Tiens, revoilà le chômage !

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

15 novembre 2019 • Opinion •


Les derniers chiffres de l’INSEE pour le troisième trimestre 2019, montrent une augmentation, légère, du taux de chômage. Sébastien Laye anticipe le retour d’un chômage conjoncturel, causé par la récession mondiale et le cycle économique.


Hysteresis – retard de l’effet sur la cause dans le comportement des corps soumis à une action physique. Ce terme de mécanique a depuis longtemps trouvé sa place dans l’analyse économique, mais nombre des pseudo-commentateurs en France paraissaient l’avoir oublié ces derniers mois. Alors que les chaînes d’information en continu avaient acté les supposés résultats du gouvernement (alors que curieusement notre taux de chômage est supérieur d’un point à la moyenne européenne et en réalité de deux ou trois par rapport aux pays les plus comparables) et une croissance dont le « contenu en emploi serait plus riche » (par quelle opération du Saint Esprit ? Deux ou trois réformes non abouties en matière de droit du travail ?), la sentence tombait, cruelle : selon l’INSEE, le taux de chômage a atteint au troisième trimestre 8,6% de la population active, la France comptant officiellement 2,528 millions de chômeurs, soit 10 000 de plus sur le trimestre.

Certes, sur un an (car le chômage a depuis lors, avant, justement, ce troisième trimestre, baissé tout doucement mais continuellement), la tendance est positive mais ce coup d’arrêt brutal à la baisse du chômage n’avait pas été anticipé. Comment l’expliquer et quelle évolution peut-on prévoir par conséquent en 2020 et 2021 ?

Si on veut se rassurer, on remarquera que cette augmentation du chômage ne concerne pas les jeunes, plutôt les plus de cinquante ans, et on peut potentiellement en trouver la source dans ce qu’on appelle le halo du chômage : le halo du chômage, ce sont ces gens découragés, non-inscrits à Pôle Emploi, et qui pourtant ne travaillent pas, et que les statisticiens ne considèrent pas comme chômeurs. Après plusieurs mois de baisse du chômage, ces inactifs se seraient remis en quête d’emploi et inscrits à Pôle Emploi, grossissant les rangs des demandeurs d’emploi. Cette explication n’est guère convaincante car nous avons un élément de comparaison, celui des États-Unis en 2016. À cette époque, après plusieurs années de baisse du chômage, ces bataillons de découragés sont aussi revenus sur le marché de l’emploi. Ils ont de facto ralenti la baisse du chômage mais en aucun cas entravé la pente naturelle vers la baisse du chômage, encore moins provoqué sa hausse.

La réalité, plus prosaïque, est d’une double nature : premièrement le monde ralentit depuis six mois. Le risque de ralentissement généralisé ou de récession se précise pour 2020, avec une industrie européenne déjà en récession et de vraies difficultés en Allemagne et en Chine, deux locomotives de l’économie mondiale. La France est entrée plus tardivement dans le cycle d’expansion, comme à l’accoutumée (2016 plutôt que 2014), et elle sera donc la dernière à voir sa croissance flancher significativement, pas avant six ou huit mois. Entre-temps, on ne peut que constater l’épuisement de sa croissance forte de 2016-2018 : cette année, la croissance, une fois que nous aurons les révisions habituelles au premier trimestre 2020, n’aura probablement pas dépassé 1,1% ou 1,2%.

Le cycle joue contre le gouvernement et si récession mondiale il y a, la France ne peut pas être épargnée. Il y a – dans le sens positif comme dans le sens négatif – toujours un décalage dans le temps entre la croissance, les intentions d’embauches et les embauches ou licenciements effectifs. C’est la raison pour laquelle l’affadissement de la croissance depuis le début de l’année a eu peu d’impact sur le chômage, car les entrepreneurs ont embauché en 2019 sur les bons résultats de 2018. Cet effet du passé ne joue plus et alors que tout un chacun revoit ses plans en intégrant ce ralentissement, les embauches vont rapidement être au point mort.

On ne saurait encore parler de hausse du chômage mais le cycle de baisse entamé en 2016 touche à sa fin. Ce qui réapparaîtra en 2020, c’est le chômage conjoncturel, lié au cycle économique. Par ailleurs, les réformes du gouvernement, qui sont de toute façon au point mort depuis la crise des « gilets jaunes », ne portent pas vraiment leurs fruits : contrairement à ce qu’annonçaient certains spécialistes un peu trop zélés, à un peu plus de 1% de croissance, la France ne crée quasiment pas d’emplois (pour cela il a fallu 2% en 2017 !). Les seuls pays au monde créant des emplois à 1% de croissance ont un modèle totalement différent, plus anglo-saxon, avec dix points de fiscalité et dix points de dépense publique par rapport au PIB en moins : soit 200 milliards de création de richesse annuelle qui devraient cesser de transiter par notre État. Le chômage structurel va se stabiliser, en l’absence de réformes systémiques, autour de 8,5%, et ensuite le chômage conjoncturel fera la différence (0% quand tout va bien, un ou deux points quand tout va mal).

Cette statistique, surprenante au premier abord, met en exergue plusieurs points négligés dans l’analyse économique : l’importance du cycle économique et de sa compréhension par les dirigeants politiques, l’insertion de la France dans l’économie mondiale, le peu d’avancées concrètes en matière de réformes économiques (qui appelle désormais de vraies transformations après dix ans de réformes graduelles par cliquet) et la faible influence du droit du travail. Les quelques résultats obtenus depuis 2015 doivent tout au cycle économique et surtout à la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne. Copiloter ces deux dimensions devraient être la tâche essentielle de nos dirigeants politiques.