La transition électrique de l’Union européenne affaiblira son économie

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, président du pôle Energie, Climat, Environnement de l’Institut Thomas More

27 mars 2019 • Opinion •


La politique bas carbone adoptée par l’Union européenne est trop peu pragmatique et pas suffisamment pensée. Notamment quant à ses impacts socio-économiques.


La transition énergétique est abondamment traitée dans les médias, souvent de manière univoque, en ignorant (volontairement ?) les conséquences socio-économiques. Dans ce papier, nous nous limiterons à sa composante électrique. Rappelons tout d’abord que la finalité première d’un système électrique est d’assurer l’adéquation entre la production et la consommation d’électricité.

Il va de soi, quoique ce ne soit pas évident pour tout le monde, qu’il faut anticiper les adaptations nécessaires du système avant de procéder à la mise en œuvre du changement. Dans ce processus, l’analyse de l’impact sur la transmission et la distribution d’électricité et sur la continuité des services ainsi que la réalisation des travaux correspondants requis, sont prioritaires. Or, aucun gouvernement ayant décidé de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (GES), ne s’est soucié des conséquences de ses décisions (1). Ceci explique les déboires des pays qui se sont précipités dans une stratégie de pénétration accélérée de production d’électricité renouvelable intermittente.

L’Allemagne n’est pas à suivre…

Le cas de l’Allemagne est exemplaire à cet égard (2). Le problème n’est pas qu’elle se soit lancée dans la production éolienne et photovoltaïque (quoiqu’il faudrait mieux prendre en compte l’impact sur l’environnement des matériaux nécessaires à leur fabrication), mais qu’elle l’ait fait dans la précipitation sans avoir préparé ce changement de mix électrique, sans avoir tenu compte des impacts socio-économiques et, qu’en outre, elle ait simultanément décidé de sortir de la génération nucléaire avec effet immédiat pour 50% de sa capacité, les 50% restants devant être arrêtés en 2022. Cette dernière décision est particulièrement incohérente alors que la production nucléaire n’émet pas plus de gaz à effet de serre (GES) que le renouvelable intermittent, qu’elle est bon marché (car amortie) et que pour répondre aux besoins de consommation électrique, l’Allemagne a dû recourir à des centrales à charbon (particulièrement polluantes) et même en construire de nouvelles.

En conséquence, au lieu de diminuer, les émissions de GES du secteur électrique ont augmenté !

Berlin table désormais sur une baisse de 32% de ses émissions de GES en 2020 par rapport à 1990, contre 40% auparavant, et n’atteindra donc pas ses objectifs. « L’effet des mesures prises jusqu’ici a été surestimé », a reconnu en juin 2018 le ministre de l’Environnement Svenja Schulze tandis que Peter Altmeier a appelé à « ne pas foncer tête baissée dans la transition énergétique » (3).

En outre, les membres de la Commission charbon se sont mis d’accord, le 25 janvier 2019, pour n’arrêter progressivement les centrales à charbon qu’entre 2022 et 2038 (pas avant 2045 pour RWE). La reconversion des régions minières va coûter 40 milliards d’euros tandis que 2 milliards d’euros seront consacrés à la compensation de la hausse des prix de l’électricité pour le consommateur en plus de l’indemnisation des exploitants qui se chiffrent en milliards d’euros.

L’Australie non plus…

Un autre cas d’école est l’Australie, pays fortement impliqué dans l’éolien. Le 28 septembre 2018, l’Australie du sud a été victime d’un black-out électrique total. Deux fermes éoliennes avaient subitement cessé d’alimenter le réseau, entraînant la surcharge de l’interconnexion avec l’État voisin de Victoria et plongé l’Australie du sud dans le noir total à la suite de l’indisponibilité de production thermique locale. Plusieurs jours furent nécessaires pour réalimenter tous les abonnés, car seule une remise en service progressive permettait de garder le contrôle de la tension et de la fréquence.

Ceci met, une fois de plus, en évidence qu’une pénétration élevée de renouvelable intermittent complique sérieusement la gestion du système électrique, et requiert des investissements spécifiques lourds pour en assurer l’équilibre, ces coûts étant, bien entendu, supportés par les consommateurs finaux.

… Et la France encore moins

Quant à la France, elle n’en est pas non plus à une incohérence près. Alors que sa génération électrique est essentiellement nucléaire et hydraulique, c’est-à-dire non-émettrice de GES, le gouvernement français a décidé d’ouvrir le mix électrique à l’éolien et au photovoltaïque.

Ce projet de modification du mix électrique à marche forcée est purement politique et fort coûteux. Il est sous-tendu par la volonté de la France de se présenter comme le leader européen de la politique bas carbone quel qu’en soit le prix à payer par le citoyen. La réalisation de pareils objectifs contre vents et marées fait craindre une dérive autoritaire pour imposer la doxa.

Les pays de l’est de l’Europe privilégient leur développement socio-économique et sont moins sensibles aux considérations climatiques. Leur priorité est de rattraper le retard qu’ils ont accumulé durant l’ère soviétique. Ils ne sont donc pas disposés à abandonner rapidement les énergies fossiles, et plusieurs d’entre eux ont l’intention d’investir dans de nouvelles centrales nucléaires.

Non à un système de contrôle strict

Actuellement et singulièrement depuis la Cop 21, l’UE est le seul bloc qui s’est engagé, avec quelques rares pays, à mener une politique bas carbone avec tout ce que cela implique en termes de changement de société, de lourds investissements indispensables à la poursuite des objectifs climatiques, de chute de compétitivité, etc. Il est à craindre que pour atteindre à tout prix leurs objectifs climatiques, l’UE et les États membres engagés dans le changement radical de mix électrique, ne mettent en place un système de contrôle strict, via des agences, des comités, des commissions et plans divers destinés à encadrer les activités individuelles, économiques et sociales, aux dépens des libertés individuelles et du bien-être des populations.

Le reste du monde, c’est-à-dire l’immense majorité des pays, se garde bien de se lancer dans une telle aventure afin de préserver croissance et prospérité à venir.

L’entreprise européenne de transition énergétique est donc peu susceptible de provoquer un effet d’entraînement significatif mais, par contre, elle conduira à l’affaiblissement économique de l’Union européenne et, partant, à une perte d’influence de celle-ci au niveau international.

Vu les incohérences précitées, les performances mitigées, voire les échecs, de la politique bas carbone européenne dont nous venons de faire état, ne serait-il pas plus raisonnable d’adopter une approche plus pragmatique en prenant davantage en compte les impacts socio-économiques ?

Notes

(1) Il s’agit essentiellement de pays occidentaux ou assimilés tels que l’Australie.

(2) Jean-Pierre Schaeken Willemaers, Péril sur l’électricité belge, Texquis, 2018.

(3) Violette Bonnebas, « En Allemagne, la transition énergétique s’enlise », Reporterre, 3 octobre 2018.