Vote obligatoire · Réflexe idéologique et aveu d’impuissance

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

L'Expansion 2-transparent

Mai 2015 • Opinion •


Avec près de 50% d’abstention, les élections départementales ont relancé le débat sur l’opportunité de rendre le vote obligatoire. L’idée n’est pas nouvelle puisque pas moins de treize propositions de loi ont été déposées en ce sens depuis 2000. Après examen, cette étrange suggestion relève plus d’un réflexe idéologique et d’un aveu d’impuissance que d’une saine et paisible attitude démocratique.


Réflexe idéologique car, derrière le vote obligatoire, se cache le fantasme bien républicain, certes plus du « peuple en armes », mais du peuple aux urnes… Citoyens d’une République qui serait bien plus qu’un régime, les Français auraient le devoir de s’intéresser à la politique, de se sentir concernés par la chose publique, de voter. De ce qui est un droit, on ferait une injonction. Dangereuse glissade. Car c’est une chose qu’une personne se fasse un devoir de voter, c’en est une autre que le système politique auquel elle appartient l’y oblige. La liberté, valeur décidément en baisse, fait pourtant la différence. Et une différence de taille…

Rendre le vote obligatoire relève autant de l’infantilisation que du mépris de la liberté et de l’autonomie des personnes. Il est inquiétant que cette idée soit, depuis quinze ans et plus, portée autant par la droite que par la gauche. Il est inquiétant qu’il faille réaffirmer ces évidences, ainsi qu’il est permis d’être indifférent à la politique. Il faut rappeler la fulgurance lumineuse de Raymond Radiguet, qui n’est justement pas un auteur politique : « Depuis 1789, on me force à penser, j’en ai mal à la tête »… La République nous fait décidemment de plus en plus mal à la tête.

Un aveu d’impuissance également car ces mêmes qui veulent caporaliser l’électeur ne disent rien, ou pas grand-chose, sur la défiance massive exprimée par les Français à l’encontre de leurs responsables politiques ni sur ce que les sociologues nomment finement la « désinstitutionnalisation » de citoyens qui se détournent de plus en plus massivement du monde institutionnel-public, qui certes ne votent plus mais ne croient plus non plus que Pôle Emploi puisse les aider à retrouver un emploi ni que la police puisse assurer sérieusement leur sécurité.

Incapables d’apporter des réponses concrètes aux Français qui constatent purement et simplement quarante années d’incurie du monde institutionnel-public, les nouveaux sans-culottes de l’isoloir cherchent au fond à le protéger encore un peu de leur colère en les forçant – contre amende ! – à lui donner leur caution à chaque échéance électorale.