L’extension de la PMA systématise l’exclusion symbolique du père

Christian Flavigny et Michèle Fontanon-Missenard, pédopsychiatres, psychanalystes, membres du groupe de travail Famille de l’Institut Thomas More, co-auteurs de  L’enfant oublié. Propositions pour la famille de demain (collectif, éd. du Cerf, 2016)

 

28 septembre 2018 • Opinion •


Le meurtre du Père est le pilier de la civilisation ; l’impatience de la génération nouvelle de prendre sa place et de lui succéder, qui nourrit le vœu de parricide, impose une élaboration établissant le Père en une référence symbolique. Celle-ci fonde la culture parce qu’elle régule les relations humaines depuis une dette commune à l’égard des générations précédentes, dont le Père symbolique est le garant.

Pivot de la culture au plan des sociétés humaines, le meurtre symbolique du Père l’est autant pour la construction psychique de l’enfant au sein de sa vie familiale : il conditionne son inscription dans le lien de filiation qui le fait fils ou fille de ses parents. La symbolisation transforme le vœu meurtrier en profit de transmission entre les générations, situant l’enfant dans la généalogie familiale et par delà dans son devenir humain.

Ce serait donc engager une désymbolisation que de décréter facultative la présence du père pour l’enfant. Certes il est des enfants privés d’avoir leur père du fait d’aléas de la vie, voire de son suicide difficile à surmonter par l’enfant qui s’en culpabilise. Il est aussi des enfants privés d’avoir jamais connu un père, que leur mère l’ait déploré ou qu’elle l’ait souhaité ainsi. Car même écarté, même insaisissable, même effacé, il demeure alors une trace du père.

Que la privation de père résulte d’une décision législative aurait une portée tout autre : il ne s’agirait plus d’absence de père ni même de carence, mais d’une inexistence de principe : père = néant. Tel serait l’effet des lois : en privant de père ne serait-ce qu’un enfant, elles atteindraient la fonction paternelle en son essence à l’égard de tous les enfants.

C’est la question d’une loi qui validerait « la PMA pour toutes » ; qu’une femme seule ou deux femmes vivant ensemble se dispensent d’un homme qui devienne le père de l’enfant, souvent le fait d’un contentieux affectif personnel à l’égard de leurs propres pères, une référence à la paternité demeure, serait-ce depuis ce contentieux que l’enfant souvent perçoit.

Mais légaliser cette pratique équivaudrait à dissoudre toute référence ; la légalisation créerait le vide de père, le désert de paternité. Ce ne serait plus quelque contour de paternité vidé de visage paternel : il n’y aurait plus aucun contour, aucune trace. La filiation deviendrait incohérente : une double filiation maternelle, suggérée par les juristes, serait absurde puisque incapable de nourrir pour l’enfant une représentation de sa venue au monde ; surtout cette incohérence lui serait rendue impensable parce qu’imposée comme une banalité avalisée collectivement. Au prétexte que l’enfant peut bien être nourri et éduqué sans père, la loi négligerait que l’affrontement différenciateur à la figure d’un père est indispensable à la construction de sa personnalité. Ravalant la paternité au rang d’une simple option, la parole collective noierait le nécessaire questionnement de l’enfant sur sa carence de père ; elle entraverait l’édification de sa raison d’être.

Freud avait signalé (Totem et tabou, 1912) comment le meurtre symbolique du Père, parce qu’il cristallise la haine et la condense, est le pivot de la culture. Que son élimination soit décrétée et donc son meurtre consommé, ce à quoi correspondrait de rendre la fonction paternelle facultative, la conséquence prédite par Freud est que les frères (et les sœurs, convient-il d’ajouter en notre époque), privés de la référence commune au Père, ne tarderont pas à s’entredéchirer. Avis prémonitoire ?

On peut le craindre : le débat actuel est muselé par un âpre procès en discrimination plutôt qu’abordé sur le fond, façon de résumer à une simple dispute sociale ce qui est un enjeu de portée anthropologique, donc au fondement de l’humain. Prendre prétexte, pour « ouvrir » la PMA à des femmes seules ou des femmes en union de même sexe, de ne pas les discriminer, c’est dissimuler que cette « extension » invaliderait la nature palliative de l’infertilité qui fonde cette pratique : son protocole est destiné à l’union stérile d’un homme et d’une femme, non pas par discrimination mais par considération du principe anthropologique faisant la venue de l’enfant au nouement de l’incomplétude des sexes et de la finitude qui régit la succession des générations. La fécondation des gamètes gérée par l’aide médicale ne prend sa dimension procréative que mise à disposition d’une relation qui porte, au moins potentiellement, le pouvoir procréateur entre les sexes.

Si les lois de bioéthique s’affranchissaient des lois symboliques fondant l’humain, elles porteraient atteinte à l’épanouissement psychique des enfants concernés, mais plus encore elles ravaleraient le principe anthropologique de la venue au monde de l’enfant en un principe de production d’enfant : la nature du lien familial en serait altérée, avec des incidences inéluctables sur les équilibres de la vie en société. La fonction symbolique paternelle est l’un des piliers de la construction du petit humain ; on ne l’abolirait pas impunément.