27 avril 2019 • Entretien •
Le président chinois Xi Jinping a accueilli, du 25 au 27 avril, le second forum sur les « nouvelles routes de la soie », projet d’investissement pharaonique qui suscite des inquiétudes dans le monde. Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur à l’Institut Thomas More, coauteur de La Chine e(s)t le monde (ed. Odile Jacob), analyse, depuis Pékin, les ambitions de l’empire du Milieu.
Quelle était la présentation initiale des « nouvelles routes de la soie » et comment ce projet a-t-il évolué ?
Tout a commencé en 2013 lors d’un discours de Xi Jinping au Kazakhstan. Il a développé l’idée attrayante de créer une ceinture ferroviaire entre la Chine et l’Europe en passant par l’Asie centrale. Au départ c’était juste du marketing, mais ça a parlé à tout le monde, Européens comme exportateurs chinois à la recherche de nouveaux débouchés. Il y a eu un effet boule de neige, même si très vite sont apparues les premières craintes : la Chine cherchait à s’ouvrir sur le monde. On a assisté à la création de think tanks et à un début d’institutionnalisation.
Puis est venue l’idée d’une route maritime. Tous les pays se retrouvent sur les routes de la soie, la géographie ne veut plus rien dire, c’est une sorte de marketing géopolitique. Ce qui est nouveau, c’est que les Chinois commencent à assumer, à parler ouvertement de stratégie. Les nouvelles routes de la soie sont devenues une marque, suscitant une sorte de frénésie liée à la force symbolique de ce terme, aussi bien de la part des acteurs que des observateurs. C’est une expression qui s’est incarnée, devenue le projet phare des Chinois.
Manque de transparence, endettement des pays à outrance, projets surdimensionnés… Pékin entend-elle les critiques internationales ?
Paradoxalement, les Chinois les considèrent comme des problèmes qui n’existent pas… mais qu’il faudrait tout de même résoudre ! À titre d’exemple, la corruption est devenue un thème de ce forum. C’est assez inédit. Autre exemple, le point 4 a traité de la question de la réforme de l’Organisation mondiale du commerce. C’est un sujet très important pour les Européens.
Il est probable que la Chine accepte enfin de revoir son statut de pays en voie de développement, qui lui accordait des privilèges comme des droits de douane réduits. Jusque-là, la Chine avait toujours été réticente à cette idée, c’est donc un bon signal. Il était difficile pour la Chine de se présenter comme un pays moteur et continuer de jouir des bénéfices liés à ce statut. Ce n’était pas tenable.
Les pays concernés par ce programme pourraient-ils vraiment se passer de ces investissements chinois ?
L’offre chinoise est parfois alléchante. L’argent est déboursé très vite et les Chinois insistent sur le principe de non-ingérence. Ils ne prennent pas en compte le droit des travailleurs sur place ou la demande de transparence, par exemple. Mais la Chine a l’habitude de parier sur les leaders en place, et cela la confronte à un problème lorsqu’il y a une alternance politique. Les Chinois en sont conscients et c’est pourquoi ils acceptent de renégocier des contrats. Mais désormais ils vont chercher à peser à la fois sur le gouvernement et sur l’opposition, en s’adressant par exemple directement au Parlement. Il faut beaucoup de subtilité pour y arriver mais c’est une stratégie qui a davantage de sens.