Pourquoi les frontières méridionales de l’Europe sont menacées

Jean-Sylvestre Mongrenier et Antonin Tisseron, chercheurs associés à l’Institut Thomas More

 

31 août 2020 • Opinion •


Entre la volonté expansionniste d’Erdogan en mer Méditerranée, le conflit libyen et la menace migratoire que fait peser le sud du Maghreb sur la France et l’Europe, les frontières méridionales de l’Europe sont dangereusement fragilisées, analysent Jean-Sylvestre Mongrenier et Antonin Tisseron.


Les événements des dernières semaines auront illustré la gravité des menaces qui pèsent sur les frontières méridionales de l’Europe, en Méditerranée et dans les profondeurs du Grand Sahara. Assurément, l’heure n’est pas à la célébration de l’Eurafrique et de ses promesses. Pourtant, la France et ses alliés européens n’auront pas le loisir de se retrancher derrière d’illusoires parapets : les frontières se défendent à l’avant. Aussi est-il important d’identifier quelques points d’appui et pays capables de s’engager dans le traitement d’un certain nombre de situations géopolitiques.

En Méditerranée orientale, le soutien diplomatique et naval apporté à la Grèce et à l’île de Chypre, menacées par le révisionnisme géopolitique turc, est heureux. Avec l’Italie, ces quatre pays forment un « Quad » méditerranéen qui bénéficie du soutien de plusieurs pays arabes, dont l’Egypte. Il faut espérer que cette initiative ramène le gouvernement turc à la raison. Une autre question est celle de la Libye. Dans un pays en proie au chaos depuis 2011, le conflit s’est internationalisé, chacun des deux principaux camps bénéficiant d’appuis extérieurs. La Russie et la Turquie ont su jouer des divisions européennes afin de s’imposer sur le terrain.

De fait, les vues de la Turquie sur la « plus grande Méditerranée » et sa rivalité-coopération avec la Russie sont susceptibles d‘avoir des répercussions jusqu’au Maghreb. Il importe d’anticiper l’activisme diplomatique de ces deux puissances à commencer auprès de l’Algérie, un géant territorial dont les dirigeants sont confrontés depuis février 2019 à une contestation populaire loin d’être éteinte.

Au regard des relations franco-algériennes, toujours difficiles, une grande attention doit aussi être portée aux autres pays du Maghreb. Particulièrement exposée aux périls de la guerre en Libye, aux luttes de pouvoir et aux conséquences économiques de la pandémie (le coronavirus), la Tunisie bénéficie d’un important soutien financier de l’Union européenne et du FMI (Fonds monétaire international) mais reste fragile et vulnérable.

Sur les confins occidentaux de l’Algérie, le Maroc apparaît plus solide. Si le mouvement de mécontentement du Rif a mis en évidence la nécessité d’un plus grand équilibre territorial, le royaume demeure un pôle de stabilité. Il souffre lui aussi de la récession mondiale mais s’est illustré par une vigoureuse réponse sanitaire et économique. À l’extérieur de ses frontières, Rabat a pu apporter son aide sanitaire aux pays d’Afrique de l’Ouest, menant ainsi une efficace « diplomatie du masque ».

Au sud du Maghreb, la France et l’Europe sont là encore confrontées à des menaces. Géographiquement éloignées, celles-ci n’en ont pas moins des conséquences en Méditerranée et sur les frontières européennes, notamment sur le plan migratoire.

Dans l’immédiat, le coup de force militaire au Mali, les tensions entre la junte et le mouvement de contestation (le M5-RFP) et la réaction de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) font planer une incertitude qui accroit les difficultés de la guerre contre les groupes jihadistes dans la zone. Engagées dans une guerre contre les franchises locales d’Al Qaida et de l’Etat islamique, les forces de l’opération « Barkhane » et la diplomatie française sont d’une certaine manière menacées sur leurs arrières.

Alors que la tension politique est forte en Guinée et en Côte d’Ivoire devant la perspective de voir Alassane Ouattara et Alpha Condé réaliser un troisième mandat et que les groupes jihadistes menacent les périphéries des pays côtiers, il semble difficile de passer purement et simplement le relais aux États-membres du « G5 Sahel ».

Au vrai, les points d’appui sont peu nombreux. Dans sa lutte contre les groupes jihadistes, la Mauritanie a su démanteler les cellules actives sur son territoire. Du fait des scandales entourant la présidence d’Ould Abdel Aziz, elle traverse cependant des turbulences. Pour sa part, le Tchad dispose de forces armées efficaces qui ont fait leurs preuves, mais la succession à Idriss Déby fait planer de fortes incertitudes sur l’avenir.

La France n’est pas seule. Elle peut compter sur l’appui des Etats-Unis. L’Union européenne et plusieurs pays européens sont mobilisés à ses côtés. Dans la continuité de son action diplomatique en Afrique de l’Ouest, le Maroc s’investit également pour renforcer les dynamiques de paix. La monarchie chérifienne mène le combat sur le front religieux en promouvant dans la région un « islam du juste milieu » et, suite aux manifestations du 10 juillet dernier, elle a organisé une médiation pour faciliter la transition politique au Mali.

Pour autant, il s’agit d’une entreprise de longue haleine aux échéances incertaines. La France s’est portée à l’avant-garde d’une forme de guerre qui ne s’inscrit pas dans une logique clausewitzienne. Pour l’essentiel, il s’agit de tenir et de contenir un chaos dont il faut redouter l’extension.