Le G8 et la Syrie · Se déterminer et agir

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Juin 2013 • Note d’actualité 7 •


La guerre en Syrie sera l’un des principaux sujets discutés lors du sommet du G8 qui se tiendra à Lough Erne (Irlande), du 17 au 19 juin 2013. Les États-Unis et leurs principaux alliés européens ayant établi l’emploi d’armes chimiques par le régime d’Assad, ils semblent s’accorder sur la livraison d’équipements militaires à l’Armée syrienne libre. Malgré l’opposition de la Russie, il faudra aller plus loin. Rétablir la balance des forces implique la création de zones-tampons protégées par les airs.


Du 17 au 19 juin, le Royaume-Uni accueillera à Lough Erne (Irlande du Nord) le sommet annuel du G8. Un temps éclipsé par le G20 suite au krach de septembre 2008, ce regroupement de puissances occidentales lato sensu, ouvert en 1996 à la Russie de Eltsine, conserve son utilité bien que la médiatisation de chaque sommet nuise à la diplomatie de club que l’on y pratiquait initialement. Les développements de la guerre en Syrie, l’usage d’armes chimiques et un soutien plus affirmé des principales puissances occidentales à l’Armée syrienne libre (ASL) sont à l’ordre du jour. Sur le terrain, pour autant que l’on veuille renverser le cours des choses, il faudra aller plus loin encore.

De trop longs atermoiements

Voici plusieurs mois que la possibilité de livrer des armes à l’ASL, au grand dam de Moscou qui appuie Damas avec opiniâtreté, agite les chancelleries et provoque le débat. La levée de l’embargo sur les armes de l’Union européenne (27 mai) et les déclarations de la diplomatie américaine  sur la fourniture de « matériels » à l’ASL (13 juin) sont autant de signes allant en ce sens. On notera cependant que le président des Etats-Unis a laissé s’exprimer son conseiller diplomatique (Ben Rhodes) sur cette question majeure, lui-même se consacrant à une réunion sur la fierté homosexuelle. L’anecdote passera-t-elle à l’Histoire ?

De fait, si l’on sait les pays européens partagés sur la livraison d’armes à l’ASL (Paris et Londres sont les plus allants), les atermoiements d’Obama et les divisions de son administration auront bien plus pesé sur le report de cette décision (les livraisons se limitent à des armes légères et du matériel non létal). La priorité accordée au retrait depuis les théâtres d’opérations du Grand Moyen-Orient, la volonté aussi bien au niveau de l’opinion publique que de l’establishment de ne plus se laisser aspirer par cette région du monde, le « grand basculement » vers l’Asie et le monde des émergents aussi, jouent contre l’engagement militaire en Syrie.

A cet égard, le titre du dernier ouvrage de Richard Haass, actuel président du Council on Foreign Relations  – « La politique étrangère commence à la maison » – est éloquent. Rappelons que cet homme d’influence appartenait à l’Administration Bush et soutenait l’entrée en guerre contre l’Irak. Aujourd’hui, il affirme vouloir tirer les leçons de cette opération et de ses suites; il s’agit de privilégier la reconstitution des sources de la puissance « at home » et recommande donc d’éviter de nouvelles interventions militaires extérieures. A cela s’ajoute la « révolution » des hydrocarbures non-conventionnels (on en surestime les conséquences géopolitiques).

Il n’en reste pas moins que le simple soutien diplomatique à l’opposition syrienne et le refus d’ajouter la guerre à la guerre, pour reprendre une hypocrite formule qui nous ramène aux Balkans des années 1990, n’auront pu atteindre l’objectif proclamé. Le régime d’Assad pilonne villes et populations civiles, l’ascension aux extrêmes emporte les belligérants et une partie de l’opposition armée bascule dans le jihadisme. Plus exactement, la Syrie est devenue l’un des théâtres du jihadisme global, ce qui alimente la propagande de Damas. Rappelons à ce propos la complaisance du régime pour le Jihad à l’époque de la guerre d’Irak (la Syrie d’Assad était l’une des plaques tournantes d’Al-Qaida).

L’extension du conflit

Au total, le chaos syrien déborde sur le Liban, le sud-est de la Turquie et la Jordanie ; la paix avec Israël est menacée (cf. le plateau du Golan et le transit d’armes iraniennes à destination du Hezbollah). Le soutien multiforme de l’Iran chiite-islamique au clan alaouite qui depuis des décennies confisque le pouvoir à Damas, quitte à recruter des alliés dans les différentes communautés ethnico-confessionnelles (ce que les pro-Assad appellent la « laïcité », mot magique du répertoire français), et l’engagement armé du Hezbollah dans le conflit confèrent à cette guerre une dimension régionale. L’ensemble « Proche et Moyen-Orient » est le théâtre d’un conflit central entre chiites et sunnites, ce qui n’exclut pas d’autres lignes d’affrontement à d’autres échelles.

Avec la réassurance de la Russie (elle approvisionne en flux tendus les forces armées du régime) ainsi que l’emploi d’armes chimiques, les retombées de cette guerre sont d’envergure globale. Les dispositifs de contre-prolifération sont une nouvelle fois bousculés et l’irrésolution des Occidentaux dans cette guerre mine leur détermination affichée à l’encontre du régime iranien et de ses ambitions nucléaires. Si l’Occident laisse passer la Syrie sous la domination de Téhéran et du Hezbollah (cf. le rôle des « parrains » d’Assad dans la prise de Qoussayr, le 5 juin dernier), que restera-t-il de sa crédibilité politique? Ajoutons qu’il n’y a guère à attendre de Poutine, tout à sa volonté de puissance et de revanche.

Aussi la décision de livrer des armes à l’ASL s’impose-t-elle désormais. En effet, le rapport des forces sur le terrain et dans la région menace de basculer au profit de Damas et de Téhéran, le régime iranien étant mû par la volonté d’étendre son hégémonie depuis le golfe Arabo-Persique jusqu’à la Méditerranée orientale. L’idée est donc de rétablir la balance entre les forces de Damas et l’ASL, avant la réunion de l’incertaine conférence de Genève prévue pour juillet prochain (« Genève II »).

On insiste à l’envi sur les risques liés à une telle entreprise, avec d’éventuels transferts d’armes vers des groupes jihadistes, mais ceux-là ne représentent qu’une partie de l’opposition armée et il doit être possible de contrôler les circuits d’approvisionnement. Au vrai, on devrait plutôt se demander si la décision de lever l’embargo sur les armes n’est pas trop tardive pour être efficace. Il faudrait envisager des zones-tampons en avant de la Turquie et de la Jordanie, sous la protection aérienne des puissances occidentales, afin de consolider les parties du territoire échappant à Assad tout en prenant en main les groupes armés avec lesquels il est possible de traiter.

Identifier la contradiction principale

Les opposants un engagement dans le conflit mettent en avant la qualité des défenses anti-aériennes de Damas mais les opérations répétées de l’armée de l’air israélienne dans l’espace syrien font justice de l’argument. Pour autant qu’une volonté politique se manifeste, des zones d’interdiction aérienne peuvent être mises en place.

Du point de vue des puissances occidentales, la question est de savoir où se trouve la contradiction principale dans cet Orient complexe et belligène. Si la menace d’un Iran nucléarisé et dominateur, avec l’appui d’une Russie revancharde, est jugée la plus pressante d’entre toutes, il faudra aller de l’avant.