La Turquie, l’OTAN et l’Occident · Une mise en perspective historique et géopolitique

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Octobre 2014 • Tribune 46 •


« Ami, allié, non aligné » : la formule est censée résumer la singularité de la politique française dans son rapport aux États-Unis et à l’OTAN. Cette rhétorique a longtemps eu pour corollaire une perception négative du degré d’autonomie politico-stratégique des autres alliés européens de Washington. Plus encore que le Royaume-Uni, avec son « special relationship » transatlantique, ou la République fédérale d’Allemagne, considérée comme le « meilleur élève de la classe atlantique », la Turquie faisait figure de contre-modèle. Le pilier oriental de l’OTAN était perçu comme un État sous la coupe de son armée, une sorte de « flanc-garde » dont la politique étrangère était strictement alignée sur celle des États-Unis. En contrepoint, les désaccords turco-américains autour de l’Irak en 2003, la grave crise diplomatique entre Ankara et Jérusalem à partir de 2009, plus généralement la politique étrangère mise en œuvre par Ahmet Davutoglu et le gouvernement de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) ont un temps suscité une interrogation de longue portée: l’Occident aurait-il perdu la Turquie ? Dès lors, quelles conséquences pour l’OTAN, alliance au sein de laquelle l’armée turque se place au deuxième rang, en termes d’effectifs ? Une certaine ambivalence dans la situation géopolitique syrienne – les services turcs soutiendraient des groupes jihadistes, leurs ressources financières reposant sur le trafic de pétrole de part et d’autre de la frontière turco-syrienne -, ont avivé ces interrogations. En toile de fond, la guerre que mène une coalition américano-occidentale contre l’« État islamique » et le ralliement tardif d’Ankara à cette opération. C’est le 2 octobre dernier que le parlement turc adoptait enfin une motion autorisant le déploiement de soldats en Syrie et en Irak.

Au vrai, l’alliance turco-occidentale et la participation de la Turquie à l’OTAN relèvent de la durée, et il faut se garder de jugements trop rapides négligeant échelles de temps et niveaux d’analyse. Opéré après la Deuxième Guerre mondiale, le choix politique et stratégique de se tourner vers l’Ouest et d’entrer dans l’OTAN n’est ni le prolongement nécessaire du kémalisme, ni une option arbitraire imposée par une armée de janissaires. Il renvoie à une situation géopolitique concrète : les menaces soviétiques sur la Turquie et le contexte de Guerre froide. Pourtant, l’option atlantiste et la force de la relation bilatérale américano-turque ne vont pas sans crises. Ainsi la diplomatie turque explore-t-elle déjà, au cours du conflit Est-Ouest, certaines voies esquissant ce que l’on a depuis nommé la « diplomatie Davutoglu ». Cela dit, la participation de la Turquie à l’OTAN n’a pas été remise en cause et la volonté présente d’Ankara d’accroître son rôle international se traduit par une présence plus forte dans les structures atlantiques. La Turquie demeurant aux portes de l’Europe instituée, ses dirigeants accordent d’autant plus une grande importance encore à l’OTAN. Il reste que les alliés de la Turquie devront mieux prendre en compte les intérêts et objectifs de cette dernière.