Le plan européen de relance peut-il aboutir à autre chose que des effets d’annonce ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

21 mai 2020 • Opinion •


Emmanuel Macron et Angela Merkel ont proposé un plan de relance de 500 milliards d’euros pour soutenir les pays les plus touchés par la crise. Mais pour l’économiste Sébastien Laye, il est tout sauf certain que cette décision fasse l’unanimité.


Au milieu de la litanie de statistiques déprimantes et de prédictions lugubres de Cassandre, nous ne devons pas éluder cette éclaircie dans un ciel orageux, qu’enfin Merkel et Macron ont proposé hier : un fonds de relance de 500 milliards d’euros pour l’Europe.

On se permettra un certain scepticisme quant à ce type de déclaration grandiloquente : il y a deux ans, les deux dirigeants par la déclaration de Meseberg, promettaient un moment hamiltonien pour l’Europe, un budget européen plus important et plus de solidarité. Ces belles déclarations étaient restées lettre morte, mais c’est bien ce rêve d’un budget européen plus conséquent que Merkel et Macron tentent de revivifier avec la crise du covid-19 qui menace indirectement de faire exploser la zone euro. Mais aussi avec la décision du tribunal de Karlsruhe qui battait en brèche les interventions apparemment illimitées de la Banque centrale européenne. La chancelière a toujours été pragmatique. Face à une crise inédite et une Cour nationale qu’elle a vertement remise en place, elle a décidé de soutenir la création d’un vrai budget européen pour des interventions contracycliques.

Cependant, on ne s’attendra à un impact concret cette année : à ce stade, il ne s’agit que d’une proposition franco-allemande, immédiatement contestée par l’Autriche, les Pays-Bas et le Danemark. Dans le monde européen qui est souvent un univers ubuesque régi par l’unanimité, il faudra l’accord de tous les parlements à l’unanimité. Un Sommet devrait avoir lieu en juin pour lancer cette initiative, mais il est impossible à ce rythme que la moindre subvention soit perçue sur le terrain avant 2021. À ce stade une partie seulement de l’urgence sera derrière nous.

Le fonds équivaut en fait à un doublement du budget de l’Union en 2021, 2022, et 2023. Il représente 3,6% du PIB européen. Aujourd’hui réduit à 1% du PIB européen, ce budget sera complété par le fonds de relance sous la forme de subventions directes ou d’abondement de prêts. Un peu à la manière de la PAC, des fonds structurels ou du plan Juncker, cet effort budgétaire ne financera pas le fonctionnement de l’UE mais uniquement des initiatives des États membres, avec pour l’instant trois domaines fléchés : la santé, l’aide aux entreprises en difficulté et la transition énergétique. Le premier choix est judicieux puisqu’une vraie campagne de tests, traitements et vaccins en France par exemple coûterait entre 20 et 30 milliards d’euros: un poids que notre budget classique pourrait difficilement supporter. Les plans de sauvetages industriels devraient aussi se multiplier et les fonds devraient en particulier soutenir l’industrie automobile.

À terme, on ne reviendra probablement pas même en sortie de crise sur ce doublement du budget européen. Il faut noter qu’à l’inverse du 1% actuel financé par des contributions des États membres, les 500 milliards viendront d’une émission de dette par la Commission : assez habilement, les Allemands, après avoir enterré l’idée d’une mutualisation des dettes existantes, sont ouverts à une émission de dette nouvelle commune sur la base de projets concrets. Nul doute que cela ouvre la voie à des pistes intéressantes de grands projets.

Le fonds présente cependant deux inconvénients majeurs à notre avis : d’abord, sous couvert de solidarité, les règles d’intervention vont être complexes à définir. En théorie, les États ayant le plus souffert, c’est à dire ceux du Sud de l’Europe devraient recevoir le plus d’aides, le remboursement lui devant respecter une clef de répartition comme pour les achats de dette. Mais dans les faits, cette dette modérée par rapport au budget total (50%) sera quasi perpétuelle, et dès 2021, certaines urgences sanitaires seront passées, et l’argent risque de financer la transition de l’industrie automobile allemande vers le véhicule électrique ou un Green Deal mal défini et sans soutien populaire. Le risque est grand d’un pseudo-État européen décidant pour les citoyens à travers ses subventions : on a vu de tels ravages dans le cadre de la PAC et de vrais plans de relance ne peuvent être pilotés que par les États eux-mêmes, et non la Commission.

Or on en arrive ici au second problème, récurrent d’ailleurs dans de nombreux discours grandiloquents de la présidence française. Ce plan de relance n’en est pas un ou du moins n’est pas un plan d’investissements. Macron nous avait déjà promis pour sa présidence un plan d’investissement de 50 milliards d’euros. Or il a oublié au passage la définition d’un investissement, qui doit donner lieu à la création d’un actif immobilisé. Quand il a alloué quelques dépenses supplémentaires de formation à cette catégorie « investissement », c’était de l’habillage de dépense publique classique de fonctionnement en investissement. C’est la raison pour laquelle ce plan a déçu, alors qu’on attend toujours concrètement les investissements dans l’intelligence artificielle, la robotisation (l’État sait-il faire tout seul en la matière ?). De la même manière, le nouveau plan européen n’est pas un plan d’investissement : on a certainement besoin de quelques dizaines de milliards d’euros pour éradiquer le Covid, mais après la fin de la crise sanitaire, il ne restera rien de ces milliards dépensés. Quand l’Europe se saisira-t-elle de nos vrais besoins en infrastructures et technologies, en partenariat avec le secteur privé ?