Pour une plateforme numérique d’enseignement pour tous

Cyrille Dalmont, chercheur associé Numérique à l’Institut Thomas More

29 décembre 2020 • Opinion •


La crise sanitaire mondiale a accéléré la numérisation de nos sociétés à un rythme effréné dans tous les domaines de notre vie : vie privée, travail, enseignement, administration mais également médecine, sécurité, défense, etc.


Dans beaucoup de ces domaines, la France accumulait déjà avant la crise des retards extrêmement préoccupants et ce, malgré les nombreux plans numériques adoptés ces dernières années, toujours très ambitieux au départ mais jamais dotés financièrement et ne donnant que très peu de résultats. Le rapport du sénat sur « la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique » de septembre dernier rappelle cruellement mais lucidement ces échecs répétés. Lors du premier confinement, des millions d’élèves et de parents ont pu constater qu’aucune plateforme d’enseignement numérique nationale digne de ce nom n’était en fonction et ce malgré l’existence de plusieurs sociétés françaises de soutien scolaire disposant de telles plateformes.

Nous savons pourtant, grâce à de nombreuses études internationales, que le niveau scolaire s’effondre de manière régulière dans notre pays. Ainsi, l’enquête TIMSS 2020, révélée il y a quinze jours, qui classe la France bonne dernière des pays de l’Union européenne dans l’apprentissage des mathématiques en classe de CM1 ou de quatrième, ne fait que confirmer le classement PISA 2019, qui plaçait la France en vingt-troisième position mondiale. L’étude PIRLS 2016 classait quant à elle notre pays en trente-quatrième position sur un échantillon de cinquante pays, pour les performances en compréhension de l’écrit des élèves de CM1.

La situation est donc dramatique. Le niveau général s’effondre de manière accélérée, ce que certains se sont ingéniés à nier depuis des années, quand il devrait au contraire s’améliorer pour répondre à l’enjeu majeur de la transition numérique qui a lieu à marche forcée dans l’ensemble des pays de monde. La responsabilité de l’État dans cette débâcle du niveau scolaire comme dans l’impréparation des Français à la révolution numérique est immense : elle condamne des millions d’entre eux à l’illettrisme et à l’illectronisme et, partant, à l’exclusion sociale demain.

Que faire ? La première urgence est naturellement une authentique refondation de l’école, des programmes et des méthodes d’enseignement. Une autre piste, qui combinerait accès à l’éducation et apprentissage du numérique, serait la création d’une plateforme d’enseignement numérique universel, gratuite et ouverte à tous. Nous disons bien « ouverte à tous » : écoliers, collégiens, lycéens, étudiants, enseignants, mais aussi personnes éloignées de l’emplois ou frappées d’illettrismes et, finalement, toute personne désireuse de disposer d’un outil accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre permettant d’avoir accès à un socle universel commun de connaissance. Nous l’avons dit, l’objectif de cette plateforme ne serait pas de remplacer l’enseignement traditionnel, qui doit être réformer d’urgence. Il ne serait pas non plus de délivrer des diplômes ou des certifications mais simplement de rendre accessible à tous un socle commun d’enseignement.

Mais elle permettrait aux élèves et aux étudiants d’avoir accès à un socle commun d’enseignement qui viendrait compléter leurs enseignements traditionnels. Elle permettrait aussi aux enseignements d’accéder à des mises à jour régulières dans leurs matières mais également de celles de leurs collègues. Pour les 10% de nos concitoyens souffrant d’illettrisme, cette plateforme gratuite leur permettrait de suivre les cours de leur choix, à leur rythme, dans le cadre protégé de leur foyer, sans jugement de valeur ni compte à rendre à quiconque. Enfin, pour l’ensemble des Français qui souhaiteraient approfondir leurs connaissances dans telle ou telle matière, pas forcément en adéquation avec leur activité professionnelle (comme c’est malheureusement trop souvent le cas lorsque l’on parle de formation professionnelle), ils pourraient tout simplement monter en compétence et en connaissance en fonction du temps qu’ils souhaiteraient y consacrer.

Ce projet serait placé directement sous la tutelle du Premier ministre, en association avec le secrétariat d’État au Numérique, le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le ministère du Travail et le ministère de la Fonction publique. Cette plateforme devrait être en accès libre et illimitée à l’ensemble des Français et reprendrait sous forme de cours en vidéo l’ensemble des programmes d’enseignement, de la maternelle au doctorat. Elle devrait être pleinement souveraine, hébergée en France et réalisée en partenariat avec des entreprises françaises, spécialisées dans le numérique d’une part et dans le soutien scolaire d’autre part. L’État devra bien sûr indemniser les enseignants qui participeront et s’engageront dans ce projet, sur la logique d’un contrat de cession de droits d’auteurs.

Ce n’est pas un mais deux icebergs qui menacent le Titanic éducatif français : l’effondrement du niveau scolaire et l’impréparation au grand chambardement scolaire. La proposition que nous formulons ici a le mérite d’apporter un début de réponse à ces deux dangers. Il est grand temps de virer de bord et mettre le cap sur l’excellence.