Sommet de l’Otan · Un anniversaire et des défis

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

3 décembre 2019 • Entretien •


Alors que s’ouvre, mardi, le 27e sommet de l’Otan à Londres, le climat est tendu depuis quelques semaines entre plusieurs pays de l’Alliance. Est-elle pour autant « en état de mort cérébrale », comme l’a affirmé Emmanuel Macron ? Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More, répond aux questions de France 24.


Il est des anniversaires qui se déroulent dans une meilleure atmosphère. Alors que les pays membres de l’Otan – qui fête ses 70 ans cette année – se réunissent à Londres pour un 27e sommet, mardi 3 et mercredi 4 décembre, l’ambiance au sein de l’Alliance n’est pas au beau fixe depuis quelques semaines. Depuis l’intervention militaire turque en Syrie, en octobre dernier, des États européens de l’Alliance questionnent le fonctionnement de l’organisation. Emmanuel Macron a notamment estimé que l’Otan était « en état de mort cérébrale ». La réplique du président turc, Recep Tayyip Erdogan, ne s’est pas fait attendre : il a renvoyé le président français à sa « propre mort cérébrale ». Dans ce contexte, quels sont les enjeux du prochain sommet de l’Alliance ?

L’Otan est-il en crise ou « en état de mort cérébrale » avant l’ouverture de son prochain sommet à Londres ?

Non, c’est un jugement intempestif et contrefactuel. La posture de défense et de dissuasion de l’Otan en Europe centrale, sur l’axe Baltique-mer Noire, a été renforcée en 2014 (sommet de Newport) et en 2016 (sommet de Varsovie). En matière de défense collective, la raison d’être de l’Otan est claire et les États-Unis sont militairement présents en Europe.

Se pose la question de son rôle et de ses missions sur des théâtres extérieurs à la zone euro-atlantique. In fine, c’est au niveau politique qu’un certain nombre de questions se posent. Quelles doivent être les grandes orientations stratégiques interalliées ? L’Otan est-elle la mieux qualifiée pour le « hors-zone » (à l’extérieur de la zone euro-atlantique) ? Faut-il préférer des coopérations bilatérales et des « coalitions de bonne volonté » ? Paris demande plus de coordination politique au sein de l’Otan.

Le cas de la Turquie (offensive militaire en Syrie, rapprochement avec la Russie) est-il un enjeu central du prochain sommet de l’Otan ?

Dans la présente conjoncture, il y a bien une question turque. Ce pays parvient désormais à se poser en puissance régionale. Les États-Unis et leurs alliés européens sont maintenant face à un dilemme : faut-il s’accommoder de cette nouvelle Turquie, ou la Turquie (2e en effectif de l’Otan après les États-Unis, NDLR) est-elle perdue ?

Que peut-il se passer pour Ankara lors de ce sommet ?

L’Europe ne constituant pas un acteur géostratégique global, l’essentiel dépend de la position américaine concernant l’acquisition par les Turcs des S-400 (un système de défense antiaérienne et antimissile mobile russe, NDLR).

C’est une question hautement stratégique, avec une forte dimension symbolique. Le contrat russo-turc est opaque : en effet, son coût d’acquisition est très limité, voire nul. Ce qui signifie que Vladimir Poutine veut enfoncer un coin à l’intérieur de l’Otan.

Le Congrès américain est sur une ligne plus ferme que celle de Donald Trump. Si Ankara préfère l’achat de S-400 à la poursuite de sa participation au programme F-35 (l’avion de combat américain, NDLR), il affirme que des sanctions atteindront l’ensemble de l’industrie d’armement turque.

Comment l’Alliance peut-elle sortir de cette situation actuelle ? Des nouvelles coopérations sont-elles possibles ? Cela pourrait-il passer par un soutien des forces alliées au Sahel par exemple, Jens Stoltenberg s’étant dit « optimiste » à ce sujet ?

Barkhane est une opération nationale voulue, décidée et conduite par la France. Les alliés de l’Otan et ses partenaires européens n’ont pas été consultés. Par ailleurs, la coopération bilatérale avec les États-Unis est essentielle : sans eux, cette opération ne pourrait durer. Enfin, les alliés européens sont présents par leur contribution logistique, au maintien de la paix, à la formation de l’armée malienne, voire des forces spéciales.

Cela dit, au regard des affirmations françaises antérieures, le recours à l’Otan serait paradoxal. En 2012, la France s’est unilatéralement retirée d’Afghanistan, préférant assumer la responsabilité de la lutte contre le jihadisme sur le front sahélien. Le format national était présenté comme plus opérationnel.

Ce serait donc un tournant. Cela est concevable, mais Paris privilégie plutôt une coalition européenne avec le soutien logistique et informationnel des Américains.