Novembre 2019 • Note 37 •
L’Europe est la lanterne rouge de la croissance économique mondiale depuis une quarantaine d’années : un constat qui s’est singulièrement aggravé depuis vingt ans et l’introduction de la monnaie unique. La moitié sud de la zone euro connaît un chômage de masse avec des taux d’emplois particulièrement bas en Italie, en France et en Espagne en comparaison des autres pays développés. Ce constat a été dressé par Joseph Stiglitz et par Ashoka Mody dans deux livres parus ces dernières années présentant l’euro comme un échec et la cause des déboires des économies du sud de l’Europe.
La croissance faible et le chômage de masse sur la longue durée sont une spécificité de la zone euro
La présente étude fait une description approfondie des mécanismes économiques qui ont conduit au ralentissement de la croissance européenne, et notamment française, dès la mise en place du système monétaire européen (SME, 1975) et pourquoi ce décrochage s’est aggravé à partir de la mise en place de l’euro. Ce ralentissement sur la longue période a souvent été attribué (à tort) aux différentes crises mondiales (de celle dite « du pétrole » à celle dite « des subprimes ») ou aux révolutions technologiques successives. La comparaison avec la gestion de ces événements ou de ces changements par d’autres économies développées oblige à rejeter cette interprétation et à ouvrir enfin les yeux. Seule la France et l’Italie ont vu un chômage de masse s’installer sur la durée et progresser irrésistiblement jusqu’à nos jours, à la différence des États-Unis, du Royaume-Uni ou de l’Allemagne. Il y a donc une spécificité européenne – et tout particulièrement française, italienne et espagnole – pour expliquer le chômage de masse croissant de ces pays. Cette spécificité est une mauvaise conception de l’euro qui pénalise particulièrement ces pays selon des mécanismes que nous allons décrire.
La cause de la croissance faible et du chômage de masse dans certains pays de la zone euro est à chercher du côté de la mauvaise conception de l’euro dès son origine
Cette mauvaise conception de la monnaie unique a entraîné un ralentissement global de la croissance en Europe sur la longue durée, plus marqué dans la moitié sud que dans les pays du nord de l’Europe, qui a lui-même débouché sur un chômage de masse dans les pays du sud, dont la France. Nous montrons que ce chômage de masse a des causes avant tout monétaires et non pas d’inadaptation des populations concernées au travail comme cela est si souvent allégué (conduisant à une perte de temps sur des réformes incessantes du droit du travail). Ce chômage de masse ne résulte pas non plus d’une inaptitude de nos pays à l’innovation. En revanche, par les coûts qu’il provoque, il nuit à l’innovation par la réduction des investissements qui en sont la conséquence. Ce chômage n’existait pas avant la mise en place du SME, ancêtre de l’euro, et n’existe, parmi les pays développés, que dans les pays de la zone euro. Nous montrons quelles solutions de nature monétaire sont susceptibles de permettre à nos pays de sortir de cette situation et de les faire renouer avec la croissance.
La situation économique et sociale de la France s’expliquer principalement par la baisse progressive du taux d’emploi
Cette étude présente ainsi une vision originale et stylisée de la macro-économie française depuis la mise en place de l’euro et de la dynamique de la croissance, de l’emploi et de l’inflation. Malgré l’insistance avec laquelle on parle dans le débat public, sous ce quinquennat comme sous les précédents, de supposées réformes structurelles, notre pays reste enfermé dans une situation sans équivalent en Europe, avec, au pic de la croissance du cycle d’expansion actuel, un chômage de 8,5% à comparer avec une moyenne de 7,4% dans la zone euro et de 6,3% dans l’Union européenne. La situation économique et sociale singulière de la France découle principalement d’une baisse progressive du taux d’emploi depuis quarante ans – baisse sans équivalent parmi les grands pays développés.
La première partie de cette étude montre qu’avec 40% de la population totale au travail, le taux d’emploi français est d’environ 20% inférieur à ce qu’il devrait être, en comparaison avec d’autres pays développés
Ce faisant, il oblige à répartir le fardeau fiscal (requis pour payer les services publics et les transferts sociaux) sur une étroite base d’actifs qui subviennent ainsi à l’intégralité des besoins d’un nombre plus grand d’inactifs que ce qui est observé dans les pays comparables. C’est lui qui constitue le principal moteur de la montée de la pression fiscale observée au fil de ces quarante années et qui alimente le ras-le-bol actuel, notamment illustré à l’origine par le mouvement des « gilets jaunes ». Ce chômage de masse a un impact indéniable sur le niveau des salaires (ce dernier ne pouvant accélérer qu’en cas de tension sur le marché du travail dû à des recrutements, comme on l’a vu lors des quatre dernières années aux USA). Les « gilets jaunes » incarnent cette France laborieuse qui veut continuer à travailler, mais qui aspire à mieux vivre de son travail. Pour cela il faut que l’importante masse des Français actuellement inactifs puisse trouver un emploi. Cette note met en lumière le lien entre cette baisse du taux d’emploi et le sous-dimensionnement criant de l’économie française.
La deuxième partie de l’étude montre par quels mécanismes le sous-dimensionnement de l’économie française est le résultat de choix monétaires
En effet ce sous-dimensionnement est la conséquence d’un sous-investissement cumulatif sur longue durée (quarante ans, encore une fois) qui lui-même résulte d’une compétitivité restée handicapée par une surévaluation monétaire, tantôt voulue, tantôt subie, observée en moyenne et sur longue période – mais aggravée par le carcan de l’euro. Certains pays arrivent très bien à retrouver leur compétitivité au sein de la zone euro, d’autres ont du mal à le faire. La cause du problème n’est donc pas tant l’euro en lui-même que l’inadaptation de la France à l’euro telle qu’il a été (mal) conçu, et les erreurs de conception de cette monnaie.
La troisième partie de l’étude réclame d’en finir avec la culture déflationniste qui prime en Europe et élabore deux scénarios possibles
Le premier scénario (qui a la préférence des auteurs) passerait par une augmentation des salaires et des retraites en Allemagne et aux Pays-Bas jusqu’à la résorption de leurs excédents commerciaux, ainsi que par la mise en place d’une politique monétaire dans laquelle la BCE aurait des objectifs de croissance et de plein-emploi avec de nouveaux outils adaptés. Le second scénario dresserait le constat d’échec de la monnaie unique en Europe et acterait la dissolution concertée de l’euro et une réorientation de la construction européenne, qui doit rester un fondement de la politique de la France. Une coopération monétaire plus souple pourrait alors remplacer les systèmes de parités fixes dont on a vu les effets délétères hors coopération économique approfondie.