Les ambiguïtés économiques d’Emmanuel Macron

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

26 avril 2019 • Opinion •


Il n’y a pas eu d’erreur lors de cette conférence de presse, en tout cas sur le plan des annonces économiques et sociales: les figures de style oxymoriques étaient à leur acmé en un désespérant vide de sens: le big bang ou aggiornamento espéré ne s’est pas produit, sans que du sens supplémentaire n’ait été donné aux mesures des deux premières années du quinquennat ; «on ne sort de l’ambiguïté qu’à son propre détriment», Macron a fait de cette formule du Cardinal de Retz son adage post Grand Débat national. À la litanie de mesures sur des points de détail a succédé d’inquiétantes généralités en matière de fiscalité, dépenses publiques ou retraites. Considérons ces points à l’aune des attentes explicitées hier dans notre tribune du FigaroVox.

En premier lieu, on notera que Macron a consacré plus de temps à la situation politique générale, à l’ENA, ou à sa conception de son propre rôle, qu’aux mesures économiques, curieusement vagues et souvent décorrélées des attentes du Grand Débat : ainsi, s’il a courageusement défendu le non rétablissement de l’ISF, la plupart des questions fiscales auront été éludées : pas un mot sur la TVA ou le fardeau fiscal sur les commerçants et entrepreneurs, la promesse (non détaillée) d’une baisse de l’impôt sur le revenu étant affaiblie par l’ambigüité du financement : retenant finalement l’option de la suppression des niches fiscales pour financer cette baisse, il a lors des questions des journalistes parlé de niche fiscale favorisant les entreprises… L’impôt sur le revenu, payé par peu de Français, risque de devenir un système de plus en plus ubuesque et injuste si on fait financer la baisse de certains taux par les entreprises. La France risque de poursuivre son «Voyage au bout de Laffer» en ne baissant pas significativement ses prélèvements obligatoires, si cette réforme se fait par vases communicants entre entreprises et ménages, alors même que l’objectif de réduire l’impôt sur les sociétés paraît enterré.

Et, à dire le vrai, comment Macron pourrait-il mettre en place la baisse des prélèvement obligatoires, alors qu’il abandonne son objectif de dépenses publique à l’horizon 2022 en jetant aux orties tout objectif sur la réduction de la masse salariale publique (rappelons-le, avant la crise des Gilets Jaunes, il ambitionnait de réduire le nombre de fonctionnaires de 120 000 postes, soit plus que sa promesse initiale de campagne, et alors que le nombre de fonctionnaires n’a pas encore commencé à baisser durant son mandat)? Il est revenu aux sources de deux de ses grands projets, à savoir la retraite par points et un système plus juste d’assurance chômage (notamment s’agissant des injustices d’accès à l’emploi), sans livrer plus de détails sur ces deux chantiers titanesques qui traînent en longueur depuis plus d’un an. Comme sur d’autres domaines non économiques, il annonce des consultations sur ces sujets mais à presque mi-mandat, les attentes sont différentes de celles de 2017 et il ne peut éluder ces deux réformes par le truchement de comités Théodule. La seule réforme économique précise confirmée hier soir aura été la ré-indexation des petites retraites en 2020 puis de toutes les retraites, ce qui représentait une amélioration incrémentale par rapport aux premières fuites. Macron a aussi réitéré sa promesse d’atteindre un chômage à 7%… en 2022… mais rappelons que dans son programme, le même objectif avait été fixé à 2019 !

Ce Président élu par certains sur son sérieux économique semble souffrir désormais d’un manque d’ambition en matière de réformes économiques, d’une absence de vision qui paraissait criante lors de cette conférence de presse : est-ce le retour de bâton de la réalité économique ou une forme de gouvernement par inertie, un gattopardisme à la française (« il faut que tout change pour que rien ne change) qui consiste à s’enivrer d’annonces généralistes tonitruantes sans jamais déployer au niveau de l’exécution ? Ce style de stratégie aurait, pour sûr, toutes les chances d’échouer dans le monde de l’entreprise. Dans la sphère publique, Macron survit au Réel par des envolées lyriques et un volontarisme optimiste.

Pour dégager de nouvelles marges de manœuvre, nous aurions conseillé à Macron de réserver, pour les nouveaux emplois publics, le couteux statut de la fonction publique aux seuls emplois régaliens ; de laisser la liberté d’affiliation à tout régime de protection sociale, santé et retraites aux entrepreneurs, commerçants et artisans ; de réduire les divers impôts sur la production qui détruisent nos emplois et la TVA sur de nombreux produits cruciaux pour les plus faibles des Français ; de redonner du pouvoir d’achat aux Français en leur permettant de recevoir leur salaire complet et de décider eux-mêmes au moins d’une partie du financement de leurs retraites, comme de l’éducation de leurs enfants via le chèque éducation.

Avec cette conférence, nous aurons eu la confirmation que les objectifs de performance économique (baisse du chômage, baisse des prélèvements obligatoires et de la dépense publique, hausse du pouvoir d’achat, réduction de la dette) sont désormais relégués au second rang : Macron est désormais dans une séquence plus politique, cherchant à rassembler, apaiser… mais au risque de créer de nombreuses frustrations, et surtout au-delà du statu quo actuel, de connaître un lourd échec lorsque le ralentissement conjoncturel actuel se confirmera. S’il est loin d’avoir gagné un soutien quelconque des classes populaires, il a sûrement perdu celui des milieux économiques tant la feuille de route a perdu toute clarté.