Assises de l’islam de France · Exit le CFCM ?

Sophie de Peyret, chercheur associé à l’Institut Thomas More

30 juillet 2018 • Opinion •


Le 25 juin 2018, des grêlons ravageaient plusieurs communes du Var, la France se demandait ce que pouvait bien signifier le titre de chanoine honoraire du Latran et le ministre de l’Intérieur lançait des « assises territoriales de l’islam de France ». Étrangement, médias et politiques ont davantage commenté les deux premiers sujets que le troisième. Ainsi, pas de plateau de télévision, pas de une dans la presse écrite, mais une simple circulaire. C’est avec discrétion que le ministre de l’Intérieur demande ainsi aux préfets d’organiser une consultation dans leurs départements respectifs avant le 15 septembre 2018, date à laquelle les lignes directrices devront être transmises au Bureau central des cultes du dit-ministère.

Une consultation quasi-confidentielle des musulmans

Une fois n’est pas coutume, la réflexion se décentralise, la manœuvre est confiée aux acteurs les plus proches des réalités et des disparités du terrain et les chantiers proposés à la réflexion (gouvernance des lieux de culte, financement du culte et formation des acteurs cultuels) sont d’envergure. Tous les ingrédients semblent réunis pour faire de ces assises un des « jalons de l’organisation de l’islam de France », promis par le président Macron. Mais si l’on veut être honnête, il y a peu de chance qu’une consultation, engagée de manière presque confidentielle, à la veille de l’été, sur une période de deux mois seulement, produise des fruits déterminants. C’est donc que l’objectif est ailleurs.

De fait, derrière le paravent de ces assises territoriales, se cache une autre ambition : le véritable but n’est pas de savoir quoi faire pour l’islam en France mais plutôt d’essayer de déterminer enfin qui pour le représenter. Depuis sa création en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM) se présente comme la « voix de l’islam » dans notre pays, sans parvenir – loin s’en faut… – à faire la démonstration de sa compétence et de sa légitimité. Ce qui se joue en coulisses est donc avant tout l’avenir de cette instance. Car pour revendiquer représentativité et légitimité – et convaincre de son utilité avant le renouvellement de ses membres nationaux et régionaux en 2019 –, il faut en donner les gages. Alors que le CFCM annonce depuis des mois qu’il pourrait entreprendre une grande consultation de ce type, alors que Marwann Muhammad, ancien directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), est parvenu à organiser une enquête à grande échelle à titre individuel, voici que le CFCM se fait une nouvelle fois devancer – par le gouvernement cette fois. Mauvais signe pour lui…

Quête de nouveaux visages

Le CFCM revendique son autonomie et refuse toute ingérence de l’État dans l’organisation de l’islam : « chacun doit rester dans son rôle. Aujourd’hui le culte musulman est une religion, donc elle gère elle-même sa maison. Il ne faut surtout pas de tutelle de la part de l’État, juste un rôle de facilitateur », affirme son président Ahmet Ogras. Or, l’État n’a que faire d’une structure prétendument indépendante mais inactive et contestée : il cherche du sang neuf, avec qui établir un partenariat pour conduire ce chantier pharaonique. Et ce n’est pas une mince affaire. Car chacun sait la difficulté à trouver er faire émerger les quelques visages connus. Penseurs, recteurs de grandes mosquées et philosophes occupent déjà le devant de la scène. Ce sont les anonymes, le tissu associatif local et les personnes de bon sens que l’exécutif veut identifier et promouvoir pour en faire de nouveaux interlocuteurs. Existent-ils sur les territoires ? Sont-ils prêts à s’engager ? Ont-ils suffisamment de liberté et d’indépendance d’esprit pour s’affranchir des structures existantes ? C’est à ces questions que la mission confiée aux préfets devra répondre.

Vers une dissolution ?

En tout état de cause, l’annonce de ces assises par Gérard Collomb n’est pas innocente. En s’adressant directement aux « acteurs locaux du culte musulman et [à] ceux qui s’y intéressent », il cherche à court-circuiter le CFCM, ou au moins à le mettre en danger. Si, comme le stipule la note adressée aux préfets, cette consultation accouche «de voix diverses, plus jeunes et plus féminines », les élus du CFCM peuvent avoir du souci à se faire.

Cette manière de reprendre la main et d’imposer son calendrier et ses méthodes permet au moins à l’État de mettre en lumière l’inertie et l’immobilisme du CFCM et de couper court aux protestations le jour où il s’agira de le réformer en profondeur. Ou de le dissoudre.