La Chine se braque mais Donald Trump fait le job pour tenter de rééquilibrer les rapports entre l’Occident et Pékin

Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More

20 décembre 2017 • Entretien •


Il y a quelques jours, le conseiller à la sécurité nationale américaine, H.R. Mc Master déclarait que la Chine et la Russie étaient des puissances révisionnistes, qui sapent l’ordre international. Concernant la Chine, H.R. Mc Master évoque l’agression économique du pays, et parle de compétition entre les deux grandes puissances. En réponse à cette rhétorique, la porte-parole du ministère des affaires étrangère chinois a déclaré « la coopération est la seule nonne option entre Chine et Etats Unis ». La diplomatie de Donald Trump, laissant ici suggérer un nouveau rapport de force dans la région, peut-elle porter ses fruits ? Quels sont les objectifs recherchés par les États Unis ?

Cette déclaration chinoise fait suite à la publication d’un document, le National Security Strategy (NSS), document signé par Donald Trump en personne. Ce document stigmatise la Chine et la Russie et les désignent comme « concurrents » (competitors) des États-Unis. Ce NSS est le premier sous l’ère de Donald Trump et est marqué par un changement de ton de l’administration américaine. Le dernier document équivalent fut produit sous l’ère Obama il y a presque trois ans (en février 2015) et insistait au contraire sur « la coopération d’un ampleur sans précédent » entre la Chine et les États-Unis. Aujourd’hui, par la voix de Donald Trump, les États-Unis mettent en avant les risques de déstabilisation de l’ordre international liés à l’émergence de la Chine et critiquent même ouvertement des projets intérieurs à la Chine, le projet de Pékin de noter, notamment grâce aux outils de l’intelligence artificielle, la « loyauté » de chacun de ses citoyens. Sur le plan économique, les États-Unis n’hésitent pas à manifester leur inquiétude quant aux vastes projets d’investissements chinois dont Pékin cherche à tirer profit en termes d’influence politique sur les pays qui en bénéficient. Le document s’intéresse au cas de l’Europe et n’hésite pas à parler des « pratiques commerciales injustes » (« unfair trade practices ») que la Chine impose à l’Europe. A ce sujet, début décembre, les États-Unis ont publié une déclaration dans le cadre de l’OMC pour se situer résolument du côté de l’UE dans le cadre du différend qui oppose la Chine et l’UE sur la question du « statut d’économie de marché » de l’économie de chinoise. La Chine a en effet choisi d’attaquer l’UE sur ce sujet dans le cadre de l’ORD (Organe de règlement des différends) de l’OMC, car elle considère que l’UE est le maillon faible parmi ceux (qui sont nombreux, États-Unis, Japon, Inde, etc.) qui refusent d’octroyer ce statut à la Chine. La Chine a manifesté sa désapprobation à ce sujet dans des termes très proches de ceux utilisés ici, en appelant à la coopération, mais n’a pas tardé à mettre en place des mesures de rétorsion en levant dès le début de l’année prochaine les taxes sur l’acier qui limitaient un peu l’ampleur du dumping chinois.

Que faut-il lire derrière les mots de « recherche de coopération » de la part de Pékin ? Quels sont les objectifs de Xi Jinping dans ses relations avec les États Unis ? N’y a-t-il pas une forme de cynisme à parler de « coopération », pour la Chine, dans ses rapports avec les États Unis ?

Comme noté plus haut, le terme de coopération est celui qui était mis en avant dans le NSS précédent d’Obama. Il faut noter que ce document-ci ne renonce pas à cette expression tout en mettant l’accent plus nettement sur la dimension conflictuelle des relations entre les deux pays. La Chine rappelle donc les États-Unis à la position plus conciliante qui était la leur sous Obama, mais que déjà Pékin ne se gênait pas alors pour critiquer comme étant trop critique… De fait, il existe une multitude de dossier sur lesquels les deux superpuissances coopèrent.

Depuis longtemps, il existe deux veines distinctes dans les discours du régime chinois, la première à destination de l’étranger insiste sur les politiques coopératives et les projets « gagnant/gagnant » dans une rhétorique typique de la doxa libérale, la deuxième est une veine plus offensive à destination de sa propre population dont Pékin flatte le nationalisme. Il convient de distinguer les deux. En outre, cet appel à la coopération se situe dans un contexte de montée des tensions, non seulement en Corée du Nord mais aussi à Taiwan. A mille lieux de toute volonté de « coopération » sur ce sujet, Pékin multiplie ostensiblement les manœuvres militaires autour de Taiwan indiquant sa ferme et martiale volonté sur ce dossier essentiel pour lui. Trump affirme dans le dernier NSS sa volonté de poursuivre les relations des États-Unis avec Taiwan et réitère les engagements américains à défendre ce pays dans le cadre du « Taiwan Relations Act », alors même que Barack Obama dans le NSS précédent ne mentionnait pas une seule fois la question taiwanaise. Il s’agit pourtant de la question que les Chinois aiment à qualifier de dossier le plus sensible dans les relations entre les deux pays.

Les États Unis ont-ils encore les moyens de peser efficacement sur Pékin, notamment sur des questions économiques ?

Les deux premières économies du monde sont interdépendantes et une guerre commerciale, qui n’est pas inenvisageable, mais qui reste improbable (un peu moins aujourd’hui qu’hier cependant), nuirait grandement aux économies et aux entreprises des deux pays. Mais la Chine aurait au moins autant à perdre à une telle guerre que les États-Unis. Ce pays ne serait sans doute pas isolé au cas où la situation se dégraderait sur ce front face à la Chine. L’UE, avec des accents de fermeté assez inédits, insiste aujourd’hui sur la « réciprocité » dans ses relations économiques avec la Chine. Ce fut notamment le cas de Bruno Le maire lors de sa récente visite en Chine, et on attend également de la fermeté sur ces sujets de la part du président Macron lors de sa visite en Chine en début d’année prochaine. L’Inde et le Japon sont sur des lignes proches des lignes occidentales. La Chine, elle, semble plus isolée, même si bien sûr elle dispose de moyens de rétorsion très importants.