Peut-on espérer la paix au Yémen en 2019 ?

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

28 décembre 2018 • Opinion •


Votée le 21 décembre 2018, la résolution 2451 du Conseil de sécurité des Nations unies, relative au Yémen, peut susciter des doutes quant à la perspective de paix en ce pays, théâtre d’un conflit indirect entre Téhéran et les régimes arabes sunnites du Moyen-Orient. Il reste que ce texte a le mérite de pointer les responsabilités des Houthistes et de mettre en exergue les enjeux géopolitiques d’une guerre irréductible à ses dimensions tribales et confessionnelles.

Adoptée à l’unanimité, ladite résolution renvoie au cadre général de règlement du conflit défini par un précédent texte : la résolution 2216 du 14 avril 2015. Celle-ci reconnaît la légitimité du président du Yémen, Abdrabo Mansour Hadi, et du gouvernement légal de ce pays. Consécutivement, elle exige que les rebelles houthistes déposent leurs armes, évacuent la capitale, Sanaa, ainsi que les ports d’Hodeïda, d’Al-Salif et de Ras Issa.

Les Houthistes : un « Hezbollah » local

De fait, la rébellion houthiste est la principale cause de l’état de guerre au Yémen. Certes, ce pays est très fragmenté, tant sur les plans tribal et confessionnel que géographique. De longue date, l’histoire du Yémen contredit l’appellation d’« Arabie heureuse », volontiers rappelée par les irénistes qui feignent de considérer l’état de guerre endémique de ce pays comme le fruit d’un malheureux concours de circonstances. A l’évidence, la mastication du qat ne suffit pas à contenir la violence originaire des populations locales.

Pourtant, le Yémen, après l’insurrection de 2011 enclenchée sur fond de « Printemps arabe », avait amorcé une transition politique. A défaut de démocratisation, les palabres, cahin-caha, menaient à la redéfinition des équilibres tribaux et interconfessionnels. C’est en septembre 2014 que les Houthistes, partis de leurs bastions montagneux du Nord-Ouest, se sont emparés de Sanaa, contraignant le président et le gouvernement légal du Yémen à s’exiler.

Engagé dans une vaste entreprise dominatrice sur le théâtre syro-irakien, le régime irano-chiite a tôt vu dans ce conflit l’opportunité de porter la guerre dans l’arrière-cour de l’Arabie Saoudite. Alors s’est enclenché le jeu d’actions et de réactions conduisant à l’intervention saoudo-émiratie, et ce à l’appel du gouvernement yéménite. La résolution 2216 est ensuite venue conforter la légalité de cette intervention militaire.

Certaines analyses du conflit n’accordent pas suffisamment d’attention au phénomène houthiste. Il s’agit en fait de Zaydites, une secte chiite du Nord-Yémen qui, dans le contexte de fanatisation de la région, s’est elle-même livrée à l’extrémisme religieux. Qualifiés d’« Houthis », à partir du nom d’un de leurs chefs de guerres, ces « Partisans de Dieu » (Ansar Allah) constituent une sorte de Hezbollah yéménite, dûment identifié comme tel par Téhéran qui leur livre missiles balistiques et autres matériels militaires. Ainsi un nouveau front a-t-il été ouvert entre le régime irano-chiite d’une part, de l’autre les monarchies sunnites du golfe Arabo-Persique.

Préserver la liberté de naviguer en mer Rouge

Bien qu’édulcorée par la Russie, alliée dans la région à l’Iran, la dernière résolution des Nations Unies consolide donc le cadre général de règlement du conflit. Seule la menace d’une grande bataille autour d’Hodeïda a pu finalement amener les Houthistes à la table des négociations (voir le cessez-le-feu signé à Stockholm, le 13 décembre 2018). Rappelons que ces derniers avaient refusé de participer aux précédents pourparlers (Genève, septembre 2018), l’action résolue de la coalition ayant raison de la mauvaise volonté des Houthistes.

Outre l’envoi d’une équipe d’observateurs, afin de contrôler le respect du cessez-le-feu et le retrait des combattants depuis les ports d’Hodeïda, d’Al-Salif et de Ras Issa, la résolution 2451 prévoit un mécanisme de supervision de l’administration portuaire. Le port d’Hodeïda assure en effet l’essentiel des importations du Yémen et ses ressources sont aux mains des Houthistes. Si elle était mise en œuvre, cette résolution les écarterait de la mer Rouge, la totalité des ports du Yémen étant assurée par les alliés des Emirats arabes unis (EAU).

On sait que Mohammed Ben Zayed, prince régent des EAU, conduit une grande stratégie navale et maritime de part et d’autre de la péninsule Arabique et jusque dans l’océan Indien. Anticipant un conflit ouvert avec l’Iran au cours duquel les Pasdarans (les Gardiens de la Révolution) chercheraient à bloquer le détroit d’Ormuz, il projette les forces émiraties au-delà du golfe Arabo-Persique et acquiert les moyens d’accéder librement aux mers du monde. Cela suppose que le golfe d’Aden, le détroit de Bal-Mandeb et la mer Rouge demeurent hors de portée des coups des « proxies » de Téhéran.

Il serait faux de croire que la vision géopolitique des EAU, aussi articulée soit-elle, concerne leur seule volonté de se poser en gardiens de la liberté de navigation, en mer Rouge et sur les approches de la péninsule Arabique et de la Corne de l’Afrique. D’une part les Houthistes sont une force violemment anti-occidentale, ce que signifient leurs actes et slogans (« Mort à l’Amérique ! Mort à Israël ! Mort aux Juifs ! »). D’autre part, la route de Suez constitue la principale voie de passage entre Europe, Golfe Arabo-Persique et Asie : sa sécurité conditionne les approvisionnements du Vieux Continent.

Pour conclure

Au total, il appert que le conflit yéménite ne se déroule pas sur un lointain théâtre exotique, sans réel intérêt stratégique pour l’Occident. Aussi importante soit-elle, la question humanitaire ne saurait éclipser les autres dimensions de cette guerre qui a pour toile de fond le grand affrontement entre le monde sunnite, certes divisé, et le bloc chiite que Téhéran s’efforce de mettre en place. Au-delà, l’impérialisme irano-chiite s’inscrit dans l’entreprise globale de destruction de la longue hégémonie occidentale que mènent la Russie-Eurasie de Vladimir Poutine, la Chine néo-maoïste de Xi-Jinping et autres puissances révisionnistes.

Carrefour des empires, le Moyen-Orient constitue un nœud stratégique, au cœur des rivalités de puissance du premier XXIe siècle. Aussi comprend-on la volonté des puissances occidentales de perpétuer leur soutien aux régimes arabe sunnites, ce dont témoigne l’effort diplomatique déployé pour obtenir la résolution 2451 : on ne réparera pas les méfaits de l’« affaire Khashoggi » en livrant le Yémen aux agissements de Téhéran et de ses « proxies ». Il reste que cette vaste confrontation, qui se joue dans d’autres parties du Moyen-Orient, requiert une grande stratégie occidentale. Sur ce point, le retrait précipité du Nord-Est syrien ne serait pas de bon augure.