Réussir la reprise économique • Sortir du cercle vicieux de la dette d’entreprise

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

1er juin 2020 • Opinion •


Une drôle de guerre. En reprenant ce vocable historiquement affublant la période entre la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne et le début des hostilités, on serait tenté de dire que la France vit une drôle de guerre économique. La plupart des économistes ont beau rappeler qu’une inéluctable vague de faillites et de chômage se profile à l’horizon, pour l’instant, le monde des affaires est comme anesthésié par divers dispositifs (chômage partiel, mécanismes de prêts garantis par l’État) qui maintiennent nos entreprises – du moins les plus grosses – sous coma artificiel pendant encore quelques semaines.

Le réveil promet d’être compliqué, avec un chômage attendu à 10,4% en fin d’année et 11% probablement au premier semestre 2021. Surtout, les scories de la crise mettront des années à s’effacer pour certains secteurs tels que le tourisme, l’hôtellerie, l’aéronautique. Nous avons été de ceux qui dès le début de la crise ont demandé à l’État de faire feu de tout bois et, conformément à nos prédictions, dans bien des cas, les reports de charges et autres obligations sociales vont devoir être convertis en annulation pure et simple, au risque de grever les bilans des TPE en particulier : or, la question du bilan de ces sociétés est pour nous l’enjeu essentiel et le risque premier pouvant obérer toute reprise au troisième et quatrième trimestre.

Déjà avant cette crise, l’absence de fonds propres de ces entreprises, les excès socialo-fiscaux et les entraves réglementaires dessinaient un bilan moyen pour nos TPE et PME, assez déséquilibré, avec une gestion sur le fil du rasoir et un point mort élevé. Dans des domaines aux marges faibles comme la distribution ou la construction, l’arrêt de l’activité en mars était rapidement potentiellement létal. À cet égard, le choix du gouvernement d’accorder des prêts en urgence pour maintenir à flot certaines sociétés ou le mécanisme de prêts garantis s’avère aujourd’hui problématique : nos entreprises sont en train d’accumuler un stock de dettes conséquents, qui menace d’enrayer la reprise et de leur poser des difficultés durant de longues années. Il convient ici de revenir sur ce qui aurait dû être fait et enfin sur ce qui peut être fait à l’avenir pour corriger la trajectoire dangereuse.

Nous avons été un petit nombre, en Europe et aux États-Unis, à demander un mécanisme de soutien de l’État différent de celui des prêts garantis : il était évident que certains entrepreneurs auraient du mal à percevoir ces aides à travers la jungle administrative ou les percevraient trop tardivement, ce que l’expérience a confirmé. L’alternative intelligente eut été d’autoriser toutes les petites et moyennes entreprises à vivre avec un découvert bancaire, donc à dépenser pour survivre et payer leurs employés, découvert qui n’aurait pas été sanctionné par les banques. À la sortie du confinement, l’État n’aurait eu qu’à compenser les banques pour ces découverts et ces dernières auraient éliminé les déficits sur les comptes courants pour la période du confinement. L’aide eut été ainsi immédiate, sans paperasserie administrative ou critères de sélection parfois incompréhensibles, et l’État pouvait en sortie de crise en quelques transactions avec les principales banques françaises sortir de ce mécanisme. En sortie de confinement, l’aide à la relance aurait pu alors prendre la forme de prêts garantis, mais l’urgence était moindre et l’État aurait eu plusieurs semaines pour s’organiser.

Les regrets étant derrière nous, que faire désormais pour résoudre cette montagne de dettes d’entreprises ? Pour les PME et les TPE, attendre le retour de la croissance ne suffira pas : pour restaurer la qualité bilancielle de nos entreprises, il faudra envisager de transformer les prêts en fonds propres (mais on voit mal l’État devenir actionnaire de petites entreprises…) ou au moins en titres hybrides (dette convertible en actions), peut-être progressivement revendus aux banques ou à d’autres acteurs privés : ces titres devraient être regroupés dans une structure de cantonnement ad hoc, avec un immense travail de restructuration de dettes d’entreprises devant nous.