Pourquoi les mesures promises par Macron ne sont pas convaincantes

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

11 décembre 2018 • Opinion •


Les mesures promises par Emmanuel Macron pour calmer la colère des « gilets jaunes » sont ambiguës et insuffisantes. Baisser la TVA sur des produits de première nécessité et insister davantage sur la diminution de la CSG aurait permis de meilleurs résultats.


« En politique, le monde est blanc ou noir. Il n’y a aucune place pour l’ambiguïté, la contradiction, le paradoxe », disait Milan Kundera. Pourtant Emmanuel Macron, en bon roi thaumaturge qui croit que sa parole guérit, s’échine à ne pas vouloir sortir de l’ambigüité, cette ambigüité dont il ne sait trop bien qu’on n’en « sort qu’à son propre détriment » selon la formule du cardinal de Retz. Ainsi, après un tout début de quinquennat marqué par des mesures fiscales modestes mais qualifiées de libérales par certains, il tente depuis huit mois d’amorcer un rééquilibrage à gauche avec un début de politique sociale, entre accélération des promesses sociales de campagne et improvisation au gré des circonstances. La crise des Gilets Jaunes, éminemment dangereuse pour le pouvoir, le force à replonger au cœur de l’aporie économique et sociale que représente ces choix « en même temps », où on s’évertue à travers un numéro d’équilibriste à trouver un barycentre des opinions.

Un peu à gauche, un peu à droite, mais surtout à gauche hier soir puisqu’il fallait bien calmer l’incendie jaune. La phrase sibylline qui a marqué les esprits était lapidaire et forte : « « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois ».

On a découvert cependant rapidement qu’il y avait un clair abus de langage ou une imprécision économique en la matière. Notre SMIC, salaire minimum qui a atteint en net en 2018 et en moyenne sur l’année 1 185 euros par mois, augmente mécaniquement chaque année en vertu d’une évolution légale automatique, dépendant de multiples paramètres (l’inflation mesurée pour les ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie (soit les 20% des ménages les moins aisés), et la base de la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et des employés). Le SMIC brut lui intègre les cotisations sociales, la CSG et la CRDS, et coûte aux alentours de 1 500 euros. Les cotisations patronales relevant de l’assurance chômage par exemple, n’existent plus depuis quelques années. En vertu de cette hausse automatique, le SMIC doit déjà augmenter de 1,8% en janvier 2018, soit une vingtaine d’euros, nonobstant l’intervention de Macron. S’y ajoute aussi l’impact de la réforme de l’assurance chômage par le nouveau pouvoir, qui progressivement substitue à certaines charges payées par le salarié une augmentation de la CSG. Emmanuel Macron a pu jouer sur cette ambigüité hier et il se peut qu’une vingtaine d’euros de l’augmentation annoncée proviennent de ce jeu de bascule charges/CSG .

Enfin, il y a la vraie augmentation qui passe non par une revalorisation du SMIC mais par une augmentation de la prime d’activité. Elle était prévue dans le programme économique de Macron mais initialement étalée sur le quinquennat : avril 2019 (30 euros), octobre 2020 (20 euros), octobre 2021 (20 euros) : rappelons que la prime d’activité est une aide financière non soumise à l’impôt sur le revenu et payée par l’Etat via les CAFs aux travailleurs modestes. De facto, Macron va accélérer la mise en place de cette mesure pour aider les travailleurs au SMIC (et uniquement ceux-là°). On comprendra la déception des Gilets Jaunes, car cette prime (parfaitement réversible ad nutum) n’est pas équivalente à une hausse de salaire car elle n’ouvre pas plus de droits à la retraite par exemple. Elle risque par contre d’avoir des externalités négatives considérables sur les salariés et les entreprises. Quid par exemple d’un salarié touchant 1,1 SMIC, qui si on inclut la hausse de la prime d’activité, percevra donc autant que son confrère au SMIC ? Les représentants du gouvernement tentent de se justifier en arguant de la nécessité de maitriser les salaires (c’est la principale thèse de Madame Pénicaud, qui n’a été qu’en partie désavouée par Macron hier pour qui sait lire entre les lignes de la – floue – doctrine économique et sociale du macronisme) : mais avec un chômage qui ne baisse pas vraiment, à 9.2%, il y a malheureusement -et il s’agit d’un drame pour notre société- une armée de réserve de chômeurs prêts à travailler et qui comprimera les salaires augmentation du SMIC ou non : seule la baisse massive du chômage, comme aux USA en ce moment, ramène l’inflation salariale. Entre déception des salariés les plus modestes et crainte des entrepreneurs qui pensaient acquis qu’un SMIC élevé était l’ennemi de l’emploi, cette mesure, trop complexe, est peu susceptible de calmer le climat social.

La seconde mesure annoncée hier est une baisse de CSG pour les retraités les plus modestes, qui tente de corriger la désastreuse hausse de cette année. La troisième est plus intéressante, puisqu’il s’agit du grand retour de la défiscalisation/désocialisation sarkozyste des heures supplémentaires. Politiquement, on admettra le brio puisque cette mesure était la pierre angulaire des nouvelles orientations économiques de LR forgées par Wauquiez/Peltier : une fois n’est pas coutume, Macron coupe l’herbe sur le pied de LR avec une mesure identifiée à droite ; le problème est celui de son inefficacité économique ; entre 2007 et 2012 beaucoup d’entreprises ont optimisé le dispositif en déguisant des hausses de salaires en heures supplémentaires. La Cour des comptes relevait dès fin 2010 son effet « ambigu » sur l’emploi et prônait sa « remise en cause ». « Si les salariés concernés ont bien bénéficié d’un surcroît de rémunération grâce à la défiscalisation, ce n’est pas en moyenne en travaillant plus », « il n’y a pas eu d’impact significatif sur les heures réellement travaillées », selon les économistes Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo. Comme trop souvent en France, on oublie toute évaluation des politiques publiques et on ressort une lapalissade de la politique économique, qui n’est pas nouvelle puisque dès fin 2017 Edouard Philippe l’évoquait. Enfin la dernière mesure, celle de la prime versée par les entreprises est soit impraticable (nous sommes le 11 décembre et aucun chef d’entreprise n’aura le temps de s’en soucier avec une trêve des confiseurs dans dix jours), soit proche de l’effet d’aubaine pour les entreprises versant déjà une telle prime.

Si les effets réels de ces mesures sont contrastés, leur coût devrait amener le déficit vers 3,5% : ce qui veut dire que le gouvernement va devoir une nouvelle fois, le dos au mur, trouver des économies et ce alors que le budget doit être bouclé lui aussi dans dix jours (une loi rectificative est probable l’an prochain…mais quel chef d’entreprise modifierait ainsi son budget et ses comptes en fin d’année alors que le budget est prêt depuis trois mois ?). Face à la colère des Gilets Jaunes, nous aurions proposé deux types de mesures : en premier lieu, pour prendre en compte la détresse au quotidien de nombre de nos concitoyens, il aurait fallu massivement baisser la TVA sur les produits de première nécessité (d’autres taux pouvant être augmentés) ; par ailleurs, la CSG a atteint des niveaux insupportables sous Macron et crée trop d’externalités négatives et d’effets d’aubaine : elle a complexifié notre système fiscal et sociale. Nous aurions défait le mécano socio-fiscal de Macron en revenant aux niveaux de CSG de la fin du quinquennat Sarkozy.