Service national universel · Le gouvernement n’a pas compris ce qui se joue dans la jeunesse française

Marlène Giol, chercheur associé à l’Institut Thomas More

21 juin 2019 • Opinion •


Marlène Giol publiera à l’automne un rapport sur les moyens de renforcer l’engagement des jeunes dans la vie sociale et culturelle de notre pays


Le gouvernement a lancé le 16 juin la phase test du service national universel, présenté dès la campagne présidentielle comme la réponse à la nécessité urgente de renforcer l’engagement des jeunes au sein de la société. Or, de variations en réorientations tant sur le fond que sur la forme, le dispositif apparaît aujourd’hui comme une demi-mesure qui ne s’est pas donné les moyens de ses ambitions.

Car la jeunesse française doit faire face à une situation sans précédent. Une situation caractérisée par une vulnérabilité économique et sociale inquiétante, avec un taux de chômage des moins de 25 ans toujours élevé, des problèmes de formation et d’intégration sur le marché de l’emploi, un isolement social croissant, un état de santé préoccupant, etc. A cela s’ajoute un mouvement de retrait progressif et multiforme de la vie publique et sociale, de « désinstitutionnalisation » selon le mot du sociologue Michel Maffesoli, marqué par une participation électorale qui s’effondre (parmi les 18-29 ans, moins d’un électeur sur cinq a voté de manière systématique en 2017) et un repli communautaire, voire communautariste, qui prend des formes certes variées – du plus inquiétant avec le phénomène islamiste au plus avant-gardiste avec les éco-communautés – mais qui mènent toutes à une remise en question du sentiment d’appartenance à une communauté de destin. Les problématiques qu’ils affrontent et les mutations en cours ne peuvent souffrir la tiédeur et le SNU n’apporte pas une réponse à la hauteur des enjeux.

Le service national universel s’inscrit jusque dans sa dénomination dans le regret et l’image fantasmée du service national de nos aînés, vu comme le lieu de la cohésion et du brassage social. Toutefois, derrière les symboles mis en avant pour la promotion de la phase expérimentale (uniformes, levée des couleurs, salut au drapeau, Marseillaise), force est de constater que le contenu du projet est très insuffisant. L’un des marqueurs de cette insuffisance est le peu de temps qui est donné à la réalisation du service. Les jeunes seront amenés à participer à deux phases obligatoires : quinze jours de « cohésion » consacrés à la réalisation de modules collectifs et d’activités pratiques, suivis dans l’année de quinze jours dédiés à une mission d’intérêt général auprès de différents organismes ou acteurs associatifs. La temporalité du projet laisse perplexe. Comment répondre efficacement aux objectifs qu’a annoncé le gouvernement dans un délai aussi court ? Si la « phase de cohésion » cherche à répondre à une nécessité dans notre société, il est illusoire de penser y parvenir en si peu de temps, avec un simple « stage accéléré » de la citoyenneté. On s’interroge aussi sur la qualité des modules organisés, tenant plus de sessions de découverte que de réelles formations. L’enracinement ne peut véritablement se réaliser que s’il s’inscrit dans un processus global ancré sur plusieurs années.

A cet égard, l’une des principales insuffisances du projet gouvernemental est la relégation au second plan de l’étape qui apparaît comme la plus intéressante : l’engagement de longue durée sur la base du volontariat pour les jeunes de moins de 25 ans. En effet, cette phase n’est proposée qu’à titre facultatif, qui plus est à de jeunes adultes qui seront pour la plupart pris dans la spirale des études ou de la vie active. Laisser cette étape à la marge du SNU revient à vider le projet de sa substance car c’est là que se situe le cœur de l’action à mener pour dynamiser l’engagement.

Le flou entretenu sur certaines propositions constitue un autre élément de doute quant à l’efficacité du projet. Ainsi, Emmanuel Macron avait laissé entendre il y a quelques mois sa volonté d’inclure l’intégralité du permis de conduire dans le SNU. Une telle initiative correspondait à une avancée pour lutter contre un problème économique et social réel : la mobilité des jeunes et son coût (plus de huit jeunes sur dix titulaires du permis ont eu besoin du soutien financier de leurs parents, selon l’Insee). Hélas, le dispositif sera bien moins ambitieux : si la formation au code est bel et bien incluse dans la partie obligatoire du SNU, l’idée de faire passer l’épreuve pratique du permis aux seuls jeunes qui effectueraient la phase facultative, c’est-à-dire l’engagement de longue durée, est encore en discussion…

Trop léger dans son aspect économique et social, le SNU l’est plus encore sur le plan de la citoyenneté. En le positionnant comme une « expérience de dépaysement », le gouvernement manque l’objectif essentiel, qui est l’enracinement du jeune dans son environnement et la reconnexion avec le monde qui l’entoure. Pour y parvenir, il aurait été nécessaire de consacrer du temps à des sujets qui ancrent les jeunes dans leur univers social et culturel et intègrent les acteurs de leur quotidien. De plus, rien de sérieux n’est prévu pour promouvoir le sentiment d’appartenance à la communauté nationale ni le lien d’attachement culturel et politique à la France. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse chargé du projet, expliquait récemment que les soirées des jeunes seraient dédiées à des débats « sur des enjeux de société, par exemple les discriminations liées à l’orientation sexuelle, le handicap, la radicalisation […] l’égalité femmes-hommes »…

En plaçant le SNU au centre de son dispositif de reconquête de l’esprit d’engagement, le gouvernement ignore la partie substantielle de l’enjeu, qui est la fragmentation de notre société et la nécessité de reconstituer le lien social dans ce qui fait sa diversité et sa complexité. Le développement d’une « culture de l’engagement » promis par l’exécutif ne se fera pas sans la mise en place d’un système global d’ouverture aux valeurs et aux richesses de la nation, accompagnant chaque jeune tout au long de son évolution, structurant son apprentissage de la citoyenneté et de l’appartenance. D’autres solutions existent, au cœur même de la société française. Pour les faire émerger, il est nécessaire de sortir des logiques étatistes verticalisantes et de donner aux acteurs de terrain les outils pour agir sur leur propre réalité.