Loi de 1905 · Il manque une définition univoque de la laïcité

Sophie de Peyret, chercheur associé à l’Institut Thomas More

9 décembre 2019 • Opinion •


À l’occasion de l’anniversaire de la loi de 1905, Sophie de Peyret, chercheur associé à l’Institut Thomas More qui vient de publier le rapport L’islam en France, le temps des solutions. 35 propositions pour agir maintenant (disponible ici), dénonce l’absence d’une définition juridique claire de la laïcité. Le flou n’est pourtant plus tenable, tant certaines revendications islamistes rendent nécessaire de sortir du relativisme.


Le 9 décembre, jour anniversaire de la promulgation de la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, est dédié à la Journée nationale de la laïcité. Nul doute que dans le climat de malaise autour de la question religieuse en général et de la question musulmane en particulier, cette date sera une occasion supplémentaire de voir resurgir les polémiques sémantiques et les querelles d’experts autour d’une question obsédante : qu’est-ce que la laïcité ?

À cette interrogation, il est fréquemment répondu que la laïcité s’appuie sur les piliers, établis par la loi de 1905, de séparation des Églises et de l’État, d’égalité de tous devant la loi et de liberté de culte, d’expression. Pourtant, pas un seul débat ne peut aujourd’hui se tenir sans de multiples détours par l’histoire ou par l’étymologie, sans l’ajout de tel ou tel adjectif censé qualifier plus finement la notion. Si ces artifices permettent peu ou prou de déterminer sur quoi elle repose, bien malin qui pourra fournir une définition univoque de cette laïcité et préciser de manière irréfutable comment l’appliquer. Jusqu’à présent, et en dépit de l’annonce régulière d’une prise de parole solennelle, Emmanuel Macron lui-même ne s’y est pas risqué.

L’imprécision est telle qu’en 2017, le prix de la laïcité de la République française, décerné chaque année par l’Observatoire de la laïcité, fut attribué à une association de Haute-Vienne pour une vidéo intitulée « C’est quoi la laïcité? ». Les autorités publiques ne récompensaient ainsi pas une action précise en faveur de la laïcité mais une initiative qui se contentait de poser une question et d’apporter une réponse aux contours flous : preuve que la définition est loin d’être évidente… Pas plus qu’il n’en existe pour les termes de « religion » ou de « secte », cette laïcité qui nourrit tant de polémiques n’a de définition claire et explicite.

Durant des décennies, la France n’a pas réellement éprouvé le besoin de dissiper ce flou tant la notion était facile à concevoir: la laïcité n’était pas une négation du religieux mais une articulation, en l’espèce une séparation, entre le temporel et le spirituel, sur fond d’une culture, de traditions, de mentalités d’inspiration chrétienne que tous partageaient, parfois même sans y penser (même les plus ardents laïcs). Le chemin fut parfois difficile, et parfois douloureux, mais un équilibre fut trouvé et une concorde fragile finalement instaurée.

C’est cet accord tacite qui se voit bousculé par la montée en puissance de l’islam dans le paysage national et qui nous contraint à préciser les modalités de la laïcité tant en termes de législation que de projet de société. Rappelons que la laïcité n’est pas un but mais un outil au service du bien commun. Les revendications communautaires autour du voile, par exemple, sont émises au nom du respect de la laïcité. Pour autant, servent-elles le bien commun ? Concourent-elles à unir la nation ? Le problème ne relève plus seulement du registre du droit, il est désormais culturel. Ainsi, outre la lecture strictement juridique, ce sont bien les orientations anthropologiques qu’il est urgent de tracer. Mais pour cela, il faut consentir à assumer et imposer sa culture, son identité, ses racines, ce qu’aucun dirigeant n’a encore eu le courage d’entreprendre. Emmanuel Macron, pour qui « il n’y a pas de culture française », est à cette croisée des chemins.

En 2009, lors de la mission d’information qui a précédé le vote de la loi sur la dissimulation du visage (communément appelée « loi sur le voile intégral »), le constitutionnaliste Guy Carcassonne rappelait l’existence d’un « consensus social » reposant « sur un socle de valeurs implicites ». C’est ce que le philosophe Pierre Manent appelle les « formes de vie » à la française. Parmi elles, figurent aussi bien l’impertinence que la galanterie, la culture chrétienne qu’un juste équilibre dans la relation entre les hommes et les femmes. Ce sont bien ces singularités françaises qui se voient aujourd’hui mises à mal par l’apparition de marqueurs culturels et idéologiques exogènes et le relativisme qu’ils génèrent. Ce sont elles qu’il faut défendre. En d’autres termes, il s’agit de mettre dans la balance la construction juridico-culturelle française depuis des siècles et les revendications d’une communauté minoritaire formulées au nom de libertés individuelles ou d’ambitions politiques. Ce serait une folie, et le signe d’un relativisme mortifère, que de les placer sur un pied d’égalité.

À l’occasion de l’anniversaire de l’adoption de la loi de 1905, le meilleur « cadeau » à lui faire serait de ne pas lui demander plus que ce qu’elle peut donner. En 1905, la religion catholique posait un problème de pouvoir, efficacement résolu par une loi politique de séparation. En 2019, la religion musulmane pose un problème anthropologique, qu’il convient de traiter sur le terrain adéquat.

Ce sont donc bien des choix anthropologiques qui doivent guider les responsables politiques, les amener à considérer que la France est singulière, que la laïcité « à la française » doit en tenir compte et donc à asseoir sa définition sur le respect de la culture, des traditions et des coutumes nationales. Car ce n’est qu’en donnant un contenu clair à la notion de laïcité, comme à celles de culture et de nation que nous parviendrons à déterminer les contours d’un modèle de société apaisé pour la France et ainsi donner aux musulmans la place qui leur revient.