

Voilà en tout cas les termes de la discussion plus clairement posés qu’ils ne l’étaient. Discussion qui sera assurément longue, parfois houleuse, toujours compliquée. Le Royaume-Uni doit s’attendre à bien des embûches (comme la dégradation de sa note par Moody’s le soir même du discours de Florence) ou des déconvenues (comme l’accueil plutôt froid réservé par le Japon et l’Australie aux propositions commerciales de Londres). Si Theresa May a clarifié la position britannique, elle n’a pas encore gagné le Brexit