Cessons ce concours Lépine fiscal !

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

25 février 2019 • Opinion •


Une cacophonie néfaste pour la confiance : c’est l’impression que donnent les réflexions à voix haute du Président et les initiatives désordonnées des députés.


En une truculente contradiction interne, certains députés de la majorité demandent désormais la réinstallation d’une taxe écologique, alors même que le sujet de la taxe carbone avait initialement engendré la révolte des Gilets Jaunes : à cet égard, il convient de rappeler que cette dernière, avant des dérives chaotiques, était centrée sur le ressentiment fiscal et notamment la critique de la fiscalité écologique; or ce que le grand débat aura justement mis en exergue, c’est la foisonnante complexité de notre code des impôts et la frustration qu’elle engendre chez nos concitoyens.

La science économique nous enseigne qu’au-delà du niveau de prélèvements sur les ménages ou les entreprises, c’est aussi la stabilité du cadre fiscal qui compte. Dès le livre V de la Richesse des Nations, Adam Smith énonçait quatre vertus de l’impôt : égalité, certitude, économie et commodité. Après les travaux de Musgrave, les praticiens des finances publiques proposèrent trois critères pour justifier le flux de ressources publiques : le rendement (avec l’irruption de la courbe de Laffer dans le débat public), la flexibilité et la stabilité surtout. Richard Barro dans les années 1970 a montré que les agents ne cédaient pas à l’illusion fiscale et intégraient de futures hausses d’impôts en cas de hausse de la dépense publique. Après lui, les économistes de l’école des Choix publics tout comme le prix Nobel Amartya Sen montrèrent la contribution à la croissance d’un cadre juridique stable : la fiscalité est un sous-ensemble de ce cadre réglementaire.

Or la majorité teste de nouvelles idées fiscales de manière quotidienne et ce depuis le début du quinquennat : en plus du mécano fiscalo-social des réformes (hausse de la CSG, quasi disparition de la taxe d’habitation, transformation de l’ISF en IFI, PFU) effectives avec leur nouveaux acronymes et sigles abscons, on peut relever les nombreux ballons d’essai ces derniers jours : imposition des plus-values immobilières sur la résidence principale, rétablissement de l’ISF avec niches fiscales arbitraires (ex-niches pour le réinvestissement dans les entreprises et le mécénat), au contraire suppression de toutes niches fiscales pour l’impôt sur le revenu, fusion taxe d’habitation-taxe foncière, etc. Propositions de lois officielles, réflexions à voix haute du Président lors du « Grand débat » national et initiatives désordonnées des députés de la majorité se conjuguent en donnant l’impression d’une véritable cacophonie fiscale.

L’impact de cette dernière sur les entrepreneurs et la confiance des ménages n’est que trop bien connu historiquement en France : en l’absence de règles du jeu claires et durables, les entreprises défèrent leurs projets d’investissement, les particuliers constituent une épargne de précaution fiscale au lieu de consommer, voire pour les plus aisés s’exilent afin d’échapper aux risques potentiels associés aux réformes fiscales envisagées. S’il est bien un domaine qui ne se prête guère aux circonvolutions orales sur les plateaux TV, c’est celui des taxes. Alors que le ralentissement de la croissance risque d’obérer nombre de baisses d’impôts promises par le pouvoir en place, n’est-il pas temps tout simplement de décréter un moratoire de deux ans et d’offrir enfin un cadre fiscal certain et stable ? Un tel choix serait à la fois une marque de confiance envers les entrepreneurs dans ce pays et une décision plus efficace que d’illusoires nouvelles perspectives de baisses d’impôts…