L’UE s’enfonce dans l’hiver démographique · Quelles conséquences pour l’économie ?

Gérard-François Dumont, professeur à l’Université de Paris IV Sorbonne, président de Population et avenir et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

11 juillet 2018 • Entretien •


Alors qu’Eurostat annonce une nouvelle baisse de la fécondité en Europe, Gérard-François Dumont s’inquiète d’une fragilisation du modèle de protection sociale français et d’un ralentissement de la croissance européenne.


Le dernier rapport de l’agence Eurostat publié mardi montre que le solde naturel de l’Union Européenne est négatif pour la troisième année consécutive. Il y a eu, en 2017, 5,3 millions de décès pour 5,1 millions de naissances. Néanmoins, on compte 1,1 million d’habitants supplémentaires en Europe. Cette variation démographique est donc due exclusivement à l’apport du solde migratoire. Démographe, économiste, géographe et théoricien du concept d’« hiver démographique », le professeur Gérard-François Dumont, président de la revue Population & Avenir, analyse la situation dans laquelle se trouve l’Europe.

Pour la troisième année consécutive, le solde naturel de l’Union européenne est négatif. Est-ce cette situation que vous appelez l’« hiver démographique » ?

En fait, l’Europe est entrée dans l’« hiver démographique » au milieu des années 1970, lorsque la fécondité est descendue nettement et durablement au-dessous du seuil de remplacement des générations qui est de 2,1 enfants par femme. Depuis 2015, l’Union européenne est entrée dans une nouvelle étape au sein de laquelle la croissance démographique de l’Europe n’est plus assurée que par l’immigration. Toutefois cette situation n’est pas homogène : on compte encore 15 pays dont le taux de natalité est supérieur au taux de mortalité, dont la France et le Royaume-Uni, contre treize dans la situation inverse, dont l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie.

Pour expliquer ces disparités, il faut prendre en compte deux facteurs essentiels. Sur un plan politique d’abord, on observe une corrélation forte entre les budgets alloués à la politique familiale et l’indice de fécondité. Plus ces budgets sont élevés, plus l’indice de fécondité est supérieur à la moyenne de celui de l’Union européenne. Ensuite, il y a un aspect culturel important : dans les sociétés où le mariage reste un prérequis avant d’avoir des enfants, il y a généralement moins de naissances.

Quelles sont les conséquences de la baisse de la fécondité sur l’économie européenne ?

Elles sont multiples et il ne faut surtout pas les sous-estimer. Cette baisse de la fécondité est d’abord à l’origine d’un moindre nombre de consommateurs au sein de l’UE et d’une moindre stimulation économique. Or, si la croissance économique européenne est si faible aujourd’hui, c’est entre autres parce qu’elle n’est pas stimulée par la consommation. Cette situation est économiquement défavorable à tous. Par exemple, les entreprises françaises qui exportent chez nos voisins de l’UE sont directement touchées par un nombre contenu de consommateurs et même une baisse dans certains d’entre eux. De plus, une diminution de la population active qui ne serait pas jugulée par une augmentation du taux d’emploi ou de la productivité des travailleurs entraînera indubitablement une baisse du PIB.

Cette situation a-t-elle aussi un impact sur notre modèle de protection social ?

Bien sûr ! Quand on observe le débat qui s’installe en France autour d’une nouvelle réforme des retraites, on ne peut que se désoler de ce que la question démographique, qui est fondamentale, ne soit guère abordée. On nous propose certes une nouvelle réforme structurelle de nature paramétrique, non nécessairement malvenue, mais la pérennité de notre système de retraites dépend d’abord de la population active qui le finance et donc de la situation démographique. Le principal problème du financement futur des retraites est bien que cette population active pourrait se réduire. En effet, le détricotage de la politique familiale sous le quinquennat de François Hollande a entraîné une diminution de l’indice de fécondité tandis que notre espérance de vie reste l’une des plus élevée au monde.

Les tensions qui traversent l’UE peuvent elles aussi s’expliquer à l’aune de cet « hiver démographique » ?

L’intensité, plus ou moins forte, de la crise politique entre les pays de l’Union européenne a pour origine l’hiver démographique particulièrement intense en Allemagne. En 2015, Si Angela Merkel a ouvert son pays à plus d’un million de migrants, c’est d’abord en raison de la baisse de population active de son pays pour pallier un manque de main-d’œuvre dont souffrait le patronat allemand, moins que pour faire un geste humanitaire comme cela a été trop dit. En France, cette décision de Madame Merkel a été très mal reçue par nos dirigeants non seulement parce qu’elle a été prise de façon unilatérale, mais ainsi parce que la France, au contraire de l’Allemagne, voit sa population active croître et n’est pas en manque de main-d’œuvre. Le problème de la France est qualitatif, non quantitatif, c’est l’employabilité.

Ce cas, et bien d’autres, montre une grande diversité des situations à l’échelle de l’Europe. On ne peut alors envisager aucune politique démographique ou familiale commune, donc identique, de la part de l’UE, ce qui serait d’ailleurs contre-productif tant les situations varient en fonction de l’échelle à laquelle on se place.