Politique du handicap · Une action comptable et sans vision

Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas More

11 octobre 2018 • Analyse •


Alors qu’une proposition de loi relative à l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap, déposée par l’opposition, est discutée aujourd’hui à l’Assemblée nationale, il est opportun de faire le bilan de près d’un an et demi de politique du handicap du gouvernement : une action comptable et sans vision.


Pendant la campagne, Emmanuel Macron avait déclaré le handicap comme l’une des priorités de son mandat. Après dix-huit mois, quel bilan peut-on tirer de l’action de l’exécutif ? Seules trois initiatives peuvent être relever.

Un bilan médiocre après dix-huit mois

D’abord, l’augmentation annoncée de l’Allocation adulte handicapé (AAH) de 50 euros en novembre 2018 et 40 euros en novembre 2019, avec l’objectif affiché d’atteindre 900€ en 2022. Il demeure cependant beaucoup d’exceptions, notamment pour les couples mariés ont été mises en place. De plus, un certain nombre de réductions d’allocations pour les plus fragiles sont, semble-t-il, également envisagées concernant le complément de ressources ou de la majoration pour la vie autonome.

Plus substantiel, la parution au Journal officiel du 9 octobre 2018 du décret n°2018-874 créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d’autonomie ou présentant un handicap pour les personnels de la fonction publique.

A noter enfin, l’effort entrepris concernant l’accueil des enfants à besoins particuliers dans les écoles avec la budgétisation, annoncée par Jean-Michel Blanquer, d’un nombre plus important d’Accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et d’Auxiliaires de vie scolaire (AVS) en 2017 et 2018. Pour autant cela ne règle en rien l’absence totale de vision d’ensemble quant au statut des AAED, AESH-i, AESH-CO, AESH-M, AVS-I, AVS-CO et autres statuts similaires qui restent dans une logique d’emplois précaires non-qualifiés.

Une avancée venue de l’opposition et non de la majorité

Il est même significatif que la réponse à cette épineuse question vienne de l’opposition et non de l’exécutif ou de la majorité. En effet, le député du Lot Aurélien Pradié défend à l’Assemblée nationale aujourd’hui, 11 octobre, une proposition de loi relative à l’inclusion des élèves en situation de handicap.

Ce texte propose la création d’un nouveau statut de l’Aide à l’Inclusion Scolaire (AIS) afin de remplacer tous les autres statuts des AAED, AESH-i, AESH-CO, AESH-M, AVS-I, AVS-CO, et autres statuts similaires, ainsi que la mise en place d’une véritable formation, reconnue par l’État, pour ces aidants : « ainsi, les aidants auront tous le même statut avec des différenciations par diplôme en fonction de leurs spécialisations, des handicaps ou encore du niveau d’encadrement qu’ils savent gérer (tant en fonction du nombre d’élèves qu’en fonction de la lourdeur des handicaps) » (exposé des motifs de la PPL).

On espère que l’Assemblée nationale accueillera favorablement cette proposition qui ne règle pas tout, mais constitue une avancée bienvenue. Des craintes demeurent néanmoins quand on constate que, pendant la discussion en Commission des affaires culturelles et de l’éducation, le seul groupe à n’avoir déposé aucun amendement est le groupe majoritaire. Alors que l’ensemble des forces politiques se sont efforcées d’apporter leurs contributions dans un esprit globalement constructif, le groupe LREM est resté silencieux et indifférent.

Une action comptable et sans vision

Il faut donc bien constater qu’au-delà des quelques mesures rappelées plus haut, modestes et ponctuelles, l’action de l’exécutif est des plus légères, largement comptable et sans vision. Sophie Cluzel, Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, se contente de modestes actions ici ou là et de déminer les polémiques. En dehors de l’annonce de l’octroi du droit de vote aux personnes handicapées sous tutelle, que l’Institut Thomas More défend depuis bientôt deux ans, elle s’est peu fait remarquer.

Pire, il est des dossiers sur lequel on enregistre un authentique recul. C’est en particulier le cas concernant l’accessibilité des personnes handicapées. Avoir une politique du handicap digne de ce nom, ce n’est pas renier en 2018 l’engagement de 2005 sur l’accessibilité sous dix ans. Ce n’est pas non plus la loi Elan et ses petits 10% de logements neufs accessibles. Les associations comme les familles crient au scandale et elles ont raison.

De même, rien n’a été entrepris concernant le mauvais usage de la justice et la surreprésentation des enfants qui relèvent du handicap au sein de l’Aide Sociale à l’Enfance. Le système de l’information préoccupante qui, à l’origine en 2007, était prévu pour faciliter les dénonciations de maltraitances sur les enfants reste une arme de rétorsion contre les familles, et les enfants handicapés qui font toujours sept fois plus souvent l’objet de cette procédure que les autres enfants.

Le « nouveau monde » n’a pas davantage su à rompre avec un « archaïsme » manifeste en laissant la France être quasiment le seul pays au monde à prodiguer des traitements psychanalytiques aux enfants ayant des troubles d’origines neurologiques (TSA TDAH et DYS) et, ce, malgré les recommandations de la Haute autorité de santé et les condamnations récurrentes des institutions internationales. Aucune grande mesure d’envergure n’a été lancée concernant l’accélération des diagnostiques qui aujourd’hui encore peuvent s’étaler sur plus de 4 années scolaires.

Autre exemple : aucune mesure concrète n’a été envisagée concernant les écoles privées hors contrat qui aujourd’hui sont le plus souvent la seule alternative de scolarisation pour les enfants à besoins particuliers dont les parents s’endettent et ne bénéficient d’aucune aide puisqu’hors contrat alors que le système public ne propose aucune solution.

Bref, les chantiers demeurent considérables et on ne voit pas que l’exécutif souhaite s’y atteler. Les actions menées ponctuellement sont certes très largement médiatisées mais ne relève pas d’une vision d’ensemble ambitieuse et solide. Nous l’affirmons une nouvelle fois : mettre en œuvre une politique du handicap refondée, c’est d’abord déployer une approche globale pour les douze millions de français concernés, qui va du diagnostic et de l’accompagnement des familles lors de la survenance du handicap à la formation réelle des personnels. La vocation d’un aidant (AVS, AESH), c’est d’aider une personne handicapée, pas de résorber les chiffres du chômage des personnes peu qualifiées…

Si l’exécutif a besoin d’idées, il en trouvera dans notre rapport de 2017. Sur nos 54 propositions, seules trois ont été retenue – deux par l’opposition, une par l’exécutif… Qu’il n’hésite surtout pas !