Non, la France ne va pas s’écrouler sous la dette publique

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

17 mai 2020 • Chronique •


Le poids de la dette publique de la France va bondir, avec la crise du grand confinement. Mais les rachats massifs d’emprunts d’État par la BCE change la donne, juge Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More, dans sa chronique pour Capital.


C’est entendu, porter sur le long terme une importante dette publique est sans nul doute une grande faiblesse obérant le potentiel de croissance de long terme d’un pays. Incapable de réduire sa dépense publique de fonctionnement (60% d’une dépense publique elle-même à un niveau historique de 56% du PIB) – tout en sacrifiant, comble du comble, l’investissement –, l’État français avait dépassé en 2019 une dette supérieure à 100% du PIB : du fait de la baisse inédite du PIB cette année et de dépenses accrues dues à la crise, ce ratio devrait s’envoler à 115-120% du PIB en fin d’année. Ces seuils ne sont pas inédits alors que le Japon vit très bien avec une dette de plus de 200% du PIB depuis des décennies et l’Italie moins bien avec 130% : on remarquera que le premier État est complètement souverain avec sa monnaie souveraine et sa propre banque centrale (et ne peut donc pas techniquement faire défaut, avec en plus une dette majoritairement détenue par sa propre banque centrale et des agents domestiques). Nul n’est besoin de revenir sur la situation de l’Italie au sein de la construction européenne.

On remarquera que notre dette est exprimée sous forme de ratio, ce qui ne veut plus dire grand-chose avec les fortes variations du PIB attendues (écroulement en cours puis rebond, un jour ou l’autre) : à 2415 milliards début 2019, elle va enfler alors que notre PIB s’écroule. Mais il suffirait de retrouver notre PIB du début d’année pour par exemple afficher un taux de 108%, ou croître de deux pour cent quelques années pour repasser rapidement en dessous de 100%, même en supposant que l’on soit incapable d’améliorer les déficits (c’est-à-dire de baisser la dépense publique) : une conjonction de croissance correcte et de baisse des dépenses de fonctionnement de l’État suffirait à maîtriser la question de la dette.

Par ailleurs, un État n’est pas un agent économique comme un autre : quand ses comptes sont déséquilibrés, il ne lui est pas possible comme un ménage de simplement réduire sa consommation pour vite équilibrer ses comptes. La baisse de sa dépense est aussi la baisse de revenus d’autres agents économiques, et donc de ses recettes. Il faut donc veiller surtout à un niveau élevé de croissance et surveiller la soutenabilité de la dette, c’est-à-dire la charge des intérêts. A ce niveau-là, peu d’inquiétudes puisque les taux bas et l’absence d’inflation sont plutôt là pour durer au cours des cinq prochaines années.

Enfin, notre dette a changé de nature depuis les politiques de quantitative easing lancées en Europe par la BCE en 2015 et qui se poursuivent : si techniquement les dettes publiques sont toujours émises sur les marchés obligataires et les banques centrales ne peuvent acheter ces titres directement à l’émission, elles ont multiplié les achats de dettes existantes à tel point qu’aujourd’hui, la Banque de France, pour le compte de la BCE, détient 30% de la dette publique française. Après la crise du Covid, elle sera proche des 40%. Or quand une banque centrale détient ces titres de dettes à son bilan, en supposant qu’elle ne les remettra jamais sur le marché, il y a bien monétisation de la dette : la dette est remplacée par de la monnaie, par de la création monétaire. Ce n’est plus vraiment une dette qui sera due, on est proche de l’effet d’une annulation de dette. On peut ainsi dire que la « dette » qui s’échange sur les marchés de l’État français, est plutôt aux alentours de 80% du PIB.

Certes, ce n’est jamais un bon signe d’être incapable de faire reculer son ratio de dette/PIB, mais ce n’est pas non plus le cataclysme que d’aucuns nous promettent.